Lors de sa communication en conseil des ministres sur le bilan du plan « pauvreté », le 13 avril (voir ce numéro, page 7), le gouvernement n’a pas vraiment fait d’annonces, les perspectives dressées pour la dernière année du quinquennat confirmant pour l’essentiel les engagements pris depuis 2013. Mais par sa visite, le lendemain, dans une caisse d’allocations familiales – au moment où la prime d’activité dépasse les prévisions avec 2 millions de bénéficiaires au premier trimestre, soit le chiffre escompté d’ici à l’été –, le Premier ministre a rappelé « le caractère interministériel du plan, en réponse à nos inquiétudes sur cet aspect », explique François Soulage, président du collectif Alerte, qui avait rencontré Manuel Valls une semaine plus tôt. Tout juste après la présentation d’une série de mesures en faveur des jeunes et du projet de loi « égalité et citoyenneté »(1), le collectif appelle néanmoins à un renforcement du pilotage par Matignon : le plan pluriannuel de 2013 doit être « le garant de la continuité de l’action publique », faute de quoi cette dernière pourrait souffrir d’un défaut d’évaluation, prévient-il.
« La plupart des engagements du plan vont être réalisés » d’ici à 2017, convient François Soulage, mais nombre de sujets, comme l’insertion professionnelle des personnes éloignées de l’emploi, n’incitent guère les associations à l’optimisme. Elles craignent que, selon les territoires, les 500 000 formations de chômeurs ne bénéficient pas à ceux les plus en difficulté – en fonction du type de formations financées ou des catégories de demandeurs d’emploi retenus. Egalement incertain : l’abondement à 400 heures du compte personnel de formation des demandeurs d’emploi de longue durée, renvoyé aux négociations sur l’assurance chômage.
La prestation de suivi dans l’emploi, qui vise à renforcer les parcours d’insertion, est quant à elle loin d’atteindre ses objectifs. Alors que le budget alloué au dispositif aurait dû permettre de le proposer à 8 000 personnes avant juin prochain, « les statistiques faisaient état, au début de l’année, de moins d’une centaine de prestations réalisées par Pôle emploi ou par les structures de l’insertion par l’activité économique », rapporte Alexis Goursolas, chargé de mission à la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS).
Plusieurs raisons à cela, précise-t-il : en premier lieu, la prestation peut être proposée dans le cadre d’un contrat de six mois au minimum, une durée à laquelle accèdent rarement les publics précaires. « Nous avons demandé d’abaisser cette exigence pour faire le pari d’agir a posteriori sur la durée du contrat », une fois l’employeur convaincu de l’efficacité de l’accompagnement, ajoute Alexis Goursolas. Le manque de portage institutionnel, ainsi que les contraintes administratives liées à la prestation (dont le financement est moindre lorsque le salarié n’est plus en emploi au bout des trois mois d’accompagnement), apparaissent comme d’autres obstacles au déploiement du dispositif.
Pour éviter que les publics en situation de précarité ne soient tenus à l’écart du service public de l’emploi – crainte ravivée avec la dématérialisation des démarches administratives – les associations souhaitent également que Pôle emploi soit intégré aux travaux sur le « premier accueil social inconditionnel de proximité » prévu par le plan d’action en faveur du travail social et du développement social(2). La conception de cet accueil, dans son pilotage ou les partenaires qu’il va réunir, « ne doit pas être le seul fait d’acteurs du secteur social », argue Alexis Goursolas. Dans la même logique d’un maillage cohérent avec les besoins, les associations demandent à être associées à l’accompagnement global mis en œuvre par Pôle emploi et les départements. Par ailleurs, insiste François Soulage, le « plan “pauvreté” risque de ne pas tenir ses engagements sur la levée des obstacles périphériques à l’emploi, comme les difficultés de mobilité et de garde d’enfants ».
Si les associations saluent les efforts budgétaires – toujours insuffisants – en matière d’hébergement, l’autre maillon faible de la mise en œuvre du plan pluriannuel reste, expliquent-elles, la production de logements sociaux, très sociaux, et de logements accompagnés. « Comment sortir de la crise du logement et de l’hébergement avec 30 000 PLAI [prêts locatifs aidés d’intégration] par an ? », pointe Florent Gueguen, directeur général de la FNARS. Alors que l’appel à projets « PLAI adaptés » visait une programmation annuelle de 3 000 logements très sociaux, « il y en a eu 600 en 2015 », se désole Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Par ailleurs, la réalisation des « diagnostics territoriaux à 360° », destinés à faire corréler l’offre avec les besoins, « est très inégale selon les territoires ». Parviennent-ils à guider l’action publique locale ? « La question financière empêche de mener le travail sur une déclinaison opérationnelle partagée », estime-t-il.
Dans ce contexte, avec le volet « logement » du projet de loi « égalité et citoyenneté », qui vise à favoriser la mixité sociale et à lutter contre la ségrégation territoriale, « on voit bien que l’on essaie de faire un peu mieux avec ce que l’on a, en agissant au sein du parc des bailleurs sociaux. Mais cela manque d’ambitions et de moyens financiers », juge le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. L’instauration pour les bailleurs situés sur les territoires de certains établissements de coopération intercommunale d’un objectif de 25 % d’attributions aux ménages les plus pauvres et aux personnes relogées dans le cadre du renouvellement urbain, ou encore le renforcement de l’application de l’article 55 de la loi SRU sur l’obligation de construction de logements sociaux sont, notamment, pour la fondation, des mesures « qui vont dans le bon sens ». Mais il faudrait aller plus loin, demande-t-elle, en encadrant les loyers dans toutes les zones tendues et en augmentant les aides à la pierre pour y faire baisser les loyers des logements sociaux, en mobilisant le parc privé à vocation sociale, en augmentant les pénalités des communes réfractaires à l’application de la loi SRU ou encore en débloquant des moyens pour les quartiers populaires. Proposition qui rejoint l’avis de l’Union sociale pour l’habitat, selon laquelle « une véritable politique de la ville serait celle qui donnerait de l’attractivité aux quartiers, l’envie de venir y habiter ».
Politique des « petits pas » ou trop dispersée ? Les mesures annoncées pour les jeunes sont quoi qu’il en soit des « débuts d’avancées » pour le collectif Alerte, qui aurait cependant aimé un accès aux droits renforcé et simplifié pour l’ensemble des publics en difficulté. L’extension de la garantie locative à tous les jeunes de moins de 30 ans est un progrès, « mais nous souhaitions cet élargissement aux demandeurs d’emploi et aux travailleurs pauvres en contrat à durée indéterminée », rappelle Florent Gueguen pour qui, « en dehors de la mobilisation de rue et du calendrier politique, rien ne justifiait de créer une catégorie d’âge pour l’accès à la garantie locative ». Déjà annoncée en mars dans le cadre de la loi « travail », la généralisation en 2017 de la garantie jeunes – qui devrait ainsi concerner jusqu’à 200 000 bénéficiaires, contre 100 000 initialement prévus à cette échéance – lui paraît répondre à l’objectif « de sortir d’un empilement de dispositifs pour aller vers un droit universel pour une classe d’âge ». Pour autant, sans programmation budgétaire adaptée, cette mesure « fait craindre un effet d’annonce », relève Florent Gueguen. C’est aussi l’inquiétude de la fédération des organismes sociaux de la CGT, selon qui « le prix payé aux missions locales (1 600 € par jeune accompagné) ne couvre pas le coût réel de l’accompagnement ». D’après ses calculs, le suivi de 100 000 jeunes nécessite « l’embauche de 2 000 conseillers ». Moins alarmiste, l’Union nationale des missions locales n’en juge pas moins que « des moyens conséquents doivent être mobilisés et le dispositif administratif simplifié ».
Pour les associations également, le fonctionnement du dispositif mériterait d’être repensé. Dans un objectif de recours plus important, « nous plaidons pour que les centres d’hébergement et de réinsertion sociale puissent prescrire la prestation et accompagner les jeunes », indique Florent Gueguen. Par ailleurs, « les six semaines d’accompagnement collectif ne doivent pas être obligatoires pour ceux qui sont les plus en difficulté », cette période ne leur étant pas forcément adaptée. Alors que la garantie jeunes vise les publics sans ressources et sans qualification, les associations continuent de revendiquer l’ouverture du RSA (revenu de solidarité active) aux moins de 25 ans. Dans cette logique, elles soutiennent ardemment la proposition du rapport de Christophe Sirugue (voir ce numéro, pages 5 et 13), visant à créer une « couverture socle commune », accessible aux jeunes dès l’âge de 18 ans.
A un an de l’élection présidentielle, et à quelques mois de la présentation du projet de loi de finances pour 2017, le collectif Alerte appelle « à dépasser les objectifs contenus dans le plan il y a trois ans », au regard de la persistance du taux de pauvreté et de l’aggravation de la grande pauvreté. Et prépare sa plate-forme de revendications aux candidats, à l’instar de bon nombre d’acteurs de la lutte contre l’exclusion. La FNARS a d’ores et déjà prévu d’interpeller ces derniers lors de son congrès, en janvier prochain.