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Il y a tout à gagner, pour l’étudiant qui effectue un stage en travail social comme pour l’équipe qui le reçoit, à bien préparer et organiser ce temps essentiel de la formation(1).

Comme dans la plupart des ESMS (établissements sociaux et médico-sociaux), les demandes de stages arrivent « par kilos » à l’IME (institut médico-éducatif) Dominique-Lefort de Mont-Cauvaire (Seine-Maritime). La sélection des stagiaires est entre les mains de l’équipe de la directrice adjointe, Hélène Malfilatre, qui accueille chaque année une vingtaine de futurs conseillers en économie sociale et familiale, éducateurs spécialisés, éducateurs techniques spécialisés, assistantes de service social, etc.

Recevoir des stagiaires dans les ESMS relève « à la fois d’une tradition, d’une possibilité et d’une tâche pour les travailleurs et intervenants sociaux », écrit Marc Fourdignier, ancien responsable d’un institut régional du travail social, dans L’accueil des stagiaires dans le secteur social (éd. ASH, 2010). La quasi-totalité des structures ouvrent leurs portes à des personnes en formation, leur offrant la possibilité de mettre en pratique les enseignements théoriques qu’elles reçoivent. Mais le terrain de stage doit lui-même être un lieu d’acquisition de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. Pour permettre cela, l’établissement doit s’engager dans une démarche organisationnelle car, comme le précise Marc Fourdignier, « un stage est la rencontre de trois projets : celui du centre de formation, celui du stagiaire et celui du site qualifiant ». Et l’accueil des « collègues de demain » ne se limite pas à l’accueil physique du premier jour de stage, mais comprend toute la phase qui va de l’intention d’accueil et des premiers contacts jusqu’à la fin de la période de stage, en passant par les évaluations. Un stage bien préparé améliore sa qualité ainsi que la professionnalisation de l’étudiant. L’apprentissage ne se fait ni par la seule imitation, ni par la simple transmission, ni par le conditionnement taylorien. L’apprenant doit être accompagné.

Un protocole et un tuteur référent formé

L’IME Dominique-Lefort l’a bien compris. Il y a quelques années, après avoir essuyé des échecs – « il était difficile de recadrer des stagiaires auxquels on n’avait rien demandé de précis », justifie Hélène Malfilatre –, l’établissement rural, qui prend en charge 122 enfants de 5 à 20 ans, a décidé, en accord avec le siège de l’Association médico-éducative rouennaise et en partenariat avec des centres de formation voisins, de « tout remettre à plat », en mettant au point un protocole précis et à disposition un tuteur référent formé. Pascal Carlier, chef de service éducatif, assure ce rôle, à raison d’une demi-journée dégagée par semaine : « Je reçois les CV et contacte les candidats sélectionnés – en fonction de leur projet, des possibilités dans notre planning et des disponibilités des éducateurs spécialisés – afin d’affiner leur demande et d’assurer la cohérence entre celle-ci et ce que nous pouvons proposer. » En effet, pour le professionnels et ses collègues, « les stagiaires doivent pouvoir nous apporter autant qu’on leur apporte ». C’est une stratégie de donnant-donnant.

Mêmes préceptes à la MECS (maison d’enfants à caractère social) Les Fogières, à Saint-Genest-Malifaux (Loire). Cet établissement, qui accueille 27 enfants encadrés par une équipe de 35 professionnels (32 équivalents temps plein) répartis dans trois services, reçoit une dizaine de stagiaires par an. « Notre structure a la spécificité d’accueillir des enfants porteurs de troubles (pouvant aller jusqu’à des troubles psychiatriques importants, voire des déficiences), explique Nathalie Chapuis, directrice. Cette particularité, dont découle une prise en charge originale fondée sur le faire-avec, est connue des organismes de formation en travail social, qui nous orientent des étudiants intéressés par notre approche. » La directrice a confié à Didier Saubié, éducateur spécialisé, l’élaboration d’une grille d’accueil des stagiaires. « J’ai suivi une formation de tuteur référent car je trouvais qu’on accueillait les stagiaires dans une forme de compagnonnage et sans uniformité au niveau de l’institution », explique celui qui noue des liens quotidiens avec les stagiaires de la MECS. « Deux à trois mois avant le début du stage, je fais passer au futur tutoré un long entretien pour échanger avec lui. Je lui remets ensuite le livret d’accueil du stagiaire que nous avons conçu, à l’intérieur duquel il retrouve des informations sur les autorités de tutelle ou le fonctionnement de l’institution. » Didier Saubié s’entretient parallèlement avec les chefs de service, afin que soit nommé un tuteur de terrain apte à proposer au stagiaire des expériences ou des mises en situation qui lui permettent d’avancer dans ses apprentissages, en tenant compte de ses acquis. « J’effectue également un affichage dans le hall de l’établissement pour informer tout le monde de l’arrivée du nouveau venu et je demande au tutoré de venir se présenter aux enfants de manière informelle une semaine avant le début de son stage, lors d’une soirée, d’un goûter, pour que chacun puisse se familiariser. »

Une analyse critique des pratiques

De son côté, la directrice reçoit le stagiaire pour lui rappeler la notion de secret professionnel et lui parler des maltraitances. « Le fait d’avoir, avec dix stagiaires à l’année, un regard extérieur est une forme de garantie de la bientraitance de notre public. Je les invite à avoir une analyse critique de nos pratiques et à ne pas hésiter à pousser la porte de mon bureau si des actes ou des attitudes les interrogent. Cela nous permet de ne pas nous chroniciser dans des habitudes figées », explique Nathalie Chapuis.

Un constat partagé par Mylène Prouheze, chef de service à l’IME André-Nouaille, à Massy (Essonne), qui apprécie « ce regard de gens qui sont dans un processus d’apprentissage et qui nous questionnent sur nos pratiques », ce qui permet à « des institutions très fermées de rester en alerte ». Au-delà, celle qui, pour aider à l’accompagnement de 60 enfants de 5 à 14 ans, accueille chaque année trois stagiaires (travailleurs sociaux, mais aussi psychomotriciens ou orthophonistes) souligne la richesse que représente l’accueil de stagiaires : « Ces personnes qui suivent un processus d’apprentissage et ont d’autres expériences nous apportent souvent des outils que nous ne connaissons pas, et sont parfois capables de réaliser des évaluations fines et pertinentes sur les enfants. » Ce que Nathalie Chapuis, directrice des Fogières, complète : « Elles apportent un souffle nouveau avec des idées nouvelles, peuvent proposer des projets auxquels on ne pense pas. »

Selon la manager, il existe de nombreux autres avantages à accueillir des stagiaires : « Ils finissent par bien connaître la structure et les enfants, ce qui me permet de créer une file active de salariés vacataires. Je propose ainsi des remplacements lors des congés d’été à ceux dont le stage s’est particulièrement bien passé. » Elle ajoute : « C’est particulièrement valorisant pour les professionnels de constater l’évolution des stagiaires, la façon dont ils parviennent à intégrer ce qui leur est transmis. » Dans le même ordre d’idées, Wilfried Nolot, chef de service éducatif au CER (centre éducatif renforcé) du Kreuzweg, au Hohwald (Bas-Rhin), est formel : « La présence de sang neuf dans l’équipe oblige les éducateurs à donner un sens à leur travail quotidien. Expliquer leurs tâches aux stagiaires, répondre à des questions qui peuvent paraître anodines les oblige à réfléchir à leurs pratiques. »

« Du travail en plus »

Enfin, si le stage ne doit pas être un alibi pour trouver de la main-d’œuvre à bon compte, beaucoup d’encadrants sont d’accord pour dire que le travail des stagiaires est utile. « Au CER, ils ne sont pas là que pour observer, ils sont dans l’action – même si on les met rarement en doublure mais toujours en triplure –, on considère qu’ils font partie de l’équipe »,pointe Wilfried Nolot. Ce à quoi Didier Saubié met un bémol : « Le stagiaire, c’est du travail en plus, pas en moins ! » Avant de préciser : « Cela demande beaucoup d’efforts à toute l’équipe, car il faut intégrer une nouvelle personne, l’aider à faire sa place, puis à trouver son activité support. Le tuteur référent, lui, se déplace dans les organismes de formation et s’investit pour les évaluations du stagiaire. Et quand le stage se passe moins bien, cet investissement devient exponentiel. » Pascal Carlier, de l’IME Mont-Cauvaire, renchérit : « Pour les tuteurs de terrain, le temps passé avec le tutoré est un temps où il n’est pas en prise en charge. Certaines associations en viennent à se poser la question d’arrêter d’accueillir des stagiaires pour économiser du temps. Nous pouvons nous le permettre pour le moment, car nous faisons partie d’une grosse association, mais s’il fallait un jour choisir entre accueil des stagiaires et prise en charge des enfants, la question serait vite tranchée. »

La présence de personnes en formation pose, selon Pascal Carlier, d’autres problèmes : « Certes, pour les enfants, ça peut être riche d’avoir un autre adulte auprès d’eux, mais quand le stage est compliqué, ça peut créer des difficultés à l’égard de l’ensemble du groupe et des autres éducateurs. » Wilfried Nolot, dont l’établissement prend en charge sept garçons (quatre orientés par la protection judiciaire de la jeunesse et trois par l’aide sociale à l’enfance) pour des sessions de cinq mois, précise : « Il arrive que certains stagiaires ne conviennent pas, qu’ils “explosent en vol” et aient des attitudes mauvaises qui peuvent mettre en danger les collègues. » Pour éviter cela, le chef de service a choisi d’accueillir par session un ou deux stagiaires « plus âgés, qui ont de l’expérience »,pour pouvoir « s’appuyer sur leur vécu lors de la confrontation avec notre public difficile ».

Attention, avertit Mylène Prouheze, de l’IME André-Nouaille : « Les stagiaires ont toute légitimité à être dans l’ignorance puisqu’ils sont là pour apprendre. » Dans son établissement, il est arrivé qu’il y ait « quelques malentendus ». « Mais ce n’est pas une mauvaise chose, relativise-t-elle, ça nous permet de faire un arrêt sur image sur une situation avec le stagiaire, de l’analyser et de rebondir. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’autres ratés, mais ça fait partie de la vie de l’institution. » Pour limiter les situations problématiques, cependant, « les professionnels qui œuvrent à l’accompagnement que l’établissement peut proposer à un étudiant vont participer prochainement à un travail de réflexion afin de redéfinir plus précisément les différentes modalités d’accueil, selon qu’il est en première, en deuxième ou en troisième année de formation ».

Une gratification ou pas ?

Un financement de l’agence régionale de santé permet à l’IME André-Nouaille de gratifier ses stagiaires. Ce qui n’est pas le cas de tous les établissements, malgré les exigences de la loi sur l’encadrement des stages(2). Ainsi, à la MECS Les Fogières, le maigre budget alloué est dédié au financement du professionnel référent. « On ne peut pas aller au-delà, car dégager davantage d’argent se ferait au détriment d’autres budgets », explique Nathalie Chapuis. La structure accueille donc des stagiaires dans un parcours de reconversion professionnelle et dont les émoluments sont pris en charge par Pôle emploi. Même constat à l’IME Mont-Cauvaire, où Hélène Malfilatre estime « mobiliser déjà beaucoup de ressources » en mettant du personnel à la disposition des stagiaires. « Nous n’avons aucune ligne budgétaire dédiée à la gratification, et si nous devions les payer, nous devrions arrêter d’accueillir des stagiaires. » Elle a néanmoins demandé pour 2016 une enveloppe afin de gratifier deux stagiaires – demande restée pour le moment sans réponse. « L’obligation de gratifier n’a apporté que des problèmes et aucune solution », insiste Pascal Carlier. Le chef de service de l’IME raconte même que des étudiants, pour avoir plus de chance d’obtenir un stage, n’hésitent plus à spécifier dans leurs lettres de motivation qu’ils ne sont pas gratifiables – « un comble ! » Il arrive aussi que des étudiants proposent de scinder leur période de stage pour que l’établissement ne soit pas tenu de les gratifier. « Ce n’est pas dans nos pratiques, mais cela arrive du fait qu’ils sont de plus en plus nombreux à peiner pour trouver des terrains de stage, pointe Michèle Slaoui, directrice adjointe de l’ESTES (Ecole supérieure en travail éducatif et social) de Strasbourg. C’est regrettable. Certes, les budgets sont contraints, mais quand un stagiaire en formation reste plus d’un trimestre dans un établissement, il produit forcément de la valeur ajoutée et représente un soutien pour les équipes. Il semble donc normal de le gratifier. »

Stage et insertion professionnelle

Selon une étude du Céreq (Centre d’étude et de recherches sur les qualifications)(1), un des objectifs du stage est de réduire le manque d’information dans la relation d’emploi entre les jeunes diplômés et leurs employeurs potentiels. Il permet également au stagiaire de mieux cibler les débouchés possibles et les postes auxquels il peut prétendre. Réciproquement, l’employeur connaît déjà une partie des compétences du stagiaire et peut mieux se faire une idée de son adéquation avec l’emploi demandé. L’étude pointe que 30 % des jeunes diplômés du supérieur entrant sur le marché du travail ont déjà travaillé pendant leurs études chez leur premier employeur, dont près de 17 % lors d’un stage.

« Construire des compétences professionnelles »

« Les attendus d’un stage ont énormément évolué depuis la réforme des diplômes, pointe Michèle Slaoui, directrice adjointe de l’Ecole supérieure en travail éducatif et social de Strasbourg. Auparavant, le stagiaire était accueilli et encadré par une personne de “bonne volonté”. Le stagiaire accordait son intervention à la sienne, développait son apprentissage professionnel par l’observation de situations et intervenait par ajustement à son tuteur ou encore par reproduction. A partir des référentiels de formation développés ces douze dernières années, c’est à l’environnement de travail de générer les conditions nécessaires permettant la construction progressive des compétences professionnelles. Cela intègre désormais toute une dimension de réflexion. Pour cela, un travail avec un tiers – le tuteur – est indispensable. »

Les besoins du tutoré varient selon son niveau de formation et de connaissance du secteur. « Si c’est un tout débutant, il est là pour découvrir le secteur, une réalité institutionnelle, un métier, puis prendre contact avec le public, sa réalité et ses besoins. Au niveau des stages plus fléchés et des formations professionnalisantes, le stagiaire doit développer des compétences (en projets, en suivi individualisé, en communication…). C’est donc tout un parcours préfléché qu’il faut construire en interne pour lui permettre de déployer un mode d’intervention adapté à chaque situation. » Responsable du département formation continue, Michèle Slaoui estime qu’il est important qu’un ou plusieurs salariés de chaque structure soient formés à cet accompagnement, afin d’intégrer la logique pédagogique d’un apprentissage professionnel. « Au cours de la formation de tuteur référent, nous enseignons comment accueillir le stagiaire, comment organiser le service en sa présence, ou encore comment mettre en place progressivement des situations qui vont lui permettre d’expérimenter, de réfléchir et de construire de la compétence. »

Notes

(1) Voir aussi sur le même sujet notre rubrique « Vos idées », ce numéro, p. 26.

(2) Voir ASH n° 2867 du 4-07-14, p. 44.

(1) « L’effet de la qualité des stages sur l’insertion professionnelle », Jean-François Giret et Sabina Issehnane (Net.Doc n° 71, Céreq, septembre 2010).

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