Recevoir la newsletter

« Notre objectif est, autant que possible, de reconstruire de manière pérenne »

Article réservé aux abonnés

Chaque année, les catastrophes naturelles et les conflits privent des centaines de milliers de personnes de logement. Depuis 2001, la fondation Architectes de l’urgence(1) intervient, en France et à l’international, pour la mise en sécurité des bâtiments et leur reconstruction. Patrick Coulombel, son cofondateur et coordonnateur, détaille l’action de cette ONG pas comme les autres.
Comment est née la fondation Architectes de l’urgence ?

Lors des inondations catastrophiques qui se sont déroulées au printemps 2001 dans la Somme, il y a eu près de 3 000 sinistrés et 1 500 habitations ont été endommagées. Je suis originaire de ce département et avec quelques confrères architectes, nous nous sommes associés pour réaliser des expertises de mise en sécurité. Depuis, la fondation a pris de l’ampleur. Aujourd’hui, nous faisons travailler en moyenne 500 personnes à temps plein par an. Ce chiffre comprend les équipes implantées en France et celles qui interviennent à l’international, y compris les collaborateurs locaux. Nous travaillons en effet essentiellement à l’international, avec quelques opérations en France, où les acteurs sont déjà nombreux dans le secteur de la construction.

Quelles sont vos missions ?

La principale concerne la sécurisation des bâtiments après des catastrophes naturelles ou des conflits. Nous mettons aussi en œuvre des opérations de reconstructions d’urgence de logements et d’infrastructures, souvent des hôpitaux et des écoles. De manière un peu plus épisodique, nous menons des opérations de sécurisation et de réhabilitation à plus long terme. Nous avons également développé un dispositif de formation ouvert à des architectes et des ingénieurs. Au niveau international, nous sommes à peu près les seuls à intervenir de cette façon.

Comment êtes-vous financés ?

En partie par la générosité publique. Nous avons également noué des partenariats avec des organisations officielles comme l’UNHCR [Agence des Nations unies pour les réfugiés], l’Office humanitaire de la Commission européenne, l’Unicef ou, en France, l’Agence française pour le développement et le Conseil national de l’ordre des architectes. Nous sommes également partenaires d’ONG telles que Médecins sans frontières, Caritas, la Fondation Abbé-Pierre ou Welthungerhilfe. Enfin, des entreprises, notamment du secteur du bâtiment, nous soutiennent.

De quelle façon se déroule une intervention ?

En premier lieu, nous essayons de faire ce que nous appelons une « analyse de la typologie locale » portant sur les matériaux utilisés, les méthodes de construction, l’historique des bâtiments, etc. L’objectif est, autant que possible, de reconstruire de manière pérenne, même si c’est parfois compliqué. A Haïti, par exemple, les constructions étaient traditionnellement en bois, mais aujourd’hui il n’y a plus de forêt dans ce pays. Tout a été coupé… Nous essayons donc de trouver des filières de matériaux écologiques adaptés pour des solutions durables. Nous mettons à disposition des équipes de terrain des concepts pour des constructions définitives, rapides à mettre en œuvre. Nous avons souvent recours aux savoir-faire locaux, mais nous devons aussi former les équipes sur place car, dans un certain nombre de pays, les gens ne savent pas lire, ce qui pose problème pour déchiffrer un plan. Nous formons aussi les équipes locales aux techniques de construction parasismiques ou paracycloniques. Tout cela doit évidemment aller le plus vite possible. Aux Philippines, en 2013, nous avons démarré la construction de plusieurs écoles deux semaines après le passage d’un cyclone, et elles ont été livrées deux mois et demi plus tard. Nous sommes capables de faire des maisons neuves en trois mois. C’est évidemment une logistique particulière qui n’est pas facilement reproductible.

Lorsque vous intervenez sur une reconstruction, associez-vous les habitants ?

Ce volet participatif doit nécessairement être limité. Nous évitons, dans les situations d’urgence, de faire des grandes réunions avec tous les habitants. Si l’on discute pendant trois mois pour mettre tout le monde d’accord, c’est autant de temps perdu pour la reconstruction. Cette participation se fait donc essentiellement via les élus et les représentants des communautés concernées. L’animation communautaire se fait seulement pour des opérations à plus long terme, dans le domaine de l’urbanisme, avec des projets dont l’échéance est au minimum d’une année.

Les interventions d’urgence en France sont-elles très différentes de celles qui sont menées dans des pays plus pauvres ?

En France, il existe un tissu associatif extrêmement développé qu’on trouve peu ailleurs. En outre, le cadre juridique est assez contraignant et complexe en ce qui concerne la construction. C’est en général plus simple dans des pays pauvres ou émergents. Enfin, nous sommes attentifs à ne pas empiéter sur les prérogatives des architectes locaux. Nous ne sommes pas là pour leur prendre leur travail. Pour toutes ces raisons, nous n’intervenons qu’épisodiquement en France. Il y a eu cependant l’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001, les inondations dans le Gard en 2002, et celles dans le Var en 2010. Il s’agit de situations d’urgence où il faut évaluer la dangerosité des bâtiments touchés et les sécuriser.

Depuis 2014, vous intervenez sur un site à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Quel était l’objectif ?

La ville et l’OPHLM étaient propriétaires d’une ancienne serrurerie industrielle occupée depuis 2011 par 300 personnes, dont des familles avec des enfants. Or ce lieu n’était absolument pas sécurisé et présentait de véritables risques d’accidents et de sinistres. La ville souhaitait permettre le maintien de ces personnes sur le site, et nous a donc demandé de stabiliser le bâtiment sur le plan de la sécurité. Nous avons ainsi installé des sorties de secours, un éclairage de sécurité et un réseau électrique conforme. Nous avons également isolé les murs avec des matériaux ininflammables, aménagé de façon différenciée les espaces communs et les dortoirs et dégagé de l’espace pour une gestion efficace des circulations et des évacuations.

Sur ce type de projet, travaillez-vous en partenariat avec les services sociaux ?

Les acteurs sociaux sont évidemment nombreux sur de tels projets, et nous n’avons pas à empiéter sur leur travail. Mais ils doivent être conscients que, lorsqu’on souhaite engager des travaux d’amélioration dans un bâtiment, il est important de savoir qui sont ses habitants et, au moins, combien ils sont. Quatre ou douze personnes vivant dans une même pièce, ce n’est pas la même chose en termes d’évacuation. Il y a là une vraie responsabilité. Un autre point important concerne les habitudes alimentaires, qui diffèrent selon les origines des gens. Mais, en France, il existe un certain nombre de règles d’hygiène à respecter, surtout lorsqu’il s’agit de faire manger 150 personnes dans un local. Certaines mauvaises habitudes font courir des risques aux personnes, mais aussi aux acteurs sociaux qui les accompagnent. Si l’on veut créer une cantine, ça ne peut pas être n’importe comment. Or il me semble qu’il y a parfois un peu de flottement en la matière chez les intervenants sociaux, par simple méconnaissance des règles. D’une façon générale, sur ces questions d’hygiène alimentaire et de sécurité des locaux, il serait peut-être utile de mieux les former ainsi que les responsables associatifs.

La fondation a développé un abri d’urgence de longue durée. Pour quel public ?

Cet abri a été développé sans spécification réelle quant à son lieu d’utilisation, même si je ne suis pas certain qu’il soit adapté aux camps de réfugiés implantés en Europe. Notre objectif est plutôt sa pérennité dans le temps, notamment sur des lieux de catastrophes. Il s’agit d’un abri de type tente-tunnel de grande taille, garanti pour une durée de vie de trois ans. Cette période est suffisamment longue pour nous laisser mener à bien une reconstruction définitive, ce qui évite de dépenser une partie de l’aide dans un habitat transitoire.

Prendre en compte les questions architecturales, est-ce aussi une façon de lutter contre la pauvreté ?

Actuellement, un tiers de la population mondiale est mal logé et n’a pas accès à l’eau potable. Et la population va encore augmenter de un à deux milliards à l’horizon 2050. On imagine les dégâts humanitaires qui pourront se produire à la suite de catastrophes, de changements climatiques ou de conflits. Il faut donc réfléchir dès maintenant à la façon d’aider ces populations à vivre de façon à peu près satisfaisante, dans des pays où il n’existe aucune infrastructure en termes de logement social. C’est l’enjeu de demain matin et, pour notre fondation, c’est là où il y a le plus à faire.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

L’architecte Patrick Coulombel est cofondateur et coordonnateur technique de la fondation Architectes de l’urgence. Il a également contribué à la création des sections Emergency Architects implantées au Canada et en Australie. Il est l’auteur d’Itinéraire d’un architecte brut de décoffrage (éd. L’Harmattan, 2013).

Notes

(1) www.archi-urgent.com.

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur