Depuis l’entrée en vigueur de la réforme du droit d’asile, en novembre dernier, les associations n’ont de cesse de le dénoncer : le « pré-accueil » des candidats à la protection internationale au sein des plateformes d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile (PADA), gérées le plus souvent par des associations, avant qu’ils puissent faire enregistrer leur demande, aboutit, dans les départements les plus sollicités, à l’engorgement du système. La file d’attente commence devant ces plateformes qui, chargées de délivrer les convocations aux guichets des préfectures, reçoivent le nombre de personnes que ces dernières estiment pouvoir accueillir. Elles « disposent d’un quota de rendez-vous attribué parcimonieusement par l’autorité préfectorale, ce qui les conduit à refuser de nombreuses personnes qui se présentent chaque jour à leurs portes », indique le Collectif asile en Ile-de-France, composé notamment des délégations régionales Ile-de-France de la Cimade et du Secours catholique, de Dom’Asile et du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés).
Les étrangers sont donc loin de pouvoir faire enregistrer leur dossier dans les trois jours ouvrés (dix jours en cas d’afflux), comme prévu par la loi du 29 juillet 2015, ce qui retarde d’autant leur autorisation de séjour sur le territoire et leur accès aux droits. « A Paris, nos associations ont décidé d’accompagner plusieurs demandeurs d’asile qui se sont vu remettre soit un rendez-vous à la PADA à plusieurs mois, soit pas de rendez-vous, afin qu’ils engagent une action devant le tribunal administratif », explique le Collectif asile en Ile-de-France. Dans les deux premières semaines d’avril, « plus de 135 requêtes ont abouti positivement », le tribunal ayant enjoint à la préfecture de convoquer les personnes sous dix jours, parfois sept, pour l’enregistrement de leur demande.
Selon une des ordonnances, rendue le 12 avril, le juge des référés considère ainsi que, pendant la période d’attente, l’intéressé est « maintenu en situation irrégulière et est privé de garanties, notamment matérielles » offertes aux demandeurs de la protection internationale. Dès lors, « le préfet de police, dans les circonstances particulières de l’espèce, doit être regardé comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d’asile ». Après un tel contentieux, « nous espérions que la préfecture de police modifie son organisation, mais les décisions de justice ont eu un effet seulement pour les personnes qui ont déposé un recours, regrette Antoine Decourcelle, responsable de la commission « asile » de la Cimade Ile-de-France. L’étape du pré-accueil a mal été anticipée par l’Etat et aujourd’hui, on assiste à une politique de la patate chaude. La réforme du droit d’asile avait pour objectif de mieux répartir les demandeurs dans le dispositif d’accueil, mais ils n’arrivent même pas à faire enregistrer leur demande. On marche sur la tête ! »
Dans son mémoire de défense, cité par la même ordonnance du 12 avril, le préfet de police estime que « le volume exceptionnel du flux d’étrangers demandant l’asile à Paris constaté à la fin de l’année 2015 ne permet pas d’enregistrer les demandes d’asile dans des délais satisfaisants, malgré le recrutement de personnels temporaires ». Il ajoute que « des efforts considérables sont déployés dans la limite des moyens disponibles et que depuis le début du mois d’avril, le nombre de rendez-vous proposés par jour au guichet unique de la préfecture a été porté à 60 ». Précisant que « l’abandon de l’obligation de domiciliation permet aux étrangers de présenter leur demande d’asile en dehors de Paris », ses représentants ont, par ailleurs, indiqué qu’une « mutualisation des rendez-vous dans les guichets uniques des autres préfectures de la région parisienne est à l’étude, ce qui permettrait de porter à 160 le nombre de rendez-vous journalier proposés par les associations ».
Une régionalisation dupré-accueil que Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, chargé de cette mission à Paris, verrait d’un bon œil. Tout en craignant une « résistance des services préfectoraux »,pour l’heure peu enclins à recevoir des étrangers ayant commencé leurs démarches ailleurs. En attendant,commente-t-il, les moyens manquent cruellement. Les appels d’offres auxquels ont répondu les associations pour se voir confier le pré-accueil par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) « ont été rédigés en avril 2015, sur la base de flux de demandes calculés à ce moment. Sauf que ces derniers sont beaucoup plus importants aujourd’hui et le marché n’a pas été révisé ». Face à cette situation très tendue, « j’ai réussi à négocier des moyens avec l’OFII pour ouvrir une deuxième structure à Paris, mais les services restent en difficulté »,poursuit-il. Sa demande de moyens supplémentaires pour la plateforme de Calais est en revanche restée « sans réponse », à tel point que le directeur général de France terre d’asile s’interroge sur la façon dont cette dernière va pouvoir poursuivre sa mission.