Dans un arrêt du 30 mars, le Conseil d’Etat précise la répartition des compétences entre l’Etat et le département en matière d’aides à l’hébergement des familles avec enfants connaissant de grandes difficultés. Pour donner tort, au final, à un département qui, après avoir pris en charge en urgence les frais d’hébergement à l’hôtel d’une famille, avait cessé le versement de cette aide au seul motif qu’il incombait à l’Etat d’assurer l’hébergement et sans s’assurer que la situation des intéressés ne l’exigeait plus(1).
Dans cette affaire, la mère isolée de trois enfants (nés en 1998, 1999 et 2008) a demandé, courant 2012, au conseil général de la Seine-Saint-Denis(2) de prolonger le versement de l’aide financière mensuelle dont elle bénéficiait pour la prise en charge de ses frais d’hébergement à l’hôtel. Essuyant le refus de la collectivité, elle a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Montreuil, qui lui a donné raison et a enjoint au conseil général de procéder à un nouvel examen des droits de la requérante au titre de l’« aide à domicile ». Saisie à son tour, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par le département contre ce jugement. Le conseil général s’est donc tourné vers le Conseil d’Etat. Sans plus de succès au final.
En principe, explique la Haute Juridiction administrative, les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement, sont à la charge de l’Etat. Exception : quand il s’agit de femmes enceintes et de mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans ayant besoin, notamment parce qu’elles sont sans domicile, d’un soutien matériel et psychologique, la prise en charge des aides à l’hébergement incombe au département au titre de l’aide sociale à l’enfance (ce qui n’était pas le cas en l’espèce).
Toutefois, soulignent les magistrats, cette compétence de l’Etat n’exclut pasl’intervention supplétive du département lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l’exigent, par des aides financières versées, au titre de l’aide sociale à l’enfance, par le président du conseil général, en application de l’article L. 222-3 du code de l’action sociale et des familles.
Dès lors – sans lui enlever sa faculté de rechercher la responsabilité de l’Etat en cas de carence avérée et prolongée –, « un département ne peut légalement refuser à une famille avec enfants l’octroi ou le maintien d’une aide entrant dans le champ de ses compétences, que la situation des enfants rendrait nécessaire, au seul motif qu’il incombe en principe à l’Etat d’assurer leur hébergement », écrit le Conseil d’Etat.
Lorsque, comme en l’espèce, un département a pris en charge, en urgence, les frais d’hébergement à l’hôtel d’une famille avec enfants, il ne peut, alors même qu’il appartient en principe à l’Etat de pourvoir à l’hébergement de cette famille, décider de cesser le versement de son aide sans avoir examiné la situation particulière de cette famille et s’être assuré que, en l’absence de mise en place, par l’Etat, de mesures d’hébergement ou de toute autre solution, cette interruption ne placera pas de nouveau les enfants dans une situation susceptible de menacer leur santé, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation.
Ainsi, aux yeux des magistrats, c’est sans entacher son arrêt d’erreur de droit ni d’insuffisance de motivation que la cour administrative d’appel a pu juger que le refus opposé à la requérante était illégal, dès lors qu’il était motivé par la seule compétence de principe de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence et sans qu’ait été prise en considération la situation des trois enfants mineurs de l’intéressée.
(1) Pour l’association Droit au logement, cette décision « constitue une avancée considérable pour le droit des familles sans abri et des mineurs isolés sans logis à un hébergement durable ». En effet, a-t-elle accusé le 5 avril dans un communiqué, « les départements généralisent les refus d’hébergement et les fins de prise en charge des familles avec enfants et des mineurs et jeunes majeurs, sans logis ».
(2) Rappelons que, depuis mars 2015, le conseil général a été rebaptisé conseil départemental.