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Héberger la famille ou protéger les enfants ? »

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De longue date, on sait que la répartition des compétences en secteurs cloisonnés, tant rationnel qu’en ait été le principe, conduit à des difficultés récurrentes. Dans le champ de l’action sociale, le Conseil d’Etat a dû une nouvelle fois affronter ce problème et lui apporter une solution(1). Un département qui assumait pendant un temps le coût de prise en charge de l’hébergement en hôtel d’une mère isolée et de ses trois enfants de 4 à 14 ans a considéré qu’il s’agissait là d’une dépense indue pour lui et a refusé de poursuivre le versement de l’aide. La raison invoquée était qu’une telle aide relevait de l’aide sociale à l’hébergement, et non de l’aide sociale à l’enfance, ce qui en transférait la charge vers les services de l’Etat, collectivité publique compétente en la matière.

Ainsi, une même situation – en l’occurrence une famille monoparentale dépourvue de logement – conduit, selon l’interprétation qu’on lui donne, à référer sa prise en compte à deux filières distinctes : s’agit-il d’un problème de logement d’une famille en difficulté ou de circonstances mettant en danger la sécurité des enfants ?

Dans sa décision, la juridiction administrative a tranché, considérant que cette famille relevait d’une prise en charge au titre de l’aide sociale à l’hébergement. Selon le juge, seules les mères isolées en charge d’enfants de moins de 3 ans ont besoin d’un soutien matériel mais aussi psychologique, notamment lorsqu’elles sont sans domicile. Elles relèvent alors de l’aide sociale à l’enfance. Dans cet argumentaire, la partition s’opère essentiellement autour d’un critère d’âge des enfants. Si l’on tente de découvrir ce qui commande implicitement le partage selon la juridiction, on pourrait avancer que le fait d’avoir en charge des enfants en bas âge générerait en lui-même un besoin d’intervention spécifique que l’ASE est à même d’assurer, alors qu’au-delà de 3 ans, les enfants, pris en compte comme membres du groupe familial, ne nécessitent que la prestation en nature que constitue l’aide à l’hébergement.

De tels cas d’espèce incitent évidemment à la réflexion. Tout d’abord, et bien que l’on comprenne la logique du Conseil d’Etat, on peine à se convaincre que la fourniture d’un hébergement suffit quand le bas âge à lui seul commanderait au contraire l’intervention plus complexe de services spécialisés dans la protection de l’enfance. On inclinerait plutôt à considérer que les situations réelles sont très variables dans leur nature et dans leurs effets, ce qui devrait amener à relativiser les barrières d’âge en leur préférant une prise en compte des données de fait : dans certains cas, quel que soit l’âge des enfants, un soutien plus consistant peut se révéler opportun quand, dans d’autres, la fourniture d’un hébergement peut suffire. Mais alors les deux systèmes d’aide, conçus à partir de présupposés et de représentations distinctes, devraient être reconsidérés puisque les publics concernés ont considérablement changé, notamment avec la multiplication de cas de familles monoparentales chargées d’enfants de tous âges, certaines ne nécessitant qu’un appui matériel, quand d’autres connaissent des difficultés mettant les enfants en danger. On pourra, certes, objecter que, si c’est le cas, l’ASE interviendra en sus des services de l’Etat : mais voilà que surgit le problème de la coopération et du partenariat, que l’on sait redoutable…

On se heurte de fait à la répartition cloisonnée et catégorielle des compétences entre collectivités publiques, établie pour des raisons qui pouvaient avoir initialement une certaine logique. Mais les publics et leurs difficultés évoluant fortement, ce modèle manifeste des limites évidentes, les réalités correspondant beaucoup moins bien aux codages juridiques. Or, alors même que tout cela est parfaitement connu, et malgré trois étapes successives de décentralisation, aucune réflexion sérieuse n’a été conduite ni n’a abouti en ce qui concerne les principes commandant la répartition des attributions en matière d’action sociale. On a procédé pour l’essentiel à une redistribution en s’en tenant aux conceptions d’origine. Les juges font alors ce qu’ils peuvent, lorsqu’ils sont saisis, pour trouver des principes directeurs permettant d’opérer un partage. Mais la loi s’imposant, ils ne peuvent seuls rebâtir un modèle d’intervention mieux à même de répondre à la réalité des situations. Héberger la famille et protéger les enfants constituent donc deux formes distinctes d’intervention publique. Pour identifier le payeur, cela a le mérite d’être clair, mais pour appréhender la complexité croissante des situations sociales, c’est probablement moins pertinent.

Notes

(1) Conseil d’Etat, 30 mars 2016, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 382 437.

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