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« Les gens du voyage ont tous un fort ancrage territorial »

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Samuel Delépine, maître de conférences en géographie sociale à l’université d’Angers, déconstruit certains clichés sur le rapport des gens du voyage à l’itinérance et à l’habitat.
Quel est le rapport à la mobilité des gens du voyage ?

Leur mode de vie est en mutation depuis plusieurs années. C’est ainsi que leurs parcours se réduisent autour des grands pôles urbains. Cela correspond d’ailleurs à la géographie des aires d’accueil, situées à la périphérie des grandes villes. Pour certains voyageurs, cette semi-sédentarisation peut aller jusqu’à une sédentarisation totale : ces familles achètent leurs propres terrains pour y installer leurs caravanes ou rejoignent des opérations d’habitat adapté. Les voyages se limitent ainsi à quelques épisodes dans l’année, pour des activités économiques estivales, des pélerinages ou des rassemblements familiaux.

Pourquoi une telle mutation ?

Elle est liée à la scolarisation des enfants, qui n’a cessé de progresser. Mais aussi à des impératifs économiques : il est moins facile aujourd’hui de vivre du voyage, et l’activité s’est davantage concentrée vers les villes. En milieu rural, les activités traditionnelles, comme le porte-à-porte pour des petits travaux ou le rempaillage, se sont considérablement réduites. A part le ferraillage et les emplois agricoles saisonniers, notamment dans la vigne, les opportunités se font plus rares.

Cela signe-t-il la fin de l’itinérance ?

Non. Le mode de vie du voyage reste. Il change, se réduit, mais ne disparaît pas.

Mobilité ne signifie pas absence d’ancrage territorial…

Effectivement, il faut déconstruire le cliché selon lequel les gens du voyage sont des personnes sans attaches. L’image des « fils du vent »… C’est tout l’inverse. Ils possèdent tous une commune ou une région d’origine qu’ils connaissent très bien et qui fonde leur identité, ainsi que des parcours organisés. Jean-Baptiste Humeau(1) parle de « polygones de vie » pour expliquer ces ancrages territoriaux.

Quel bilan tirez-vous de la loi Besson du 5 juillet 2000, qui incite au développement d’aires d’accueil pour les gens du voyage ?

Ce n’est pas la réponse la plus adaptée, car on a fait correspondre l’aire d’accueil au cliché d’une communauté prête à se rassembler sur un même espace. Certes, des familles peuvent se déplacer en nombre et vivre côte à côte. Mais tous les voyageurs ne s’entendent pas entre eux et ne forment pas une communauté. Par ailleurs, les aires d’accueil n’ont pas répondu aux besoins de stabilisation et d’installation dans le temps de certaines familles. D’autant que si les choses se sont bien améliorées, certaines continuent à offrir des conditions d’accueil peu dignes aux côtés de déchetteries ou de stations d’épuration. L’idéal de la plupart des familles est de s’installer sur des terrains familiaux ou privés. Le problème, c’est que nombre d’entre elles achètent des parcelles situées en zones agricoles ou naturelles. Ces « situations » souvent illicites au regard du code de l’urbanisme(2) pose la question du statut de la caravane et de l’habitat mobile au sens large.

Que pensez-vous des projets d’habitat adapté ?

Cela devient un chapitre important des schémas départementaux d’accueil des gens du voyage. Si les familles sont demandeuses et qu’il s’agit d’un projet concerté, cela peut être une bonne chose. Mais sous cette dénomination peut se cacher la volonté de se débarrasser de situations compliquées comme une installation illégale ou insalubre, sans se soucier des besoins des familles. Par ailleurs, faute de loi contraignante, l’émergence de tels projets reste suspendue à la bonne volonté des élus. Certains font preuve d’anticipation, mais c’est insuffisant à l’échelle nationale. Un nuage de représentations négatives reste encore associé aux gens du voyage.

Notes

(1) Auteur de Tsiganes en France : de l’assignation au droit d’habiter – Ed. L’Harmattan, 1995.

(2) Ce qui entrave pour construire en dur ou accéder aux réseaux d’eau, d’électricité, d’assainissement…

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