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Accueillir un stagiaire, une plus-value pour tous

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A condition d’être préparé et organisé, l’accompagnement de travailleurs sociaux en formation dans les institutions apporte de nombreux bénéfices(1) : au formateur terrain, mais aussi à l’établissement et au centre de formation, soutient Luc Verbesselt, assistant de service social à l’aide sociale à l’enfance du Haut-Rhin, intervenant vacataire à l’Institut supérieur social de Mulhouse et membre de l’Association des formateurs de stage en travail social du Haut-Rhin(2).

« Le principe de la formation en alternance est plébiscité par le discours médiatique. L’approche du terrain complète, enrichit la théorie enseignée à l’étudiant. Son cheminement se trouve durablement marqué par une pratique professionnelle incarnée qu’il questionne et qui nourrit sa réflexion pour construire la sienne. Une fois diplômé, ou même en cas d’échec, l’ancien étudiant se présente fort d’une expérience pratique qui constitue un socle de références attractif pour l’employeur. Cette pédagogie de l’alternance fait, de longue date, partie intégrante des formations du travail social. Accueillir et accompagner les étudiants en formation n’est pourtant pas une démarche aisée ; le professionnel même aguerri se heurte à des difficultés méthodologiques, institutionnelles mais aussi aujourd’hui d’ordre financier avec la gratification obligatoirement versée à certaines catégories de candidats. Dans un contexte déjà fort complexe, cette situation accélère la raréfaction des terrains de stage.

Cette démarche constitue pourtant une ressource particulièrement riche de sens. La rencontre entre un futur professionnel et un praticien, une équipe, une institution éclaire sans distinction le parcours de l’accueilli comme celui des accueillants. Cette dynamique mérite que l’on prenne le temps d’en réfléchir les différents aspects et ressorts, tant les bénéfices peuvent être nombreux.

Accompagner un stagiaire est, pour le professionnel, un acte fort de transmission. Avec l’étudiant, qui demain sera l’un de ses pairs, il évoque ses valeurs, son parcours et sa vision de l’action sociale sur le terrain. Ces échanges de fond abordent les questions éthiques et déontologiques ; ils sont d’autant plus précieux qu’ils poussent à revenir à des fondamentaux que la démultiplication des outils et procédures occulte dans l’urgence de nos quotidiens. Même si le désenchantement du monde a fait son œuvre, le professionnel peut se réapproprier à cette occasion les motivations ou convictions qui ont fondé son engagement.

Le regard neuf (ou presque) qui se porte sur sa pratique n’est pas toujours simple à vivre. Faisant écho aux inquiétudes des étudiants sous le regard d’autrui, le formateur peut tout autant craindre d’être jugé, mal compris. Certains professionnels s’interrogent sur leur légitimité ou leur crédibilité pour transmettre ce qui leur est cher ou les pans plus prosaïques de leur pratique. C’est justement dans ce mouvement introspectif qui sélectionne et organise les informations que se trouve l’une des richesses du stage. Le professionnel prend ou reprend conscience grâce au questionnement du stagiaire que ses actions sont fondées, qu’elles reposent sur des observations et des connaissances. Finalement, rien ne va de soi ; expliquer l’acte posé, en décortiquer les étapes (parfois peu conscientisées au quotidien) permet d’en interroger le sens. Le professionnel lui-même sera peut-être conduit par ce questionnement à faire évoluer son positionnement ou ses habitudes.

L’équipe formatrice

Ne se limitant pas à ce travail introspectif, le dialogue entre le formateur terrain et le stagiaire permet au professionnel d’accéder aux paradigmes du moment. Le lien qu’il renoue ainsi avec le champ de la formation complète sa démarche personnelle de mise à jour de ses connaissances de la législation, des dispositifs ou de la recherche en sciences sociales. Par l’entremise des contacts avec les autres formateurs terrain, le professionnel consolide son réseau de manière informelle ; réseau qu’il mobilisera ensuite au service des situations qu’il accompagne. Au contact de l’étudiant, le formateur peut s’approprier de nouvelles pratiques ou les impulser à cette occasion au sein de son institution – je fais ici référence notamment aux interventions sociales d’intérêt collectif dont l’usage est encore loin, dans de nombreux lieux, de sortir d’un aspect “événementiel”.

Depuis plus de dix ans, le stage est envisagé par le législateur et les centres de formation sous un angle plus large que la rencontre entre l’étudiant et un formateur-Pygmalion. Afin de s’extraire d’un processus modélisateur par lequel le stagiaire reproduirait seulement la pratique qu’il observe, la notion de “site qualifiant” a été introduite. S’il n’est pas question à mon sens de nier l’importance cruciale d’une rencontre formative entre deux individus, le fait d’envisager l’accueil d’un étudiant au sein d’une équipe, qu’elle soit pluridisciplinaire ou non, modifie la perception que l’institution a de l’accueil des stagiaires.

Durant les quelques mois que dure un stage, le cadre de proximité a l’occasion de travailler avec l’équipe autour des valeurs et du partage des pratiques. Ce faisant, il interroge certaines procédures ou pratiques institutionnelles en se saisissant des débats que le questionnement de l’étudiant suscite. Les professionnels ayant déjà accompagné des stagiaires peuvent faire bénéficier leurs collègues débutants en la matière de cette expérience. Une habitude d’accueil des étudiants par le service peut s’instaurer et bénéficier à l’ensemble du collectif de travail en faisant, au moins pour un temps, converger les regards et préoccupations vers un objectif commun. La dynamique de groupe peut donc être renforcée à l’occasion d’un stage.

Le service profite également de ces accueils pour communiquer autour de ses pratiques, de ses valeurs. L’institution peut renforcer son inscription dans le réseau partenarial et améliorer sa visibilité. En outre, les stagiaires d’un jour sont potentiellement les recrues du lendemain. Dans la mesure où la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences devient un enjeu stratégique pour les institutions, le cadre de proximité comme les autres niveaux d’encadrement ne négligeront pas cette dimension en demeurant attentifs aux retours des professionnels, voire à ceux d’un étudiant qu’ils recevraient en fin de stage. En effet, il n’est pas rare d’entendre au détour d’un couloir que “les jeunes professionnels ne sont plus ce qu’ils étaient…” en pointant qui les écrits, qui les facultés d’analyse, qui la compréhension de la réalité du terrain. Le stage professionnel donne toujours une ou plusieurs occasions d’échange entre l’institution accueillante et l’équipe pédagogique du centre de formation. Pourquoi se priver alors de faire remonter ces besoins, puis d’engager dans ce cadre un dialogue franc sur les besoins et l’évolution du terrain ? Le dialogue interinstitutionnel permet de déconstruire, pour partie au moins, les représentations avant d’amorcer une évolution des postures ou des projets. Ce travail de lien entre les institutions n’est pas pour autant synonyme d’exclusion du professionnel référent ou des équipes de terrain. S’il y est associé, le professionnel pourra faire entendre son analyse, un point de vue pratique, construit à partir de son expérience qui sera utile à tous. Judicieusement mobilisée, cette dimension de l’accueil de stage peut contribuer à (re)valoriser les professionnels qui s’engagent, souvent sans autre contrepartie que celles évoquées précédemment.

Les bénéfices que l’on peut attendre de l’accueil d’un étudiant sont donc nombreux et s’inscrivent dans la durée pour peu que le stage se déroule de part et d’autre sans difficulté majeure. C’est en effet souvent aussi par crainte ou en mémoire d’un stage laborieux que les professionnels hésitent à se (re)lancer dans l’aventure. Quelques jalons posés dès la première rencontre peuvent faciliter cette expérience pour le stagiaire comme pour l’équipe qui l’accueille.

Les objectifs du stage gagnent à être formalisés (sans pour autant être figés) à la fin du premier mois après la phase d’observation. Ces objectifs ont trois origines : le centre de formation, le stagiaire, mais également le professionnel qui pourra inviter l’étudiant à approfondir certains aspects. Pour ma part, je propose aux étudiants que j’accompagne de s’appuyer sur une grille d’objectifs mentionnant le délai envisagé, les moyens mobilisés et les critères d’évaluation. Cette démarche inscrit, dès le départ, l’étudiant dans un rôle moteur mais l’initie aussi déjà à la démarche “projet” qui est aujourd’hui, qu’on le regrette ou non, une norme de nos organisations.

Des temps dédiés

L’organisation de “points stages” mensuels, de une à deux heures, permet au regard de cette grille d’objectifs de faire un bilan intermédiaire et d’échanger autour de cet accompagnement, des attentes et, au besoin, de l’évolution à apporter ou des impulsions à donner. Sans remplacer les temps informels du quotidien, cet espace dédié permet de ne pas laisser “filer” le stage avant de se rendre compte à la fin de tout ce qui n’a pas été possible d’accomplir par manque de temps. Pour permettre ce dialogue, le référent comme son institution doivent se positionner avec bienveillance en accueillant la parole de l’étudiant. Certes, tout n’est peut-être pas encore acquis mais pour qu’un croisement des regards soit opérant il est nécessaire que l’espace de parole existe.

Enfin, d’autres ressources existent parfois en lien ou non avec le centre de formation. Il peut s’agir de rencontres au cours du stage ou, dans certains cas, de lieux d’échanges autour de la pratique comme, dans notre département, l’Association des formateurs de stage en travail social qui se réunit mensuellement pour réfléchir entre professionnels autour de la fonction de formateur terrain et des difficultés pouvant survenir.

Il n’est pas possible de conclure ici définitivement tant le sujet mériterait d’être approfondi. Chacun construit sa pratique avec du temps, des expériences et en s’inscrivant dans un réseau. Mais l’accueil des étudiants au sein de nos institutions n’est jamais sans effet et gagne à sortir du champ du don pour gagner ceux du partage et de l’échange. »

Notes

(1) Voir, sur le même sujet, notre rubrique « Au cœur du management », ce numéro, p. 30.

(2) http://afsts68.net/SiteAFSTS68.html.

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