« La loi du 26 janvier 2016 portant modernisation de notre système de santé restera probablement dans les mémoires pour avoir généralisé le dispositif du tiers payant et les remous qu’elle a suscités. Elle comporte néanmoins de nombreuses autres dispositions, dont six ont une incidence sur le secteur social et médico-social.
1. Un schéma régional de santé unifié. Au chapitre : “Renforcer l’animation territoriale conduite par les agences régionales de santé (ARS)“, l’article 158 redéfinit le projet régional de santé (PRS) et le schéma régional de santé (SRS). Désormais, le PRS ne comporte plus que deux éléments : un cadre d’orientation stratégique, fixant les objectifs et les résultats attendus à dix ans ; un SRS, remplaçant les trois schémas régionaux de la loi « HPST » sur la prévention (SRP), les soins (SROS) et le médico-social (SROMS).
Les “objectifs opérationnels” du nouveau dispositif portent désormais notamment sur “la continuité et la pertinence des prises en charge sanitaires et médico-sociales ainsi que sur l’organisation des parcours de santé, notamment pour les personnes atteintes de maladies chroniques et les personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie”. Ces dispositions ont essentiellement une portée symbolique visant à garantir le continuum “prévention-soins-médico-social”. De facto, la composante “SROMS” subsiste implicitement, mais dans l’indivision avec le sanitaire. Espérons que les ARS sauront mettre en synergie les trois anciens volets au sein du nouveau SRS, en évitant des juxtapositions sans passerelles efficientes.
2. La politique de santé mentale réorganisée. L’article 69 réforme en profondeur la conception de notre politique de santé mentale. Neuf concepts sont redéfinis ou définis pour la première fois : la politique de santé mentale, le projet territorial de santé mentale, les parcours de soins et de vie, le diagnostic territorial partagé en santé mentale, les contrats territoriaux en santé mentale, les conseils locaux de santé mentale, l’activité de psychiatrie, la mission de psychiatrie de secteur, les communautés psychiatriques de territoire.
Outre la très forte territorialisation des actions à conduire par les ARS, on notera ici une construction juridique “en poupées gigognes” : la psychiatrie de secteur est un sous-ensemble de “l’activité de psychiatrie” qui est un sous-ensemble de la politique de santé mentale, cette dernière associant les acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux concernés, incluant donc les acteurs de la prévention, du logement, de l’hébergement et de l’insertion.
Il s’agit là d’une vraie tentative de dépassement d’une organisation “sanitaro-centrée”, afin de faciliter (dixit le législateur) des “parcours de soins et de vie de qualité et sans rupture”. Mais la loi ne va pas jusqu’au bout en ne créant pas le lien nécessaire entre maladie mentale et handicap psychique, deux concepts étroitement intriqués. Si, pour les troubles mentaux au long cours, les soins (continus ou discontinus) sont indispensables, s’agissant des handicaps psychiques qui en résultent, les accompagnements sociaux ou médico-sociaux (continus ou discontinus) sont incontournables pour favoriser ou maintenir l’insertion sociale. Les “troubles de santé invalidants” (locution figurant dans la loi de 2005 pour définir le handicap) nécessitent donc une articulation forte entre le sanitaire et le social, pour réussir l’insertion. L’accompagnement des personnes handicapées psychiques est une composante essentielle de notre politique de santé mentale. L’occasion d’établir une connexion claire entre le code de la santé publique et le code de l’action sociale et des familles n’a pas été saisie.
3. Les parcours de santé complexes. L’article 74 introduit la notion très intéressante de “parcours de santé complexes“, c’est-à-dire “lorsque l’état de santé, le handicap, ou la situation sociale du patient rend nécessaire l’intervention de plusieurs catégories de professionnels de santé, sociaux ou médico-sociaux”. Notons ici le mot “patient”, plus approprié pour traiter d’un parcours de soins que de santé…
L’article organise un dispositif de fonctions d’appui, par convention entre l’ARS et les acteurs, notamment des “plateformes d’appui à la coordination des parcours de santé complexes”. Toutefois un tel dispositif – parfaitement fondé – reste “sanitaro-centré” dans sa gestion, puisqu’il ne peut être déclenché que par le médecin traitant et mis en œuvre que par une équipe de soins primaires ou par une communauté professionnelle territoriale de santé. Le législateur inclut dans la définition de la complexité la coordination des acteurs de santé, sociaux ou médico-sociaux, mais confie la gestion du dispositif aux seuls professionnels de santé…
4. L’expérimentation de projets d’accompagnement des personnes souffrant d’une maladie chronique et des personnes handicapées. L’article 92 organise, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans (2016-2020), des projets d’accompagnement sanitaire, social et administratif. Ils ont “pour but l’autonomie de la personne”. Ces personnes pourront “disposer des informations, des conseils, des soutiens et des formations leur permettant de maintenir ou d’accroître leur autonomie, de participer à l’élaboration du parcours de santé les concernant, de faire valoir leurs droits et de développer leur projet de vie”. Une convention est conclue à ce titre entre le ministre chargé de la santé (mais pas celui des affaires sociales), les ARS et les acteurs de santé (mais pas sociaux et médico-sociaux) volontaires. Les projets pilotes et leur périmètre territorial sont fixés par arrêté ministériel et leur financement est individualisé.
Si ces dispositifs sont pertinents, leur dimension sociale est mise en œuvre par les seuls professionnels de santé. Ici encore, l’articulation du sanitaire et du social n’est pas explicitement prévue.
5. Le « dispositif ITEP » légalisé. L’article 91 légalise un dispositif expérimenté par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie dans six régions, depuis 2013(2). Il concerne les enfants et adolescents présentant des troubles du comportement handicapants. L’enjeu de ce “dispositif intégré” est d’organiser des plateformes de services (internat, externat, suivi ambulatoire) favorisant les parcours fluides de ces populations par des accompagnements diversifiés et modulables. La loi a prévu un décret fixant le cahier des charges de ces dispositifs, qui doivent conclure une convention avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les ARS, les organismes de protection sociale et les rectorats.
Ce système procède à des décloisonnements utiles au sein des accompagnements du secteur médico-social (ITEP, IME, Sessad…) en lien avec l’Education nationale. Mais il reste “infirme”, car il n’intègre pas explicitement les services de psychiatrie infanto-juvénile (segment sanitaire de la compétence des ARS), les services de protection judiciaire de la jeunesse (compétence de l’Etat) et ceux de l’aide sociale à l’enfance (compétence des conseils départementaux). Des cloisonnements vont subsister entre le sanitaire et le médico-social et avec le social. La juxtaposition des décideurs et des acteurs ne favorise pas la fluidité des parcours qui reste à organiser sur un clavier autrement plus large que le seul segment “MDPH-médico-social-Education nationale”…
6. Le plan d’accompagnement global pour certaines personnes handicapées. L’article 89 découle de certaines préconisations du rapport « Piveteau », qui concerne les personnes handicapées dans l’impossibilité de trouver des accompagnements adaptés. Le législateur crée, en sus du plan personnalisé de compensation du handicap, un plan d’accompagnement global (PAG) pour les personnes confrontées soit à l’indisponibilité ou à l’inadaptation des réponses connues, soit à la “complexité de la réponse à apporter ou de risque ou de constat de rupture du parcours de la personne”.
Le PAG est élaboré par les équipes pluridisciplinaires de la MDPH. Il identifie nominativement les établissements, services ou dispositifs sociaux ou médico-sociaux correspondant aux besoins de la personne, la nature et la fréquence des interventions dans un objectif d’inclusion, l’engagement des acteurs chargés de sa mise en œuvre et il désigne parmi eux un coordonnateur de parcours. Un groupe opérationnel de synthèse (GOS), associant les professionnels concernés, peut être réuni pour l’élaboration ou l’actualisation (au moins une fois par an) du PAG.
Souhaitons que ce dispositif, particulièrement bienvenu, puisse être évalué lors de sa mise en œuvre. Mais aussi que les établissements de santé (et plus particulièrement les secteurs de psychiatrie) puissent participer en tant que de besoin au PAG et au GOS, ce qui n’est pas prévu explicitement.
En conclusion, ces dispositions s’acheminent, non sans timidité, dans la bonne direction. Certaines contribueront à des décloisonnements entre le sanitaire et le social, d’autres beaucoup moins, voire pas du tout. Le législateur fait des efforts louables pour penser la transversalité des parcours, mais des progrès substantiels restent à faire : l’injection de la dimension sociale et médico-sociale dans les dispositifs principalement sanitaires (art. 69, 74 et 92) est insuffisante tout comme l’introduction de la dimension « soins » dans les articles à dominante sociale et médico-sociale (art. 89 et 91). Le gouvernement et le parlement ont subi l’influence de groupes de pression, dont la qualité première n’est pas de pratiquer un œcuménisme en matière d’interactions entre le sanitaire et le social. De plus, les partages de compétences entre le sanitaire et le social découlant d’une décentralisation mal pensée ne sont pas de nature à rapprocher les deux continents et sous-continents. Il en est de même des contenus des formations des acteurs des deux champs organisées en silos… Les six articles sont le reflet et la conséquence de ces imperfections organisationnelles et culturelles. »