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Décloisonner l’enfance

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Le Petit Jardin, à Avignon, est un lieu atypique. Dédié à la petite enfance, il associe un IME, un Sessad, un accueil temporaire et une crèche ouverte aux enfants « ordinaires ». La mixité des publics et la diversité des dispositifs nécessitent une étroite coopération entre les équipes.

Dans le quartier de Montfavet, à Avignon, il fait froid et déjà nuit en cette fin d’après-midi de février. Dans l’entrée de la crèche du Petit Jardin, Marc Chabaud enfile des habits bien chauds à son fils de 6 ans, Adam, polyhandicapé. « A 2 ans et demi, Adam est entré d’abord ponctuellement à l’accueil temporaire du Petit Jardin[1]. Puis il a été admis à l’IME [institut médico-éducatif], et on a pu combiner cette prise en charge avec la crèche, le matin avant 9 heures et en fin d’après-midi, et l’accueil temporaire, de temps en temps. C’est fantastique pour Adam, qui bouge d’un service à l’autre, connaît tout le monde et est en contact avec des enfants ordinaires. Et pour nous, qui n’avons pas besoin d’assurer la coordination, les déplacements », sourit Marc Chabaud.

Juste à côté de la crèche, se trouvent le Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) et les cinq chambres dédiées à l’accueil temporaire. En traversant la cour, on rejoint les salles de l’IME. Partout, un mobilier de couleur, des jeux, des images sur les murs. Partout, des enfants assis, d’autres allongés, d’autres encore qui déambulent, sous l’œil attentif d’adultes qui les aident à jouer, à se mouvoir, à communiquer. Dans la crèche, dans la cour, ils se mêlent à des enfants qui marchent, jouent et babillent ou parlent, des enfants ordinaires(2).

Du temps pour convaincre les bailleurs de fonds

Le Petit Jardin est l’une des rares institutions en France qui accueillent des enfants âgés de quelques mois jusqu’à 7 ans révolus ayant un handicap sévère ou… pas de handicap. Ce lieu atypique, dédié à la petite enfance, est l’aboutissement de longues années d’expérience de terrain et d’échanges avec les bailleurs de fonds pour les convaincre du bien-fondé du projet. Créé en 1993 par le centre d’action médico-sociale précoce d’Avignon, l’établissement a été repris en 2007 par l’association La Bourguette. Elle en a fait son pôle « petite enfance », composé d’un IME (11 places), d’un Sessad (10 places) et d’un accueil temporaire (cinq chambres), répartis alors dans deux locaux différents.

En 2014, nouvelle étape : le Petit Jardin regroupe ces trois éléments dans un seul bâtiment construit sur-mesure, quatre fois plus grand (1 400 m2 ), et leur associe une crèche de 12 places qui intègre une halte-garderie spécialisée de cinq places pour les enfants handicapés. Les financeurs ont donné leur feu vert. La mairie d’Avignon a fourni le terrain à bas prix et l’ARS (agence régionale de santé) de Provence-Alpes-Côte d’Azur a pris en charge une partie de l’investissement, au côté du CCAH (Comité national de coordination de l’action en faveur des personnes handicapées) ainsi que de fondations(3). La PMI (protection maternelle et infantile) du Vaucluse et la CAF (caisse d’allocations familiales) ont soutenu la création de la crèche. Au total, la structure offre 52 places et emploie 40 personnes.

« L’idée est d’offrir de l’aide et du répit, des solutions souples et adaptables à des parents bien souvent épuisés et isolés d’enfants polyhandicapés, autistes, car ceux-ci ont besoin d’attention constante et de soins, explique Pascal Fauvel, directeur du Petit Jardin. Il s’agit aussi d’un lieu ouvert, non stigmatisant, où les enfants ordinaires ont leur place. » Car l’objectif est aussi de proposer un accueil collectif, comme il en existe pour tous les enfants. « Cela fait partie des choses normales : un enfant va à la crèche. C’est important aussi bien pour les parents que pour les enfants, argumente Christine Bonnauron, pédopsychiatre, chef du pôle “enfants Nord” au centre hospitalier de Montfavet. Les parents sont confortés dans leur position. Et cela leur permet une distance éducative, sinon c’est très enfermant et angoissant. Les enfants y gagnent aussi, pour leur socialisation et l’aide qu’apporte une prise en charge précoce. Les statistiques le montrent : les enfants vont mieux, ils s’intègrent plus facilement. » Mais très peu de crèches accueillent des enfants autistes ou polyhandicapés. De même pour les écoles. Et la plupart des IME sont ouverts aux enfants à partir de 6 ans. Le Petit Jardin a donc émergé dans ce no man’s land.

Le fait de se situer dans le secteur de la petite enfance à la frontière du handicap et du milieu ordinaire aide à vaincre les réticences des parents, qui ont, le plus souvent, une représentation négative des IME. « Beaucoup y vont à reculons. Ils y voient une mise à l’écart, et craignent que les enfants y soient négligés, voire maltraités. Et ils supportent mal d’être confrontés aux handicaps d’autres enfants. Offrir une porte d’entrée “petite enfance” telle que la crèche ou encore un accueil temporaire est rassurant. Tout est conçu et adapté pour les petits. Cela en fait un lieu accueillant », plaide Pascal Fauvel. Mais c’est aussi un défi, car cela signifie décloisonner et, selon lui, « désinstitutionnaliser ». Rien de nouveau sous le soleil. Le concept est ancien et a pris plusieurs visages. « Dans les années 1960-1970, une association comme La Bourguette est née de la volonté de parents et d’éducateurs de sortir les enfants de la psychiatrie hospitalière », rappelle le directeur du Petit Jardin. Désinstitutionnaliser, c’est, en l’occurrence, mêler les publics et coordonner plusieurs dispositifs, donc des intervenants aux compétences diverses, au jour le jour.

Des prises en charge adaptées au cas par cas

« La diversité des outils est très intéressante, elle permet de varier les prises en charge », apprécie Nicolas Henon, psychologue du Petit Jardin. En ce début d’année 2016, cinq enfants combinent l’accueil en IME ou en Sessad avec des heures de crèche et, de temps en temps, des passages à l’accueil temporaire. D’autres passent d’une structure à l’autre : ils ont commencé par la crèche ou par l’accueil temporaire et ont ensuite intégré le Sessad ou bien l’IME. « Tous les scénarios sont possibles », souligne Pascal Fauvel. Un jeune autiste est ainsi entré à la crèche à l’âge de 2 ans et demi, puis a été admis au Sessad au moment d’intégrer l’école. La coopération constante entre les équipes des structures d’accueil a permis d’aménager une période de transition et de faciliter le passage de l’une à l’autre. « Je suis allée observer l’enfant à la crèche, se souvient Maguelonne Uteschill, coordinatrice du Sessad. J’ai reçu sa maman avec la directrice de la crèche. Et elle est venue voir comment fonctionne notre service. Pendant l’été, nous avons invité son fils à deux sorties du Sessad avec l’éducatrice spécialisée de la crèche. En septembre, il est entré dans le service, et sa maman a participé à des moments d’accueil. »

Dans la crèche, enfants handicapés et ordinaires vivent ensemble au quotidien. Mais pas seulement. La mixité s’étend aux moments de récréation dans la cour, où les enfants de la crèche jouent au côté de ceux de l’IME. Des enfants ordinaires rejoignent aussi régulièrement des enfants de l’IME pour partager un repas ou pour participer à une activité (des contes théâtralisés et un atelier cuisine), ou encore pour une fête. « Le concept me plaît, témoigne Caroline Sommacal, mère de deux petites filles âgées de 1 an et de 2 ans et demi qui vont à la crèche. Apprendre la tolérance, ne pas avoir peur, ne pas mettre à l’écart un enfant en fauteuil roulant ou qui ne parle pas, c’est bien. Mes filles apprennent la langue des signes et bénéficient de la balnéothérapie, de l’espace de motricité, ce qu’il n’y aurait pas dans une crèche habituelle. »

De fait, les interactions entre les enfants sont multiples. « Les petits de la crèche stimulent les enfants de l’IME. Quand ils sont ensemble dans la cour, cela les habitue à être en groupe, avec des enfants qui bougent, courent, crient », note Nicolas Henon. « Les impacts sont divers sur les enfants handicapés, estime Aurélie Dufresne, directrice de la crèche et directrice adjointe du pôle “petite enfance”. Certains ne supportent pas le bruit, le groupe, d’autres le vivent bien et vont mieux. Par exemple, une petite fille arrivée à l’âge de 22 mois a évolué en quelques mois, elle s’est socialisée, a accédé au langage. Un garçon de 5 ans, qui partage son temps entre l’IME et la crèche, a également progressé. »

Le regroupement de quatre dispositifs différents et la mixité des publics dans le secteur de la petite enfance imposent une pluridisciplinarité plus importante qu’ailleurs. Dans la crèche, une éducatrice spécialisée travaille à temps plein. Et toutes les structures emploient des éducatrices de jeunes enfants. Cela bouscule les habitudes. « La présence au Sessad d’une éducatrice de jeunes enfants, qui travaille habituellement dans les structures d’accueil des tout-petits, apporte un autre regard. Elle connaît tout du développement de l’enfant, et n’est pas spécialisée dans le handicap », souligne Maguelonne Uteschill.

De même, à la crèche, l’auxiliaire de puériculture s’occupe de tous les enfants, sans exception. « Les professionnels qui ne connaissent pas les handicaps apportent une fraîcheur, des expérimentations. Ils s’occupent des enfants handicapés selon les mêmes rythmes que les autres, ils les incitent plus à l’autonomie », constate Nicolas Henon. Les professionnels venus du médico-social s’occupent, eux aussi, de tous les enfants et participent à toutes les tâches. Ils apportent une approche éducative liée à la connaissance des pathologies. « Nous avons introduit la stimulation sensorimotrice d’André Bullinger – par exemple, une planche sur laquelle l’enfant se met et qui amplifie les résonnances, les vibrations. C’est bien pour tous les enfants. Nous leur montrons aussi comment communiquer avec des signes, comme le permet le Makaton, un programme d’aide à la communication non verbale utilisé à l’IME », détaille Aurélie Dufresne.

Une dynamique « transdisciplinaire »

La dynamique est même « transdisciplinaire », insiste la directrice de la crèche, avec « une volonté de transmettre les connaissances et les compétences ». Ainsi, l’auxiliaire de puériculture a partagé son expérience de tout ce qui fait le quotidien d’une crèche, l’adaptation des rythmes, comment se composent les groupes d’enfants, etc. « Nous qui venons du médico-social avons transmis ce que nous savons du handicap », indique Aurélie Dufresne.

Les professionnels de la crèche peuvent également s’appuyer sur les ressources de l’IME et du Sessad. Le kinésithérapeute a montré les gestes appropriés à tous les professionnels. Le psychologue a expliqué les situations difficiles vécues par les parents d’enfants handicapés et les attitudes que cela peut générer. Il a formé les équipes à l’autisme : les comportements des enfants, le mode de communication avec eux, la sensorialité, l’aménagement de leur environnement. Il arrive même qu’un professionnel de l’IME intervienne ponctuellement, à la demande de l’équipe. « Je suis allé observer un enfant à la crèche, puis discuter avec ses parents », rapporte Nicolas Henon. De même, l’infirmière de l’établissement a été sollicitée à propos d’un enfant polyhandicapé porteur d’une gastrostomie pour l’accompagner lors des repas.

Enrichissante, la mixité des publics, des professionnels et des dispositifs dans un seul lieu présente d’autres atouts. Elle autorise le partage des équipements destinés aux enfants handicapés : la balnéothérapie et la salle Snoezelen. Elle facilite aussi ponctuellement des remplacements au pied levé et les parcours de mobilité interne. Mais elle exige avant tout une organisation d’une grande rigueur. Car « il n’y a pas de mécanique routinière, il faut en permanence se réajuster », note Pascal Fauvel. Progressivement, les équipes ont mis en place des dispositifs de coordination. « Quand un enfant est sur deux ou trois structures à la fois, son référent au sein de chacune d’elles est invité à la réunion où l’on échange sur sa situation, son projet. On se transmet les informations, précise le psychologue du Petit Jardin. Il faut de la cohérence, il faut harmoniser les manières de faire. » Pas seulement lors des réunions hebdomadaires, mais aussi au quotidien. Ce qu’illustre Laetitia Bonzi, infirmière : « Deux outils ont été adoptés, un document de traçabilité pour les médicaments, commun à tous les services, et un cahier de liaison qui suit l’enfant dans l’institution et jusqu’à la maison, où chacun note des informations. »

Un frein : le cloisonnement administratif

Le dispositif se heurte cependant à des difficultés administratives et économiques. La crèche et sa halte-garderie spécialisée sont notamment confrontées au cloisonnement de leurs partenaires, bailleurs de fonds et autorités légitimes chacune dans son domaine : l’ARS pour les enfants handicapés et la CAF pour les autres. Mais sur le terrain, pas de cloisonnement possible : il faut en permanence gérer des situations complexes et transitoires. « Comme les enfants handicapés sont petits, ils arrivent en début de parcours, alors que le diagnostic est en cours et qu’il n’y a pas encore de notification de la maison départementale des personnes handicapées, explique Aurélie Dufresne. Ils entrent provisoirement sur des places de la crèche financées par la CAF. Or cela pose problème. S’il y a plus d’enfants handicapés que le nombre prévu, cela représente une charge de travail en plus, alors que les tarifs de la CAF sont nettement plus bas que ceux de l’ARS et que nous devons rémunérer un personnel qualifié. Nous sollicitons ces partenaires au sein du comité de pilotage pour trouver des solutions. »

Malgré ces freins, la dynamique de la « désinstitutionnalisation » est bien à l’œuvre. Depuis son ouverture, le Petit Jardin tisse des liens avec les crèches municipales d’Avignon. « L’objectif est de développer l’accueil d’enfants handicapés dans toutes les crèches. Nous formons les équipes et répondons à leurs questions au cas par cas, décrit Pascal Fauvel. Par exemple, les professionnels ont souvent des idées préconçues sur l’épilepsie, alors que les enfants ont des traitements et que les crises sont rares. Il suffit bien souvent de mettre les enfants en sécurité. » Pour développer l’accueil temporaire des enfants handicapés la nuit, le week-end et pendant les congés scolaires (voir encadré page 22), le Petit Jardin travaille en réseau, de manière à offrir ses services aux familles sur un large territoire. Lors de la rentrée 2015, l’établissement a également ouvert dans une école d’Avignon une unité d’enseignement maternelle « autisme », en réponse à un appel à projets de l’ARS. Un nouveau pas en avant vers le décloisonnement entre handicap et milieu ordinaire.

FOCUS
Quel impact de l’accueil temporaire ?

Le mardi soir, le week-end, et pendant les congés scolaires, le Petit Jardin offre cinq places d’hébergement en accueil temporaire pour que les parents ayant des enfants lourdement handicapés exercent leur droit au répit : 90 jours par an, à la carte, pris en charge par l’ARS de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Pour les enfants, c’est un temps de loisir dans un lieu de socialisation, qui leur permet de se séparer brièvement de leurs parents. « J’ai été très surpris de l’impact sur les familles, confie Nicolas Henon, psychologue au Petit Jardin. Cela leur rend énormément service, car les enfants très handicapés peuvent avoir des problèmes de sommeil et demandent beaucoup d’attention. C’est pourquoi l’accueil temporaire apaise la situation à la maison. Les parents, une fois qu’ils se sont reposés, qu’ils ont soufflé, sont plus disponibles pour leurs enfants. Cela a un impact thérapeutique. » Pour les professionnels, c’est plus complexe : certains enfants ne font que passer, et arrivent parfois en situation de crise. « L’enjeu est aussi de donner du sens à l’accueil de l’enfant, de l’insérer dans un accompagnement global », commente Jean-Jacques Olivin, directeur du Groupe de réflexion et réseau pour l’accueil temporaire des personnes en situation de handicap (GRATH).

Notes

(1) Le Petit Jardin : 680, chemin de la Forêt – ZA Agroparc – 84140 Montfavet – Tél. 04 90 27 06 86 – accueil@labourguette.org.

(2) Les professionnels du Petit Jardin qualifient les enfants sans handicap d’« ordinaires ». Nous avons adopté cette terminologie.

(3) La fondation Otis a financé en partie l’espace Snoezelen. La fondation CMA CGM a contribué à la création de l’espace dédié à la balnéothérapie.

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