« Bien que le chômage soit désormais un phénomène massif, le traumatisme qu’il entraîne, ses conséquences sociales et l’impact sur l’entourage restent encore trop méconnus. » Dans un avis qu’il a voté à l’unanimité le 10 mai(1), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) estime que les politiques publiques, notamment sanitaires, doivent mieux accompagner les personnes pendant le temps qui les sépare d’un retour à l’emploi. Mais c’est aussi le regard de la société sur les personnes au chômage qu’il faut changer. Pour ce faire, il énonce une série de préconisations.
Depuis la crise de 2008, « la très forte augmentation du chômage a contribué à un certain basculement de l’opinion », déplore le CESE. Ainsi, 60 % des personnes interrogées estiment que les chômeurs pourraient trouver un travail « s’ils le voulaient vraiment ». Pour le conseil, une politique publique doit être impulsée afin de faire prendre conscience à l’ensemble de la société de la « gravité des effets de certains jugements et comportements dévalorisants ». Il soutient, par conséquent, la proposition de loi qui prévoit d’ajouter aux motifs de discrimination reconnus par la loi le critère de précarité sociale(2).
Le CESE préconise aussi d’inscrire la précarité sociale dans toutes les campagnes générales déjà organisées pour lutter contre les formes de discrimination. Il est en outre « indispensable » d’engager une campagne d’information et de sensibilisation nationale contribuant à restaurer l’image des personnes privées d’emploi. Il s’agit de donner une autre image des chômeurs, de faire connaître ce qu’ils vivent afin que les personnes elles-mêmes, leur entourage et la société changent leur regard, explique le conseil. Pour être efficace, cette campagne devra être organisée par l’Etat et relayée par l’ensemble des acteurs publics (Pôle emploi, les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales, les associations…).
Le chômage représentant un réel « facteur de risque », le CESE suggère, notamment, de proposer à chaque personne reçue par Pôle emploi qui le souhaite l’accès à un soutien psychologique et ce, dès le premier entretien. Cette personne pourrait être orientée vers des centres médico-psychologiques au sein desquels les consultations sont prises en charge par la caisse primaire d’assurance maladie.
Un suivi médical dès la perte d’emploi se révèle également « légitime et nécessaire » et devrait être organisé « le plus vite possible », préconise le CESE. Actuellement, « aucune organisation de soins et de suivi coordonnés n’est proposée aux personnes privées d’emploi et à leur famille, alors même qu’elles ont besoin d’être prises rapidement en charge dans cette épreuve, regrette-t-il. Cela vaut également pour les primo-demandeurs d’emploi envahis par l’angoisse et les difficultés quotidiennes. » Pour y remédier, le conseil recommande d’orienter vers un premier bilan médical les personnes qui le souhaitent, dès le premier entretien avec le conseiller Pôle emploi. Ce suivi pourrait mobiliser divers acteurs de santé, comme les services de santé au travail, les centres d’examens de santé, les centres de santé, la médecine de ville, etc.
Par ailleurs, le conseil recommande de sensibiliser les travailleurs sociaux, les conseillers de Pôle emploi, ainsi que les structures chargées de leur formation, au repérage des situations de fragilité spécifiques au chômage. Il conviendrait en outre, selon le CESE, d’introduire dans le module sur la prévention du tronc commun de la première année des études de médecine un volet sur le chômage comme facteur de risque. L’introduction d’un volet analogue dans les formations initiale et continue des autres professionnels de santé est également suggérée.
L’accompagnement global, assuré par Pôle emploi en partenariat avec les conseils généraux et destiné aux demandeurs d’emploi rencontrant des difficultés professionnelles et sociales (logement, santé…)(3), doit être renforcé, recommande le CESE, qui déplore que « très peu de personnes en bénéficient » aujourd’hui. Cet accompagnement global devrait aussi être proposé dans le cadre de la garantie jeunes à tout jeune sans emploi et sans formation, insiste de nouveau le conseil, qui avait émis cette proposition dans un précédent avis sur la sécurisation des parcours d’insertion des jeunes(4). « Son succès dépend de la capacité des missions locales à affecter un conseiller au suivi de 50 jeunes ». Or « ces conseillers sont trop souvent eux-mêmes en contrat à durée déterminée », déplore le CESE, qui met l’accent sur la nécessité de sécuriser ces recrutements, notamment en favorisant le recours à des contrats à durée indéterminée.
Constatant que « nombre d’hommes et de femmes au chômage craignent de ne plus pouvoir remplir pleinement leur rôle de parent », le CESE recommande de faciliter l’information et l’orientation des personnes privées d’emploi vers les services de soutien à la parentalité et de les rapprocher des services d’accueil de la petite enfance ou des services de la protection maternelle et infantile, par exemple. De plus, comme la caisse nationale des allocations familiales (CNAF)(5), le CESE demande le rétablissement du versement de la prime à la naissance dès le 7e mois de grossesse dans « les plus brefs délais » (au lieu d’un versement au 2e mois après la naissance comme aujourd’hui) pour venir en aide aux parents les plus modestes et à ceux qui sont privés d’emploi. Il souhaite également que soit rapidement généralisée, en faveur des parents demandeurs d’emploi, l’expérimentation du versement en tiers payant, directement à l’assistante maternelle agréée, du complément de libre choix du mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant, actuellement menée par la CNAF(6). Il recommande aussi d’accélérer la signature de l’accord entre l’Etat, la CNAF et Pôle emploi pour développer les crèches à vocation d’insertion professionnelle en direction des parents en recherche d’emploi(7).
Par ailleurs, certains soins de santé sont financièrement inaccessibles pour les personnes privées d’emploi, indique le CESE. Par exemple, illustre-t-il, « tout ce qui est appareillage [prothèses auditives et dentaires, lunettes] entraîne des restes à charge auxquels il leur est impossible de faire face ». Pour prendre en charge ce type de soins, le CESE propose donc de mettre en place des « budgets d’urgence » auprès de diverses institutions (services d’action sociale des départements…).
(1) Disponible sur
(2) Ce texte a été adopté en première lecture par le Sénat en juin 2015 et est toujours en attente d’une date de passage à l’Assemblée nationale – Voir ASH n° 2916 du 26-06-15, p. 5.
(3) Voir ASH n° 2854 du 4-04-14, p. 6 et notre reportage dans le Doubs dans les ASH n° 2934 du 20-11-15, p. 24.
(7) Voir le « Décryptage », ASH n° 2884 du 24-11-14, p. 28.