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Les conseils locaux de santé mentale, des outils démocratiques ?

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En réunissant sur un territoire les élus, les professionnels de santé, les institutions et les associations de patients, les conseils locaux de santé mentale visent à faire de la santé mentale l’affaire de la communauté. Si la loi « santé » donne un sérieux coup de pouce à leur développement, ces instances doivent encore réussir le pari de faire participer les usagers.

Depuis la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier dernier, les conseils locaux de santé mentale (CLSM) sont reconnus comme des acteurs essentiels sur les territoires (voir encadré, page suivante). Une légitimation pour ces plateformes de concertation et de coordination devenues en vingt ans un symbole du partenariat en santé mentale. Celles-ci rassemblent, en effet, sur un territoire, les élus, les représentants de la psychiatrie publique et des institutions, les usagers et les aidants autour d’un objectif : définir les priorités locales en matière de santé mentale et décliner des actions concrètes en faveur des personnes souffrant de troubles psychiques. Une confrontation des points de vue qui doit permettre « à la santé mentale de devnir l’affaire de la communauté et non plus seulement des psychiatres », espère Laurent El Ghozi, médecin, conseiller municipal à Nanterre et président de l’Association Elus, santé publique et territoires (ESPT)(1).

Les premiers conseils, nés sous l’impulsion du secteur psychiatrique, datent de 1980. Néanmoins,c’est à partir de 2000 qu’ils connaissent leur plein développement avec la création des ateliers santé ville destinés à élaborer une politique locale et partenariale de santé à partir d’un diagnostic établi par les habitants et les professionnels. « Les questions de santé mentale sont immédiatement apparues parmi les premières priorités pour les citoyens, les professionnels de santé, les acteurs municipaux… sous des libellés variables : sentiment de dépression majeure, toxicomanie et addictions, violences liées à des troubles psychiques, troubles à l’ordre public…, se souvient Laurent El Ghozi. Il est apparu évident que les psychiatres et les élus avaient des responsabilités partagées et des leviers d’action complémentaires pour améliorer l’état de santé mentale individuel et collectif d’une population sur un territoire. »

De 2000 à 2008, une vingtaine de conseils locaux de santé mentale sont créés. Afin de ne pas limiter la santé aux soins, les élus ouvrent ces instances aux bailleurs sociaux, aux associations d’usagers et de familles, aux acteurs culturels et de loisirs, aux forces de l’ordre, aux acteurs sociaux et médico-sociaux… Une volonté de décloisonnement en phase avec les orientations des rapports ministériels et des plans « psychiatrie et santé mentale », qui font de plus en plus référence aux notions de « parcours de soins » et de « parcours de vie ». En 2008, la délégation interministérielle à la ville charge le centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS) d’un programme d’appui au développement des conseils locaux de santé mentale et finance un poste de chargé de mission à cette fin. Les effets ne vont pas tarder. En quelques années, le nombre de ces instances est multiplié par six : à la fin 2015, ils sont cent-vingt, tandis qu’une soixantaine est en cours de création.

Pivot, la coordination

Maître-mot du fonctionnement des conseils – qui interviennent majoritairement à l’échelle communale (60 %) et plus rarement intercommunale (32 %), selon l’état des lieux dressé en juin 2015 par le CCOMS(2) –, la coordination. Cette dernière est indispensable pour faire vivre un dispositif composé d’une assemblée plénière (présidée à 70 % par un élu et se réunissant une ou deux fois par an) et d’un comité de pilotage chargé du suivi des commissions de travail constituées autour d’une thématique. La majorité des conseils (83 %) s’appuient donc sur un coordinateur – salarié dans 65 % des cas(3). « Ce poste permet d’accompagner les élus, souvent seuls et perdus alors qu’ils sont censés tout savoir faire ou presque. Une partie de mon travail consiste à aller vers eux pour qu’ils connaissent le conseil et s’en saisissent si besoin », explique Laurianne Jusseau, animatrice du contrat local de santé du syndicat mixte du pays charolais brionnais (dans lequel s’inscrit le conseil local de santé mentale). Le conseil s’est notamment attelé à la question de la lisibilité des dispositifs, ce qui a donné lieu à la publication d’un guide sur les ressources en santé mentale du territoire. Une réédition actualisée est en cours.

La mise en place d’un conseil local en santé mentale demande plusieurs mois, voire plusieurs années, de travail. « Le temps que ses membres en construisent collectivement la stratégie », explique Pauline Guézennec, chargée de mission au CCOMS à Lille. A Rambouillet (Yvelines), la création du conseil est à l’initiative du secteur de la psychiatrie, mais il s’est écoulé deux ans (avec une élection municipale entre-temps) entre la première rencontre avec le maire et son installation officielle en 2015. L’objectif, précise Cécile Omnès, chef de service du secteur en psychiatrie adulte, était de formaliser les partenariats existants et de pouvoir répondre à l’augmentation des besoins en santé mentale. « Certes, nous menions régulièrement des actions avec différents acteurs mais, en cas de renouvellement de notre direction ou de changement d’un de nos partenaires, il fallait à chaque fois tout reprendre », explique-t-elle. A cela s’ajoutaient les difficultés liées à « l’arrivée de personnes qui ne venaient pas consulter auparavant et à l’apparition de nouvelles pathologies générées par les changements de société, qui n’existaient pas il y a vingt ou trente ans ». D’où la nécessité, pour la psychiatre, de travailler autrement en développant la prévention, mais aussi en articulant les réponses avec d’autres acteurs que ceux des secteurs sanitaire et médico-social car « la souffrance est aussi d’origine sociale ou familiale ».

Mais concrètement que font ces instances partenariales ? Leurs actions, qui collent aux besoins repérés localement, sont très diverses : création d’un point écoute adolescents, d’un centre médico-psychologique, d’appartements associatifs, développement de formations croisées (prévention du suicide, alcoolisme, gestion des situations de crise), projets artistiques, culturels et sportifs, campagnes d’information et de communication… Toutefois, malgré la multiplicité des initiatives, certaines préoccupations ressortent. 80 % des conseils (selon l’état des lieux dressé par le CCOMS) ont mis en place une cellule de gestion des « cas complexes » : « Des situations dont tout le monde parle et qui deviennent omniprésentes, envahissantes dans une commune, un quartier, un immeuble, clarifie Laurent El Ghozi. Par exemple, comment traiter le cas de ce monsieur qui va mal, insulte tout le monde, est violent ou fait peur ? Les psychiatres n’ont pas les moyens de le soigner seuls, les élus sont envahis par les plaintes des voisins, la police renvoie la balle sur les psychiatres et souhaite une hospitalisation sans consentement de la personne, les bailleurs veulent l’expulsion de cette dernière… » La situation est alors débattue au sein de la cellule sur les cas complexes, mais pas n’importe comment. Car la concertation soulève bien évidemment les questions délicates du secret professionnel et du partage des informations. « D’où la nécessité de se doter d’une charte éthique de fonctionnement », insiste Sophie Garcia, coordinatrice du conseil local de santé mentale de Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence). En tout cas, « la possibilité de s’appeler et d’échanger débloque bien des situations, témoigne-t-elle. On s’est rendu compte localement que les services ne se connaissaient pas. La police municipale n’avait pas le réflexe de faire appel au centre médico-psychologique pour procéder à une première évaluation avant de solliciter le service des urgences de l’hôpital. Cette voie de recours est désormais davantage utilisée. De même, le centre communal d’action sociale travaille plus systématiquement avec le conseil départemental. »

Le logement, un champ d’action prioritaire

Sans surprise, l’autre thématique prioritaire concerne le logement. 75 % des conseils ont créé une commission « logement », qui s’attache à dénouer les difficultés que peuvent causer les publics atteints de troubles psychiques au sein de l’habitat collectif. Celui de Nanterre a réalisé un guide – « Un locataire en souffrance, vous êtes inquiet, que faire ? » – en collaboration avec quarante gardiens d’immeuble. « Des séances de sensibilisation des différents acteurs ont accompagné sa diffusion. Elles ont permis le tissage de nouveaux partenariats – commissariat, agence départementale d’information sur le logement, pompiers, conciliateurs de justice… – en vue d’apporter des réponses plus globales. L’action a très bien fonctionné et a même été reprise par le conseil local de santé mentale de Montreuil », se félicite Pilar Arcella-Giraux, psychiatre, chargée d’une mission d’appui à ces instances à l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France. A Brest, la commission « logement » a permis la signature d’une convention entre la ville et le CHU, afin de garantir aux personnes soignées l’accès à un logement tout en bénéficiant d’un accompagnement social et médical. Ailleurs, dans la banlieue de Lille, l’association intercommunale de santé, santé mentale et citoyenneté – qui réunit cinq communes(4) – gère vingt-trois logements collectifs mis à la disposition d’usagers de la psychiatrie. « Nous avons signé un contrat de location avec les bailleurs sociaux et une convention d’occupation avec les locataires. Nous aidons ces derniers à s’approprier les lieux et l’équipe mobile de l’établissement public de santé mentale les suit à domicile », explique Raghnia Chabane, adjointe à Mons-en-Barœul (Nord).

La formation, une priorité

Mais la concertation au sein des conseils locaux de santé mentale ne peut fonctionner que si les acteurs partagent une culture commune. La formation des professionnels est donc aussi une priorité. A Brest, elle fait ainsi l’objet d’une commission. « On est parti du constat que les différents professionnels n’avaient pas forcément la même façon d’aborder la santé mentale et qu’ils méconnaissaient les structures partenaires – leurs missions, leurs périmètres d’intervention… », explique Anne Corre, chargée de projet au service « promotion de la santé » de la ville de Brest et coordinatrice du conseil local de santé mentale. Depuis 2011, une formation commune de « correspondant de structure », conçue en collaboration avec le service universitaire de formation continue de l’université de Bretagne occidentale et prise en charge par l’employeur, l’ARS et la ville, est reconduite chaque année. Chaque établissement ou service peut envoyer deux professionnels se former pendant dix-huit jours (neuf sessions de deux jours sur une année). Au menu : l’abord de thématiques d’un point de vue théorique et institutionnel, des visites de services et de structures sociales, médico-sociales et sanitaires, l’analyse de situations et de pratiques de terrain.

« Un conseil local de santé mentale, c’est un espace d’échanges pour mieux se connaître, décloisonner les pratiques. On y traite des crises liées à la souffrance psychique, mais, surtout, on y fabrique une ville plus attentive à la santé mentale. Cela ne coûte pas cher et tout le monde y gagne ! », témoigne, convaincu, Laurent El Ghozi. « Cela change ma pratique, confirme Félicia Simeon de Buochberg, psychiatre et responsable de secteur à Lyon. Cela permet, lorsque l’on se retrouve autour d’une situation particulière, de bien cerner les attributions et limites de chacun, sans se rejeter les responsabilités ni vivre les choses sur un mode persécutoire. » Coconstruire sur le plan local avec des règles et une éthique communes est en effet l’objectif premier de ces instances. En ce sens d’ailleurs, le CCOMS a mis en ligne un référentiel de recommandations pour leur élaboration(5).

Toutefois, ces instances, non obligatoires, sont confrontées à la réticence de certains élus, qui évoquent le manque de moyens pour financer le poste de coordinateur. Surtout, elles butent sur la question centrale de la participation des usagers en psychiatrie, une dynamique pourtant indispensable « pour construire des projets qui relèvent de la démocratie sanitaire », affirme Pilar Arcella-Giraux. De fait, les patients et leurs familles sont encore peu présents dans ces dispositifs. Leur participation, qui doit tenir compte des aléas de la maladie, « est encore fragile et en construction. On incite les patients et leurs proches à venir, mais sans succès », reconnaît Sophie Garcia.

Inclure les usagers sur un pied d’égalité suppose tout un travail d’accompagnement. Et surtout « une certaine bienveillance si l’ont veut accueillir les usagers comme des experts », défend Julie Donjon, coordinatrice à Lyon. La participation est en effet le défi à relever pour les conseils locaux de santé mentale s’ils ne veulent pas apparaître comme « un instrument supplémentaire de régulation de l’ordre social, avertit Félicia Simeon de Buochberg. Ceux-ci doivent rester vivants et authentiquement dédiés à la santé du patient-citoyen. »

Les CLSM légitimés

S’il existe un cadre réglementaire incitatif invitant les acteurs locaux à construire des conseils locaux de santé mentale (CLSM), aucun texte ne les définit précisément. En 1972, une circulaire de la direction générale de la santé (DGS) préconise la création d’« organismes consultatifs qui pourraient être dénommés conseils de santé mentale de secteur » et permettraient « d’établir des liaisons avec les médecins, les travailleurs sociaux, etc. ». La circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale incite à nouveau à créer des instances de coordination de proximité. Plus récemment, dans un rapport de décembre 2011, la Cour des comptes recommande la généralisation des CLSM. Enfin, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé les désigne comme des acteurs essentiels du projet territorial de santé mentale. L’article 69 précise : « Le diagnostic territorial partagé et le projet territorial de santé mentale seront arrêtés par le directeur général de l’ARS [agence régionale de santé] après avis des CLSM et du conseil territorial de santé. » Jusqu’ici les CLSM dépendaient de la bonne volonté des acteurs locaux ou des ARS qui n’avaient aucune obligation de les développer : « En Ile-de-France, Claude Evin [directeur de l’ARS de 2010 à 2015] a trouvé que c’était un très bon outil et c’est pour cela qu’une bonne partie des CLSM y sont nés, souligne Laurent El Ghozi. Le fait que les CLSM soient inscrits dans la loi conforte leur existence. » Cette reconnaissance devrait inciter à des créations de nouveaux CLSM et à un maillage national. Leur répartition est en effet très hétérogène, avec une forte concentration en Ile-de-France et en Rhône-Alpes, mais une absence en Auvergne, Aquitaine ou Poitou-Charentes.

Changer les représentations

L’une des principales activités des conseils locaux de santé mentale (CLSM) est l’information du grand public. Plus de la majorité d’entre eux (60 %) ont une commission « information » qui organise les Semaines d’information sur la santé mentale (SISM) chaque année en mars. D’autres événements ont lieu régulièrement à leur initiative. Les ateliers « mieux-être » se déroulent tous les quinze jours dans l’une des cinq villes de l’Association intercommunale de santé, santé mentale et citoyenneté (Nord) pour évoquer des questions de santé mentale auprès du grand public : dépression, troubles bipolaires, troubles obsessionnels compulsifs, entente de voix, suicides, troubles du comportement alimentaire, stress, sommeil, addictions… Ils sont animés par un binôme (un professionnel de l’Etablissement public de santé mentale et un usager d’une association) rémunéré grâce à un financement de l’agence régionale de santé. « Cela contribue à lutter contre les peurs et les tabous, à informer des ressources à proximité et à montrer que l’on peut avoir une vie normale alors même que l’on souffre d’un trouble psychique », explique Eric Parent, président du Groupe d’entraide mutuelle (GEM) Les Chtits Bonheurs. Des petits déjeuners thématiques existent également à Lyon : « Le fait de coanimer avec le psychiatre nous apporte beaucoup », renchérit Stéphane Masset, président du GEM Arlequin.

Autre approche pour interroger les représentations sur la santé mentale, l’art. A Lyon, une exposition photographique de portraits est en préparation dans différents lieux publics : « Professionnels, élus, usagers…, tous membres du CLSM, seront photographiés sans signe distinctif, explique Julie Donjon, coordinatrice des CLSM des IIIe et VIIIe arrondissements. Pour montrer ce qui nous rapproche, et décoller les étiquettes qui nous collent au front ou que l’on met sur les autres. Certaines, restant collées plus longtemps, en particulier lorsque l’on est passé par l’hôpital psychiatrique ou que l’on est en souffrance psychique. »

Notes

(1) Propos recueillis dans les ASH n° 2744 du 27-01-12, p. 25 – Cette association a été créée en octobre 2005 par des élus locaux afin de faire de la santé l’un des champs des politiques municipales.

(2) Disponible sur http://bit.ly/1FtBpWw.

(3) Le poste est alors financé uniquement par la collectivité locale ou cofinancé par la collectivité locale et l’ARS.

(4) Faches-Thumesnil, Ronchin, Hellemmes, Lezennes et Mons-en-Barœul.

(5) Disponible sur http://goo.gl/aXhGvO.

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