Dans un rapport rendu public le 11 avril sur « la fracture territoriale en Ile-de-France »(1) – document qui s’appuie sur une analyse croisée des données disponibles sur les inégalités territoriales du point de vue de la pauvreté, du logement, de l’hébergement, de la santé, de l’éducation… –, le Secours catholique alerte « les pouvoirs publics sur le risque majeur de déchirure du tissu social encouru par la région ».
Car si l’Ile-de-France représente 31 % de la richesse nationale, elle est aussi « la région la plus inégalitaire », où plus riches et plus pauvres « ne se mélangent pas et vivent dans des lieux nettement différenciés ». La région compte en effet une proportion de pauvres plus importante qu’au niveau national : 15 % des ménages (soit près de 1,8 million de personnes), contre 14,3 % en France métropolitaine, y vivent avec moins de 990 € par mois et par personne (ce taux atteint 20 % dans la Seine-Saint-Denis et dans les XVIIIe , XIXe et XXe arrondissements de Paris). Et, « en huit ans [de 2004 à 2012], la proportion des ménages pauvres en Ile-de-France a augmenté deux fois plus vite qu’en France métropolitaine » (+ 5 points contre + 2,6 points), avec une progression plus marquée dans les départements aux revenus les moins élevés : la Seine-Saint-Denis, le Val-d’Oise et le Val-de-Marne.
Résultat : « la concentration des personnes en situation de pauvreté a augmenté sensiblement au cours des dernières années », constate l’association, qui met en évidence la disparité des revenus entre les huit départements franciliens (plus de 50 % d’écart entre le revenu médian dans la Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine), « mais aussi au sein de chaque département […] dans certaines communes ou certains arrondissements ». C’est notamment le cas dans la Seine-Saint-Denis, « territoire le plus pauvre de la région », marqué par une forte progression du nombre de demandeurs d’emploi (de 9,3 à 12,3 % de la population active de 2007 à 2011), d’allocataires du revenu de solidarité active (de 25 à 30 % de 2009 à 2014) et de familles monoparentales (dont le taux de pauvreté était supérieur de 10,8 points, en 2010, au taux de pauvreté global en Ile-de-France). Pour augmenter l’effort de solidarité, le Secours catholique appelle, notamment, à « une amplification du système de péréquation des aides publiques ».
Autre fait alarmant : la dégradation globale s’accompagne d’un « accroissement de la pauvreté des enfants dans les territoires déjà fragilisés ». Elle frappe désormais « près d’un enfant sur quatre » en Ile-de-France (24,3 % en 2013 contre 22 % quatre ans auparavant), en particulier en Seine-Saint-Denis et dans certaines communes du Val-d’Oise ou de la Seine-et-Marne. « A contrario, les taux de pauvreté infantile ont principalement décru à Paris, dans les XVIIIe, IXe et Xe arrondissements et sont restés relativement stables dans la majorité des communes des Hauts-de-Seine et des Yvelines », souligne l’association.
L’accès au logement est un autre indicateur de la « fracture territoriale ». La « répartition territoriale disparate du parc social » pèse sur les zones les plus fragiles, l’essentiel (65 %) du parc social francilien étant situé en petite couronne, mais avec des écarts importants : « Le ratio logements locatifs sociaux/résidences principales varie de 18,3 % en 2014 pour Paris et la Seine-et-Marne à 35,7 % pour la Seine-Saint-Denis. » Globalement, il est « inversement proportionnel au niveau de revenu des habitants des communes », malgré la loi SRU (solidarité et renouvellement urbains), dont l’application accuse « du retard par rapport à l’objectif fixé, notamment dans les communes aisées ». Jugeant « primordial de mieux répartir l’offre », le Secours catholique se prononce pour « de plus fortes incitations et/ou des pénalités financières plus élevées » envers les villes réfractaires.
Par ailleurs, si le nombre de logements locatifs sociaux a augmenté de 3,3 % entre 2012 et 2014 (soit 38 000 logements supplémentaires), l’offre reste insuffisante au regard des besoins (l’Ile-de-France concentre 32 % des demandes de logements sociaux en France) et inadaptée : ces constructions visent surtout les classes moyennes (loyers PLS/PLUS), alors qu’il faudrait des logements à prix très abordable (PLAI). Dans le cadre des travaux visant à créer un schéma régional de l’habitat et de l’hébergement (SRHH), l’association demande donc qu’au moins 40 % des 35 000 nouveaux logements sociaux attendus chaque année en Ile-de-France soient « réellement accessibles aux plus pauvres » (PLAI et super PLAI), et que ces chantiers soient « essentiellement réalisés dans les communes les plus favorisées », sous l’égide d’une « instance de pilotage de ce schéma dotée d’une autorité effective ».
Même constat pour le droit au logement opposable (DALO), avec des « écarts de relogement d’un département à l’autre [qui] ne sont pas acceptables dans une région comme l’Ile-de-France ». Le Secours catholique est favorable « à ce que la loi puisse fixer un objectif de relogement à hauteur de 25 % [des attributions] sur le contingent des collectivités territoriales ». L’association relève également « une répartition géographique inéquitable de l’hébergement d’urgence », là aussi dans un contexte de hausse de la demande : alors que les nuitées hôtelières étaient d’environ 19 800 par jour à la fin 2012, ce volume est passé à 32 000 en 2015, selon la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL). Celle-ci précise que, « chaque jour en Ile-de-France, le dispositif d’hébergement et de logement adapté financé par l’Etat accueille, tous modes d’hébergements confondus, 75 000 personnes sans domicile et en situation de détresse sociale ». Et si Paris « concentre 20 % des nuitées en 2015, la petite couronne en concentre 41 %, dont 27 % dans la Seine-Saint-Denis », précise le rapport, en notant que c’est ainsi « le département le plus pauvre qui contribue le plus à l’hébergement d’urgence ». Au final, « la pauvreté s’ajoute à la pauvreté », s’insurge l’association, qui réclame l’application d’un quota de places d’hébergement aux communes, avec un dispositif d’amendes.
Ce sont, enfin, également « des inégalités croissantes » du système éducatif et « un mauvais équilibre dans l’accès aux soins » que pointe le Secours catholique. Il demande la mise en place d’un « observatoire chargé de mesurer chaque année l’évolution de l’équilibre territorial de l’Ile-de-France, composé de représentants de l’Etat, de la région et du secteur associatif ». Car, « sans changement radical dans la politique d’aménagement de notre territoire francilien, les actions de réparation menées par l’action sociale publique et associative seront de plus en plus insuffisantes à pallier les déséquilibres qui ne cessent de s’accroître ».
(1) La fracture territoriale – Analyse croisée des inégalités en Ile-de-France – A télécharger sur