Dix ans après le lancement des programmes de réussite éducative (PRE), institués par la loi de cohésion sociale de 2005 dans l’objectif « d’apporter aux enfants des quartiers prioritaires de la politique de la ville un parcours individualisé reposant sur une approche globale des difficultés rencontrées », un rapport d’évaluation de l’Institut des politiques publiques (IPP) jette le doute sur l’efficacité de ce dispositif, central dans le volet « éducation » des contrats de ville. Dispositif qui bénéficiait, en 2014-2015, à quelque 104 000 jeunes, pour un coût annuel, en 2014, de 100,7 millions d’euros (dont 73 % sont financés par l’Etat et 21 % par les communes).
C’est en effet un constat très mitigé que dresse l’IPP dans cette recherche, menée en partenariat avec le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), et qui s’appuie sur deux enquêtes quantitatives menées en 2012 et en 2014. Mais cette analyse d’impact paraît en contradiction avec les résultats plus nuancés d’une évaluation qualitative réalisée en parallèle, en 2015, par le bureau d’études Trajectoires, pour apporter « des éléments de contextualisation des résultats de l’enquête quantitative », sur la base de 128 entretiens sur huit territoires. Ces différents travaux ont été publiés au début mars par le CGET, qui s’appuie sur leurs conclusions convergentes pour formuler une série de préconisations(1).
« Toutes les enquêtes s’accordent sur la satisfaction des acteurs » éducatifs impliqués sur un territoire, qui soulignent « un renforcement des partenariats », voire « la mise en synergie » de certains d’entre eux « qui autrefois pouvaient s’ignorer », souligne ainsi le CGET dans une note de synthèse ; ils apprécient aussi « la souplesse du fonctionnement du PRE », qui offre la possibilité de réagir rapidement lorsqu’une situation est détectée.
Dans son rapport, l’IPP relève notamment « une grande diversité de mise en œuvre » des projets, qui reposent sur une architecture commune fixée par les directives de l’Etat mais avec des modalités variées selon les territoires, en fonction des besoins repérés. De même, il souligne « des critères d’orientation vers le PRE et d’entrée [dans le dispositif] relativement larges, qui ne permettent pas un ciblage précis, et peuvent varier d’un site à l’autre ».
Mais surtout, au vu des résultats de cette enquête quantitative, « le bien-être psychologique et le comportement des enfants ne semblent pas être améliorés par la prise en charge en PRE, et d’autres dimensions capturant les relations aux autres (estime de soi sociale, problèmes avec d’autres enfants) se dégradent même légèrement pour les enfants en parcours, relativement aux enfants de caractéristiques semblables ». Seule l’assiduité scolaire semble bénéficier de manière significative de l’inscription dans un parcours PRE, mais sans que cela se ressente sur les résultats scolaires des enfants. L’IPP avance plusieurs explications possibles. Il estime ainsi que « de possibles effets d’étiquetage ou de stigmatisation pourraient entrer en considération », changeant le jugement des enseignants sur les élèves concernés. Il pointe aussi « de potentiels effets liés aux difficultés de coordination entre les acteurs » et s’interroge sur « la capacité des outils de droit commun mobilisés à répondre aux besoins spécifiques de ces enfants »(2).
L’enquête qualitative du bureau d’études Trajectoires, pour sa part, nuance le constat en rappelant que les parcours de réussite éducative « ne peuvent pas engendrer une évolution rapide et majeure, mais doivent être appréhendés dans la finesse et en fonction des situations et du contexte de départ ». Elle conclut cependant « à des effets positifs dans plusieurs domaines tels que l’estime de soi, la santé et le rapport à l’école », mais les inscrit dans « les limites actuelles du dispositif de réussite éducative : absence de ciblage des bénéficiaires, déficits de coordination, difficultés du portage par les structures associatives… ».
Armé de ces évaluations, le Commissariat général à l’égalité des territoires formule des pistes d’amélioration, qui « font actuellement l’objet d’une réflexion plus large dans le cadre d’un groupe de travail partenarial mis en place par le CGET avec le concours du ministère de l’Education nationale et les acteurs impliqués de la réussite éducative », indique-t-il. Pour mieux prendre en charge les enfants orientés vers le PRE, l’institution propose notamment de « revisiter les propositions de parcours en direction des bénéficiaires d’un accompagnement personnalisé afin de déclencher le plus d’effets positifs » et de redéfinir les modalités de prise en charge spécifiques des enfants les plus en difficulté, en lien étroit avec les services compétents (caisse d’allocations familiales, conseil départemental, services sociaux de l’Education nationale…).
Il recommande aussi de renforcer le lien entre le PRE et l’Education nationale, en formalisant la relation « entre le référent de parcours et l’enseignant – ou le professeur principal – de l’enfant accompagné par le PRE », ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’architecture des projets de réussite éducative doit, enfin, être revue, en particulier pour prendre en compte, dans sa gouvernance, l’échelle intercommunale, « afin de valoriser toutes les ressources disponibles sur un territoire, tout en maintenant l’opérationnalité du dispositif à l’échelle communale ».
(1) Disponible sur
(2) Le rapport de l’IPP a été vivement contesté par les acteurs de la réussite éducative qui affirment, par la voix de leur Association nationale (ANARÉ), ne pas se reconnaître dans cette « évaluation à charge, réductrice et impressionniste ».