L’Etat est tenu de loger dignement chacun et d’héberger sans condition toute personne en situation de détresse. Dans les faits pourtant, et malgré ses engagements (résorption des nuitées hôtelières, augmentation des capacités des centres d’accueil pour les demandeurs d’asile, maintien des crédits du logement accompagné…), on en est loin ! Selon la Fondation Abbé-Pierre, 3,8 millions de personnes sont mal logées, 115 000 ménages sont menacés chaque année d’une expulsion locative pour impayés de loyer et plus de 140 000 personnes sont sans abri. Or, avec une production de logements sociaux qui stagne (loin de l’engagement de 150 000 par an), la pénurie de logements accessibles n’est pas près de s’atténuer. En outre, faute de places disponibles, le 115, saturé, laisse un grand nombre de personnes à la rue.
Dans ce contexte, la réalisation, dans les départements, de diagnostics territoriaux dits « à 360° » vise à mettre de l’huile dans les rouages. Issue du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté en janvier 2013, cette disposition, largement défendue par les associations, reprend une préconisation phare du rapport « Régnier-Robert » consacré à l’hébergement et à l’accès au logement(1). Il s’agit de « disposer, sur chaque territoire, d’une vision objectivée, globale et partagée, des problématiques des personnes – de la rue aux difficultés d’accès ou de maintien dans le logement – mise en perspective avec l’offre existante », selon l’instruction ministérielle du 18 août 2014 qui encadre le dispositif(2). Objectif sous-jacent : posséder des données fiables pour adapter l’offre en fonction des besoins réels des personnes.
Après une phase d’expérimentation conduite dans treize territoires de juin 2013 à avril 2014, la démarche a été généralisée à l’été 2014. Pour faciliter ce déploiement, les acteurs ont bénéficié d’un guide d’accompagnement, annexé à l’instruction de 2014, qui comprend un kit méthodologique et une maquette destinée à servir de socle commun à tous les départements. En outre, les services chargés de mettre en musique les diagnostics au niveau des départements – les directions départementales de la cohésion sociale, les directions départementales des territoires et de la mer et, dans la mesure du possible, les conseils départementaux – ont pu s’appuyer sur le cabinet de conseil Kurt-Salmon(3) et sur les directions régionales (de l’environnement, de l’aménagement et du logement, et de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale). Or, malgré cette mobilisation, l’objectif d’un premier diagnostic dans chaque département au premier semestre 2015 n’a pas été tenu. Bien que l’ensemble des territoires ait investi la démarche, seuls deux tiers d’entre eux ont rendu leur rapport dans les délais impartis. A la fin mars, 83 diagnostics sur 102 étaient finalisés.
Ce retard à l’allumage n’empêche pas les associations de saluer globalement la démarche, qui rapproche les acteurs de l’hébergement, du logement accompagné, du logement ordinaire et de l’accompagnement vers le logement. « Les diagnostics à 360° ont le mérite de regrouper les problématiques de ces secteurs dans un document unique. Prendre en compte les besoins de la rue jusqu’au logement permet de mettre un terme à la sectorisation entre le secteur de l’hébergement et celui du logement », analyse Anne Cinget, chargée de mission à la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL). « Les diagnostics offrent la possibilité de sortir de la vision parcellaire qui laissait de côté une partie des publics, en particulier ceux en risque de mal-logement, et d’avoir une approche qui intègre les dimensions sociale et économique dans un cadre interministériel. Ce qui permet de connecter les questions liées au logement et à l’hébergement à celles de la santé, du droit d’asile, des jeunes… », renchérit Ninon Overhoff, chargée de mission « hébergement et logement » à la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS).
L’idée selon laquelle seule une vision d’ensemble coconstruite reposant sur l’implication de tous – services de l’Etat, collectivités territoriales, partenaires institutionnels, bailleurs, associations et usagers – peut permettre de programmer une offre en fonction des besoins réels, fait désormais consensus. « Se mettre tous autour d’une table pour travailler de concert est une condition indispensable pour poser les bons constats et trouver des pistes d’amélioration efficaces », insiste Aldo Maggiore, membre du comité consultatif régional des personnes accueillies-accompagnées de Midi-Pyrénées et du comité de pilotage national des diagnostics à 360°. Dans cette perspective, la démarche doit s’appuyer sur des instances de concertation et des réunions partenariales. « A l’exception d’une minorité de départements qui se sont contentés de rentrer les indicateurs chiffrés dans la maquette type – souvent des départements ruraux sans moyen humain suffisant –, les partenaires ont correctement joué le jeu et dépassé la logique quantitative », observe Anne Cinget.
Le département de l’Hérault fait figure d’exemple. Pilotée par les services de l’Etat et le conseil départemental, la démarche a associé les bailleurs, les collectivités territoriales, les associations de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion (AHI) et les usagers, à travers quatre groupes de travail thématiques(4) réunis chacun trois ou quatre fois. Parallèlement, des réunions territoriales ont permis de mettre à jour les problématiques propres à certaines zones géographiques : concentration de l’offre spécialisée au sein de Montpellier-Métropole, insuffisance de places pour les publics spécifiques dans certains secteurs, absence d’aide alimentaire dans plusieurs territoires… « On fait des diagnostics depuis longtemps. La nouveauté a été l’aspect multipartenarial, avec la volonté de réunir le maximum d’acteurs. Certaines rencontres ont compté jusqu’à une trentaine de participants ! », raconte Fabrice Clastre, responsable du pôle « logement, accès et maintien » de la DDCS de l’Hérault. « Grâce aux diagnostics, nous avons retrouvé une impulsion locale qui s’était perdue », se félicite Frédérique Mozer, directrice de la Fondation Abbé-Pierre du Languedoc-Roussillon.
Cette dynamique a notamment permis « de mieux repérer les compétences présentes sur le territoire, relève Olivier Lehmann, responsable du pôle « ingénierie sociale » à la DDCS de la Sarthe, un département qui avait participé à la phase expérimentale. Par exemple, en matière d’accompagnement vers le logement, nous travaillons désormais avec une association d’éducateurs animaliers que nous sollicitons lorsque des locataires avec des animaux posent des difficultés dans un logement social. » Plus globalement, la réalisation des diagnostics a donné lieu à un approfondissement des relations avec les acteurs de la gériatrie, de la santé mentale, de l’aide sociale à l’enfance, de la prévention spécialisée, de la prévention judiciaire de la jeunesse… « Mieux connaître nos partenaires a un impact très concret : cela facilite l’orientation des usagers », observe Sylvie Emsellem, chargée de mission à l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) (voir encadré ci-dessous).
La démarche a aussi mis en exergue les besoins d’un territoire. « Elle a révélé des problématiques jusque-là inconnues ou objectivé des besoins déjà repérés mais peu visibles, en particulier en matière de coordination sanitaire et sociale ou en direction de publics précis comme les jeunes, les femmes victimes de violence ou les personnes qui présentent des troubles psychiques… », explique Anne Cinget. Dans l’Hérault, « on avait plutôt tendance à pointer l’attractivité du territoire et à passer sous silence ses lacunes. Le diagnostic a eu l’intérêt de réaffirmer la pénurie de places d’hébergement à Montpellier, l’absence de centres maternels et les manques en matière de suivi sanitaire », confirme Frédérique Mozer. Sans compter que les diagnostics ont parfois donné envie d’approfondir certaines thématiques émergentes : dans les Pays de la Loire, deux études – l’une sur les maisons-relais et l’autre sur l’intermédiation locative – ont été lancées en 2015 par la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et viennent d’être bouclées.
Mais cette vision à 360° est avant tout un outil d’aide à la décision afin d’améliorer l’offre d’hébergement et de logement. « Ces diagnostics vont permettre de construire des politiques publiques de façon plus éclairée, en particulier au niveau départemental et infradépartemental », estime Anne Cinget. Ils devraient en particulier venir renseigner les différents documents de planification, dont le plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD)(5). Dans l’Hérault, il est d’ores et déjà prévu que le diagnostic, qui a donné lieu à une feuille de route AHI (en cours de validation par les partenaires), servira de socle à l’élaboration de ce plan dont la signature est prévue à la fin de l’année : « Nous allons profiter de l’élan créé par le diagnostic à 360° pour travailler tous ensemble sur les actions qui y figureront », explique Fabrice Clastre. Les diagnostics ne peuvent cependant se contenter d’orienter les outils de programmation au le plan local : « Ils doivent aussi permettre à l’Etat de réaliser des choix pertinents avec une traduction budgétaire », souligne Juliette Furet, responsable du département des politiques sociales à l’Union sociale pour l’habitat (USH) (6). « Pour qu’ils ne restent pas lettre morte, il faut qu’ils aient un impact sur les allocations des ressources », insiste Ninon Overhoff.
Pour l’heure, aidée du cabinet de conseil Kurt-Salmon, la DGCS a conçu un outil informatique destiné à agréger les données des diagnostics à 360° en vue de la réalisation de synthèses régionales. Prévues pour être achevées à la fin du premier trimestre 2016 – seules onze l’étaient à la fin mars –, ces synthèses (qui s’appuient aussi sur une maquette type) sont destinées à faire émerger les thématiques transversales, « ce qui va dans le bon sens », estime Ninon Overhoff. « Elles devraient permettre d’arriver prochainement à des décisions en termes d’évolution de l’offre », selon François Lebrun, chef de projet à la FNARS des Pays de la Loire.
Côté associations et usagers, les attentes sont grandes. « Si le travail réalisé ne se transforme pas en solutions effectives, ils vont être terriblement déçus », met en garde Frédérique Mozer. Et « cela ne pourrait que démobiliser les acteurs qui y ont participé », renchérit Sylvie Emsellem. Dans la Sarthe, département pilote plus avancé dans la démarche, le diagnostic à 360° est d’ores et déjà à l’origine de trois actions innovantes visant à mieux coordonner les acteurs et à éviter les ruptures de prise en charge. La première, menée en partenariat avec l’aide sociale à l’enfance, les missions locales, la prévention spécialisée, le conseil départemental et les associations d’accompagnement vers le logement, propose à des jeunes en risque de se retrouver à la rue un accompagnement dans des résidences sociales en diffus. La deuxième vise à créer cinq plateformes locales de coordination afin de favoriser le maintien dans le logement, en particulier en cas de difficulté de santé. Quant à la troisième action, elle porte sur les échanges de pratiques entre accompagnateurs vers le logement pour mieux coordonner leurs interventions. « Cela a permis de diminuer de façon conséquente les expulsions locatives, les hospitalisations psychiatriques sans consentement et les troubles de voisinage », se félicite Olivier Lehmann.
Malgré ces réussites, la démarche n’a pas eu partout les résultats escomptés. Tout d’abord, la concertation a été menée de façon variable selon les territoires. Ici et là, certains acteurs ont été « oubliés » – par exemple, les bailleurs, le secteur de l’aide alimentaire ou les associations représentatives des gens du voyage. Quant aux personnes accompagnées, malgré les préconisations de la circulaire, elles n’ont pu s’investir dans la démarche que de façon très disparate. En outre, « dans certains territoires, le conseil départemental et l’Etat ont travaillé en amont avant de présenter leurs conclusions au monde associatif selon une démarche très descendante, ce qui a conduit à discréditer un peu l’approche », regrette Ninon Overhoff. Et de souligner les progrès encore à faire pour que les diagnostics associent davantage les communes et les intercommunalités – qui décident de la programmation et de la production de l’offre de logements et ont également des compétences d’action sociale et d’accompagnement.
A cela s’ajoute le manque de temps. « Déjà surmenés en matière d’hébergement et de logement, les services déconcentrés, même s’ils étaient convaincus de l’intérêt de la démarche, ont eu parfois des difficultés à investir cette mission supplémentaire », observe Anne Cinget. Même sentiment d’étranglement sur le terrain : « Les associations ont dû participer à cet important travail de compilation et d’analyse selon un timing très serré », déplore François Lebrun. Par ailleurs, d’autres acteurs considèrent que la démarche n’a rien fait ressortir de très original par rapport à ce que l’on savait déjà.
Quant à l’accompagnement prévu par l’Etat pour conduire la démarche, il n’a pas toujours été à la hauteur. « Non seulement il n’a pas concerné tous les territoires de façon aussi poussée, mais il y a eu des dysfonctionnements que le guide méthodologique national ne pouvait pallier à lui tout seul », note Ninon Overhoff. Dans les Pays de la Loire, région où les départements ont validé leur diagnostic dès 2014 dans le cadre de l’expérimentation, « quelques départements ont certes organisé des réunions inter-partenariales au niveau des bassins territoriaux qui ont produit un état des lieux intéressant, mais beaucoup ont souffert d’une méthodologie encore trop peu formalisée. Une fois les chiffres compilés, un appui en matière d’analyse des données aurait été nécessaire pour dépasser cette photographie quantitative », pointe François Lebrun. « Ce n’est jamais inutile de réunir les partenaires mais, au final, la connexion entre les chiffres avancés et les actions mises en place n’est pas toujours apparue évidente », complète Guillaume Legendre, coordinateur du service intégré d’accueil et d’orientation du Maine-et-Loire.
Faut-il imputer ces imperfections à la nouveauté de la démarche ? Selon Anne Cinget, « c’est une première étape à laquelle des améliorations seront apportées ». « Ce processus ambitieux devrait s’affiner avec le temps », espère Juliette Furet. Alors que les diagnostics doivent faire l’objet d’une actualisation annuelle partielle, la question est de savoir dans quelles conditions la démarche va être reconduite. Les services de l’Etat mettent peu à peu en place de nouvelles modalités de suivi allégées (valorisation des bonnes pratiques, organisation de journées thématiques…). « Il ne faudrait pas que la dynamique retombe, met toutefois en garde Ninon Overhoff. C’est pourquoi nous serons vigilants pour que l’actualisation des diagnostics soit l’occasion de relancer la démarche… En espérant que l’administration continue à jouer le jeu de la concertation et du décloisonnement. »
Pour certains acteurs du logement peu identifiés par les pouvoirs publics, la concertation autour des diagnostics à 360° a eu une vertu supplémentaire : celle de gagner en visibilité. C’est le cas des Acteurs du logement d’insertion (ALI) – constitués par l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO), la Fédération des associations et des acteurs pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL) et la Fédération Soliha (ex-PACT) – qui ont fait le choix d’une représentation unique au sein du comité de pilotage national des diagnostics à 360° afin de faire valoir leurs spécificités, en particulier en ce qui concerne les indicateurs retenus dans le guide méthodologique national. « Mais il s’agissait également pour nous de mieux faire connaître nos adhérents afin qu’ils ne soient pas oubliés lors des réunions de concertation organisées au niveau départemental », indique Sylvie Emsellem, chargée de mission à l’UNAFO.
En parallèle, pour favoriser la participation des membres de leurs réseaux, les ALI ont sollicité un cabinet de conseil (Fors-Recherche sociale) qui a construit une grille de contribution « pour que les adhérents de l’ensemble des départements s’inscrivent dans une démarche identique autour de trois thèmes principaux », explique Sylvie Emsellem : l’adéquation entre les dispositifs du logement d’insertion et les besoins des personnes, la typologie des publics pour cerner les besoins non couverts et les besoins en matière d’accompagnement vers le logement. Le travail effectué a permis de faire émerger plusieurs problématiques transversales liées à des évolutions structurelles : le vieillissement des publics accueillis, l’intensification de la pauvreté, les difficultés d’accompagnement des familles monoparentales, des jeunes défavorisés et des publics ayant un handicap psychique. « Les diagnostics à 360° nous ont conduits à affirmer la nécessité de renforcer les moyens d’accompagnement des personnes que nous logeons pour tenir compte de ces évolutions », note Sylvie Emsellem.
(1) Pour un choc de solidarité en faveur des sans-abri et des mal-logés – Décembre 2012.
(3) Mandaté par la DGCS, la DIHAL et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages, qui copilotent le dispositif.
(4) Les freins dans les parcours vers le logement liés aux difficultés médico-sociales et sanitaires ; la prise en charge des personnes en situation administrative complexe du fait de leur nationalité ; la façon de favoriser les parcours du sans-abrisme au logement ; l’accès au logement dans un contexte de précarité des ressources.
(5) Créé par la loi ALUR de mars 2014, ce plan fusionne le plan départemental d’accueil, d’hébergement et d’insertion et le plan départemental pour le logement des personnes défavorisées.
(6) Comme la FNARS et l’UNAFO, l’USH est membre du comité de pilotage national des diagnostics à 360°.