« Les associations gestionnaires d’établissements médico-sociaux se retrouvent aujourd’hui coincées entre un financement public de plus en plus restreint et une concurrence accrue, notamment avec les nouveaux opérateurs issus du marché lucratif. En particulier, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les services à la personne sont des secteurs où la concurrence marchande s’est largement développée. Dans ces conditions comment les associations peuvent-elles imaginer un avenir plus serein, malgré des moyens financiers en diminution ?
Pour survivre, les associations ne peuvent plus faire autrement que de trouver de nouveaux revenus. Quelles sont les possibilités qui s’offrent à elles aujourd’hui ? Recourir aux méthodes du secteur marchand en proposant des services à moindre coût ou en accroissant leur activité pour vendre plus (augmenter, par exemple, la production dans les établissements et services d’aide par le travail). Mais limiter les coûts des services atteint souvent rapidement ses limites.
Répondre à des appels d’offres des instances publiques peut être une autre solution, lorsqu’une rallonge budgétaire est allouée en ce sens. Cependant, en ne postulant qu’à ce type de procédure, les associations courent alors un risque réel de se voir inféodées à la puissance publique, comme le souligne Jean-René Loubat(1). Or elles ont une expertise sur leur territoire qu’elles auraient tort de ne pas revendiquer.
Les associations se trouvent ainsi en tension entre la nécessité de trouver l’argent indispensable à leur fonctionnement et la défense des valeurs qui sont les leurs.
La question ici est moins de savoir s’il faut ou non s’inspirer du modèle de gestion des établissements publics ou des entreprises privées à but lucratif, mais de considérer que ces modèles doivent, avant tout, rester des outils au service du projet social de l’association. Tout l’enjeu, me semble-t-il, est de définir la place et le rôle que souhaitent avoir les associations dans la société civile. Je défends l’idée que c’est l’innovation qui devient indispensable pour initier de nouvelles stratégies de réponses à la population. Se positionner comme « coopérateurs » avec la puissance publique plutôt que comme « réceptacles de commandes publiques », selon la formule de Jean-Louis Laville et d’Anne Salmon(2), permettrait aux associations de conserver une plus grande marge de manœuvre. Etre partenaire, force de proposition, c’est-à-dire permettre des actions qui font sens pour l’organisation et ses salariés, voilà quel devrait être le chemin à prendre. Les associations ne sont pas seulement des organismes gestionnaires. Elles sont avant tout des entreprises sociales, c’est-à-dire des entités qui donnent sens à leurs actions grâce aux valeurs qu’elles partagent. Or il me semble que certaines d’entre elles se laissent entraîner dans une spirale de développement dont le principal objectif est de faire face aux difficultés budgétaires, hélas parfois, en perdant de vue leurs valeurs. Une dérive d’autant plus difficile à juguler que la survie de l’association est en jeu. Comprenez-moi bien, je ne dis pas que les associations ne doivent pas se développer, mais que ce développement doit rester un moyen pour atteindre les buts qu’elles se sont fixées. Ce qui renvoie à l’impact que souhaite avoir telle association sur la société et donc à la mise en œuvre de ses valeurs.
“Entreprise” et “performance” ne sont pas de gros mots en soi si les associations ne cherchent pas à “singer” le secteur marchand ou la fonction publique. L’association sera une entreprise sociale performante à la condition de respecter les trois conditions détaillées par le consultant François Bouteille(3) :
• la mise en place d’un système de valeurs partagées ;
• une expertise environnementale permanente ;
• des moyens financiers, humains, et logistiques réalistes.
Entrevoir un avenir plus serein pour les associations, c’est peut-être aussi participer à de nouveaux modèles économiques. Nous aurons beaucoup de mal à financer des projets innovants avec les seuls financements publics. Il faut donc imaginer ou nous inscrire dans des schémas économiques nouveaux. Nous avons une chance incroyable, le secteur de l’économie sociale foisonne d’innovations dans ce domaine. Pourquoi, par exemple, ne pas développer l’économie de partage entre les associations ? Je pense aux échanges de compétences dans le cadre de la formation professionnelle, au partage de l’utilisation de matériel ou encore à la possibilité pour des salariés d’offrir à plusieurs employeurs leurs compétences, etc. Certaines associations du secteur médico-social sont déjà engagées dans ce type d’organisation par le biais notamment de groupements de coopération sociale et médico-sociale. Dans le cadre du développement des compétences, nous serions bien inspirés aussi de nous intéresser plus largement aux MOOC – Massive Open Online Courses que l’on peut traduire par “cours en ligne ouverts et massifs” – et plus largement aux économies de plateformes qui se développent grâce au numérique. Pour faire court, l’économie de plateforme vise à mettre en relation, grâce à Internet, des individus qui, à la fois, proposent et utilisent un service. L’exemple de Blablacar me semble une bonne illustration. Ce service met en relation des personnes qui recherchent un trajet en voiture et d’autres qui proposent une place disponible dans leur véhicule. Pourquoi alors ne pas imaginer de développer de tels services dans notre secteur ? Il existe encore bien d’autres modèles à s’approprier ou, pourquoi pas, à inventer.
L’innovation doit être un point de mire de la stratégie associative pour conserver le sens de son action, de ses projets de réponses à la population. L’anticipation, la coordination et la qualité du pilotage des projets sont les clés de la réussite de ce processus d’innovation, qui doit allier ambition et principes de réalité. »
(1) Jean-René Loubat, « Lever les blocages à la GPEC dans le secteur social et médico-social » – Voir ASH n° 2924 du 11-09-15, p. 38.
(2) Jean-Louis Laville et Anne Salmon, Associations et action publique – Ed. Desclée de Brouwer, coll. « Solidarité et société », 2015 – Voir ASH n° 2941 du 8-01-16, p. 22.
(3)