Missionnée en juin 2015, Sylviane Giampino, psychologue et psychanalyste spécialiste de la petite enfance, a remis le 9 mai à la ministre des Familles et de l’Enfance son rapport sur le décloisonnement des métiers et des interventions dans le secteur de la petite enfance(1). Rapport qui, souligne Laurence Rossignol, propose une « refondation et des orientations nouvelles de la politique d’accueil de la petite enfance ». Et, en cela, il s’apparente à « un véritable guide à destination de tous les acteurs de la petite enfance ». Sylviane Giampino y formule en effet 108 préconisations pour le secteur, « cohérentes », selon la ministre, et dont « chacun peut [se] saisir pour lancer de nouvelles dynamiques ». Parmi celles-ci, la spécialiste de la petite enfance recommande de mieux structurer le secteur, en mal de reconnaissance, et de réformer les formations de ses professionnels, « incomplètes et hétérogènes ». Ses propositions viendront nourrir non seulement le prochain plan d’action sur les métiers de la petite enfance que Laurence Rossignol présentera « dans les prochains mois », mais aussi la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant qui sera menée « d’ici quelques mois », telle qu’elle est prévue par la feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance(2).
Malgré la « forte implication des acteurs de la petite enfance », Sylviane Giampino relève un « manque de cohérence en matière d’accueil du jeune enfant, à plusieurs niveaux » : les politiques d’accueil sont en réalité « construites par accumulation, en millefeuilles et par élargissement des formes d’accueil au fil du temps » et l’accueil est, lui, assuré par des professionnels d’horizons différents (santé, éducation, social). Si « cette diversité est une richesse », « il manque toutefois un cadre de valeurs et d’objectifs communs », reconnaît la psychologue. Aussi préconise-t-elle d’« élaborer un texte cadre au niveau national fondant une identité commune aux professionnel(le)s de l’accueil de la petite enfance […], en dépassant les logiques métiers et la diversité des acteurs ». Pour elle, ce texte devra, entre autres :
→ « indiquer les caractéristiques attendues des modes d’accueil », qui doivent surtout être centrées sur les enjeux du développement et de l’épanouissement du jeune enfant, et non plus uniquement sur la parentalité, les évolutions familiales et les contextes sociaux ainsi que la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ;
→ clarifier les rôles des différents partenaires : protection maternelle et infantile, services gestionnaires des établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) (publics, associatifs, privés lucratifs), organismes de formation… ;
→ « être suffisamment précis sur les objectifs pour fixer le cadre, mais suffisamment ouvert concernant les modalités de mise en pratique ».
La rédaction de ce texte cadre sera d’ailleurs « une des premières missions » que Laurence Rossignol confiera à la formation « enfance » du Haut Conseil de l’enfance, des familles et des âges de la vie(3) qui sera « mis en place prochainement », a-t-elle par ailleurs assuré.
En outre, « pour faire vivre une identité professionnelle nationale, souligner l’utilité publique de l’accueil de la petite enfance et en valoriser les acteurs, favoriser les partages d’expériences », Sylviane Giampino propose d’instituer une journée nationale des professionnel(le)s de l’accueil de la petite enfance, « qui pourra être déclinée au niveau régional ».
Pour la psychologue, les formations des professionnels de la petite enfance sont « incomplètes et hétérogènes ». Aujourd’hui, explique-t-elle, les filières de formation et de qualification des métiers de la petite enfance et de l’accueil dépendent, en ce qui concerne le cursus et le contenu des formations, des ministères chargés de l’Education nationale, des affaires sociales et de la santé. Quant à leur organisation, elle relève aussi de plusieurs opérateurs (ministères, académies, régions…). Ce qui, couplé à l’inexistence d’une branche professionnelle unique qui couvre tout le secteur de la petite enfance, explique l’absence de pilotage de l’ensemble des métiers, un « puissant frein à une réelle professionnalisation des métiers de la petite enfance ». Pour y remédier, elle recommande donc de renforcer la coordination entre les tutelles dont dépendent les différents diplômes, le ministère chargé des familles et de l’enfance pouvant ici « jouer un rôle d’intermédiaire-facilitateur ». Elle suggère aussi la mise en place d’une plateforme réunissant les branches professionnelles représentant des établissements et des professionnels de la petite enfance. Ses missions : « permettre une analyse des besoins en professionnel(le)s, non seulement en termes quantitatifs mais aussi en termes de formation, et devenir ainsi l’interlocuteur de l’Etat sur cette seconde question ».
Au-delà, l’auteure du rapport note que « les différents métiers de la petite enfance héritent d’histoires et de traditions différentes : les métiers du soin pour les auxiliaires de puériculture et les puéricultrices, le travail social et éducatif pour les éducateurs de jeunes enfants ». Afin de consolider une identité professionnelle, elle préconise de « garantir des passerelles d’un niveau à l’autre de diplômes des métiers de la petite enfance » et d’« articuler les différents champs d’intervention entre les niveaux V à II, en se centrant sur les types de compétences nécessaires pour accompagner le développement de l’enfant ».
Pour Sylviane Giampino, il faut avant tout « décloisonner l’ensemble des professions, sans gommer leurs spécificités ». Comment ? En constituant une base commune aux formations des professionnels de l’accueil de la petite enfance, « dès la formation initiale, en formation continue et aussi dans des situations professionnalisantes au fil des opportunités ». Ce socle commun de connaissances pourrait être enseignédans le cadre de « modules transversaux aux différents métiers en formation initiale, en thématiques, en temps communs de formation continue, et en situations professionnelles de réflexion, d’expériences, d’apprentissages partagés au fil des pratiques ».
Par ailleurs, le rapport note que les EAJE souffrent d’une « insuffisance de professionnels formés » alors même que les besoins sont « amenés à croître compte tenu du fait que la pyramide des âges de ces professionnels va entraîner de nombreux départs à la retraite ». Cette situation s’explique notamment par le manque de places dans les écoles de formation d’éducateurs de jeunes enfants, d’infirmières-puéricultrices et d’auxiliaires de puériculture, les coûts « parfois élevés » des formations et l’inadaptation aux attendus des métiers des modes de recrutement et de sélection pour ces formations. Pour répondre à ces insuffisances, Sylviane Giampino préconise par exemple d’« accroître l’ouverture de places de formation pour les métiers de la petite enfance afin de mieux répondre aux besoins des professionnels » ou bien encore de développer les formations en alternance, « particulièrement adaptées à l’apprentissage des métiers de la petite enfance, qui demandent, pour être exercés, des expériences concrètes d’immersion auprès des enfants, comme des parents et des équipes ». Elle recommande par ailleurs de favoriser l’acquisition des qualifications par la voie de la validation des acquis de l’expérience (VAE), « une voie prometteuse pour augmenter le nombre des assistant-e-s maternel-le-s professionnel-le-s au sein des EAJE, par l’acquisition du CAP petite enfance ou du diplôme d’auxiliaire de puériculture ». Mais, en pratique, admet la psychologue, « la VAE est difficile, le processus est long pour beaucoup, en raison des difficultés pour acquérir concepts et théories ». Aussi suggère-t-elle de « mettre en place une évaluation qualitative et quantitative du dispositif actuel de VAE en matière de diplôme « petite enfance » », de « modulariser les diplômes, notamment le CAP petite enfance et le diplôme d’auxiliaire de puériculture » pour simplifier les processus d’évolution au sein des formations en cours de carrière ou encore de « créer un dispositif innovant de valorisation et de reconnaissances des situations professionnalisantes », en guise de « troisième voie [d’acquisition des qualifications], plus souple » que la VAE.
Le rapport estime également nécessaire de « renforcer les métiers de première ligne ». Par exemple, de l’aveu même des organisations d’assistantes maternelles et des acteurs en EAJE, la formation conduisant au CAP petite enfance est « trop scolaire » et ses modules d’enseignement général « décalés par rapport aux attentes en modes d’accueil ». Sylviane Giampino appelle donc le gouvernement à « intégrer aux travaux en cours de révision du CAP petite enfance la nécessité d’une évolution des contenus de formation pour qu’ils correspondent aux attentes en mode d’accueil ». Dans ce cadre, la ministre des Familles et de l’Enfance a précisé que le diplôme « proposera des modules renforcés sur le développement de l’enfant » et que son organisation sera « repensée pour mieux correspondre au public adulte qui y a recours dans le cadre de la VAE ». Signalons aussi que le rapport propose quelques aménagements pour les diplômes d’Etat d’auxiliaire de puériculture et d’infirmière puéricultrice. Il s’attarde enfin sur la formation de l’encadrant « petite enfance » qui, selon lui, est « à repenser » au regard de la multiplicité des tâches qui s’imposent à lui, de l’évolution de la société et des modes d’accueil. D’autant que sa formation initiale actuelle ne le prépare pas aux tâches de direction d’un établissement et d’animation d’une équipe dédiée à la petite enfance. Sylviane Giampino propose ainsi d’« intégrer à la formation des encadrants l’apprentissage d’un mode de direction participatif, d’intelligence collective, permettant la conception et la mise en œuvre d’un projet d’accueil cohérent, vivant, ouvert et de partenariats locaux » et de « faire en sorte que les personnes exerçant [cette] fonction aient une connaissance approfondie du développement des jeunes enfants ».
Les assistantes maternelles doivent effectuer 120 heures de formation, la moitié avant l’accueil du premier enfant et l’autre moitié dans les deux ans qui suivent. Elles doivent aussi présenter l’unité professionnelle n° 1 du CAP petite enfance « prise en charge de l’enfant à domicile » dans les cinq années qui suivent leur premier agrément. Pour Sylviane Giampino, cette formation est trop courte, ce qui s’explique par la crainte des départements de devoir supporter un coût supplémentaire engendré par l’allongement de la formation. En outre, estime-t-elle, « on considère trop souvent que les connaissances fondamentales que sont le développement des enfants, les enjeux des liens parents-professionnel-le-s, mais aussi les méthodes de travail sur la prime éducation et la socialisation, ne seraient qu’un “en plus” de l’expérience personnelle ». Mais la psychologue insiste : il faut « allonger la formation initiale obligatoire des assistant-es maternel-le-s en vue de l’obtention du CAP petite enfance et lui adjoindre un stage en structure collective de l’enfance ou auprès d’un-e assistant-e maternel-le, pour simplifier l’accès à d’autres formations ou à une orientation vers les structures collectives ». La formation continue des assistantes maternelles doit aussi être facilitée, par exemple, en organisant la prise en charge des enfants pendant leur temps de formation, en évitant l’avance parentale de salaire et en incluant la prise en compte de la formation continue dès le stade de la contractualisation avec les parents. Dans ce cadre, le rapport suggère de faire des relais d’assistantes maternelles (RAM) « les pivots de l’organisation de contextes professionnalisants pour les assistantes maternelles ». Et de permettre à certaines assistantes maternelles de « devenir tutrices de stages pour les élèves en formation ou bien “employeurs aidés” pour les jeunes en alternance ». Ce, en contrepartie d’une « reconnaissance financière » et d’une « reconnaissance de qualification sur un modèle de type “équivalence” qui autoriserait ensuite soit l’accès à une formation diplômante, soit des crédits pour une VAE ».
(1) « Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels » – Mai 2016 – Disp. sur
(3) Cette nouvelle instance a été créée par la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement – Voir ASH n° 2955 du 8-04-16, p. 47.