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Des sénateurs déplorent l’insuffisance des moyens et du pilotage de la lutte contre la traite des êtres humains

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Selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies, 70 % des victimes de la traite des êtres humains sont des femmes et des jeunes filles. Un phénomène qui s’inscrit donc « dans la continuité des violences faites aux femmes », relève la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat qui s’est penchée, dans un rapport récemment publié(1), sur les actions mises en œuvre en France pour le combattre.

Garantir plus de moyens financiers et humains

Pour la délégation, la politique de lutte contre la traite des êtres humains est « une politique publique récente, dont le pilotage est encore perfectible ». Et c’est la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) qui est chargée, depuis 2013, de la coordonner. Mais, dotée de « compétences très larges », elle ne dispose que de faibles moyens pour les exercer. En effet, souligne le rapport, la mission ne reçoit pas de crédits spécifiques pour conduire son action. Quant à ses effectifs, ils se résument à trois équivalents temps plein et à un temps partiel. En outre, « la logique interministérielle qui devrait impliquer les ministères de l’Intérieur et de la Justice au même titre que le ministère des Affaires sociales paraît devoir être renforcée », relève la délégation. Aussi recommande-t-elle le «  rattachement de la Miprof au Premier ministre, dans la mesure où son champ de compétences requiert un travail de coopération étroit entre les services de nombreux ministères et une approche pluridisciplinaire ».

La Miprof est notamment responsable de la mise en œuvre du plan d’action national contre la traite des êtres humains 2014-2016(2) dont l’«  application demeure aujourd’hui limitée  », déplorent les sénateurs, faute, là aussi, de financements pérennes et transparents. Ces derniers reposent en effet « majoritairement sur des recettes aléatoires » issues de la confiscation des biens et produits des personnes et réseaux coupables de traite des êtres humains et de proxénétisme et – conformément à la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel – des sommes résultant de la pénalisation des clients (voir ce numéro, page 42).

Sur le terrain, les associations, « partenaires indispensables de la lutte contre la traite des êtres humains », souffrent également d’un « déficit de financement public », qui peut entraver leur capacité d’action dans la durée. Aussi la délégation plaide-t-elle pour une « sanctuarisation dans la durée des moyens budgétaires et humains qui leur sont dédiés ».

Renforcer l’arsenal juridique

Sur le plan pénal, les sénateurs notent un «  recours encore trop rare à la qualification de traite des êtres humains [prévu par l’article 225-4-1 du code pénal] au regard de l’ampleur du phénomène » : selon les forces de l’ordre, entre janvier et mai 2015, seules 45 infractions de traite ont été constatées, contre 313 en matière de proxénétisme et 100 en matière de conditions de travail et d’hébergement indignes. Malgré tout, le nombre de condamnations a, lui, progressé : 0 en 2009, 28 en 2012 et 127 en 2013. « Ce constat en demi-teinte est regrettable, estime la délégation : il existe un réel intérêt à viser l’incrimination de traite des êtres humains en plus de celle de proxénétisme car elle couvre un champ plus large et un plus grand nombre de situations ». Pour elle, cette situation s’explique en partie par une « certaine frilosité de la part des magistrats » à recourir à cette incrimination, les juges estimant « plus simple de poursuivre sur le fondement du proxénétisme aggravé ou du travail dans des conditions indignes que sur celui de la traite des êtres humains, infraction juridiquement plus complexe à apprécier ».

En outre, la délégation pointe une faille dans la définition actuelle de la traite en ce qu’elle ne fait pas explicitement référence au cas des mariages forcés, alors même que la Convention internationale des droits de l’enfant les considère comme une forme d’exploitation relative à la traite des êtres humains. Aussi les sénateurs demandent-ils une modification de l’article 225-4-1 du code pénal afin de prendre en compte cette autre facette de la traite.

Améliorer la prise en charge des victimes

La délégation regrette aussi « l’absence d’uniformisation » dans la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains sur le territoire, sur les plans administratif et judiciaire. Une remarque qui vaut en particulier pour les titres de séjour dont les modalités de délivrance font l’objet de « divergences marquées entre les préfectures ». Selon la Cimade, sur les 20 000 titres de séjour accordés en France en 2014, seuls 63 l’ont été sur le fondement de la traite(3). Les sénateurs demandent donc une « harmonisation des pratiques préfectorales » en la matière. Un premier pas a été franchi en ce sens avec la publication d’une instruction du 19 mai 2015 du ministère de l’Intérieur qui explicite les conditions d’examen des demandes d’admission au séjour des étrangers victimes de la traite des êtres humains(4). Mais il est encore trop tôt pour dresser le bilan de son efficacité.

La délégation critique également « l’absence d’outils adaptés au cas des mineurs victimes de la traite » – accès insuffisant à l’assistance d’un tuteur, manque d’accueil sécurisant, inadaptation du système de l’aide sociale à l’enfance (ASE) – « malgré une réelle prise en compte de cette problématique ». Il ressort, par exemple, de ses auditions que « seuls les mineurs victimes de la traite dont les auteurs sont impliqués dans des procédures pénales sont protégés » par l’ASE. Or, insistent les sénateurs, les mineurs devraient être protégés « de manière inconditionnelle ». Face à ces lacunes, ils suggèrent donc la «  désignation d’un tuteur formé à la question de la traite des êtres humains, pour les mineur(e)s isolé(e)s étrangers et pour les mineur(e)s en danger dans leur milieu familial, victimes ou potentiellement victimes de la traite ». En outre, il apparaît « indispensable de mobiliser les structures de protection de l’enfance sur tout le territoire de manière à y orienter de jeunes victimes qui seraient mieux protégées par un éloignement géographique de leur lieu d’exploitation ». Tel est l’objet d’une expérimentation d’un accueil sécurisant pour les mineur(e)s actuellement menée à Paris(5) sur le modèle du réseau Ac.Sé existant pour les victimes majeures(6). Action que la délégation sénatoriale soutient, rappelant toutefois qu’« une telle évolution requiert un financement qui semble aujourd’hui insuffisant ».

La crise des migrants, un terrain propice à la traite ?

La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat s’est aussi interrogée sur les conséquences possibles de la crise des migrants que connaît actuellement l’Europe sur la traite des êtres humains. Si le trafic de migrants et la traite sont deux phénomènes juridiquement distincts (consentement, exploitation et transnationalité), « la porosité entre les deux notions ne peut être ignorée ». Un constat également dressé par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme dans un rapport récemment rendu public(7), rappelant que les « questions de la traite sont fréquemment diluées dans la politique d’immigration ». Au regard de ses rencontres avec les acteurs de terrain et des visites dans la « jungle » de Calais, la délégation estime que « la question de la traite des êtres humains au sein des camps de migrants est malheureusement une réalité déjà tangible, ayant incité associations et pouvoirs publics […] à s’organiser pour lutter contre ce phénomène ». Par exemple, France terre d’asile a proposé la mise en place d’un projet d’identification, d’information et d’orientation des victimes de la traite dans le Calaisis sur une période de 18 mois. Pour leur part, les sénateurs recommandent la « création, dans les meilleurs délais, des 50 postes de médiateurs culturels annoncés dans le plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains 2014-2016 » pour faciliter les actions de prévention et de détection des victimes(8).

Notes

(1) Rapport d’information n° 448 – Mars 2016 – Disponible sur www.senat.fr.

(2) Voir ASH n° 2860 du 16-05-14, p. 5.

(3) Rappelons que, en vertu de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, peuvent se voir accorder un titre de séjour mention « vie privée et familiale » les étrangers qui ont déposé plainte contre une personne soupçonnée d’avoir pris part à la traite des êtres humains.

(4) Voir ASH n° 2913 du 5-06-15, p. 42.

(5) Cette expérimentation est, dans un premier temps, financée pour l’accueil de cinq mineurs.

(6) Le dispositif national Ac.Sé propose un hébergement et un accompagnement éloignés géographiquement du lieu de résidence de la victime de traite en danger ou en grande vulnérabilité. Il agit aussi comme pôle ressource auprès des professionnels en contact avec les victimes.

(7) Voir ASH n° 2952 du 18-03-16, p. 14.

(8) Voir ASH n° 2860 du 16-05-14, p. 5.

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