Inadaptée à leurs soins, la prison aggrave la souffrance des personnes atteintes de pathologies psychiatriques. Tel est le constat de l’ONG internationale Human Rights Watch, dans un rapport rendu public le 5 avril(1). De janvier à juillet 2015, l’organisation de défense des droits de l’Homme a visité huit établissements pénitentiaires français et rencontré 50 détenus. Au cours de son enquête, elle a aussi interrogé des fonctionnaires des ministères de la Justice et de la Santé, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté et son prédécesseur, des avocats, l’Observatoire international des prisons et un représentant d’un syndicat de surveillants.
Human Rights Watch rappelle qu’environ un quart des détenus présenterait une pathologie mentale, selon une étude datant de 2004 et des estimations souvent concordantes. « Une nouvelle étude indépendante sur la prévalence des troubles psychiatriques dans les prisons françaises s’impose », recommande en premier lieu l’organisation, rappelant que 113 personnes se sont suicidées derrière les barreaux en 2015. Les conditions de vie, la surpopulation, l’absence de contacts humains dans les nouvelles prisons, les tensions entre l’application des règles carcérales et la prise en compte de la santé mentale des détenus, l’absence de coopérations entre surveillants et personnels de santé sont autant de facteurs compliquant la situation des malades sous écrou.
Faute de personnels en nombre suffisant, l’accès aux soins de santé mentale est défaillant. « D’après les chiffres fournis à Human Rights Watch par le ministère de la Santé, le 31 décembre 2012, il y avait l’équivalent de 175,8 postes de psychiatres à temps plein travaillant dans les prisons françaises pour une population carcérale de 66 572 au 1er janvier 2013 », précise le rapport. « La moyenne nationale était de 0,9 poste pour 1 000 détenus. » Toutefois, ajoute l’ONG, « les chiffres varient de manière significative entre les maisons d’arrêt qui sont dotées d’un SMPR [service médico-psychologique régional] et celles qui ne le sont pas ». Or, sur 188 établissements pénitentiaires au moment de l’enquête, seuls 26 étaient pourvus d’un SMPR. Human Rights Watch pointe également les abus à l’égard des détenus pris en charge en hôpital psychiatrique, lorsqu’ils ne peuvent pas intégrer une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) en cas d’urgence ou de suivi intensif nécessaire. Les conditions d’hospitalisation sans consentement – en chambre d’isolement, sous contention complète parfois durant tout leur séjour – ont d’ailleurs déjà été critiquées par le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe.
Le rapport dénonce également les « discriminations à l’encontre des femmes en prison », qui pâtissent d’un accès plus difficile aux soins de santé mentale : « Seul le SMPR de la prison de Fleury-Mérogis dispose de lits pour les femmes. Par conséquent, les femmes détenues dans d’autres établissements ont seulement la possibilité de recevoir des soins par le biais de rendez-vous individuels en prison ou d’une hospitalisation en hôpital psychiatrique, sans autre alternative entre ces deux solutions. » Dans les cas les plus graves, la seule réponse apportée est parfois l’hospitalisation d’office. Les femmes « doivent avoir un accès équivalent aux soins de santé », recommande Human Rights Watch, ajoutant qu’elles doivent aussi avoir un accès égal « aux activités et à la formation professionnelle et ne doivent pas subir de plus grandes restrictions que les hommes quant à leurs mouvements ».
Parmi ses autres préconisations, l’ONG demande « d’explorer des façons d’améliorer les interactions constructives entre les professionnels de santé mentale et le personnel pénitentiaire dans le strict respect du secret médical ». Elle suggère aussi que les détenus devant comparaître devant une commission de discipline en vue d’une sanction puissent demander qu’un médecin ou un professionnel de santé soit appelé à témoigner. Human Rights Watch demande au ministère de la Santé de débloquer le budget nécessaire au recrutement de personnels et de « s’atteler au problème d’absence d’attractivité du travail [des personnels de santé] en prison », à travers une meilleure communication avec le personnel pénitentiaire et la garantie de la protection du secret médical.
Davantage d’établissements devraient être dotés d’un SMPR, insiste-t-elle. Lorsqu’ils sont admis en hôpital psychiatrique, les détenus devraient « être traités d’une façon non discriminante » et leurs droits devraient être respectés, y compris celui « à un traitement sur la base d’un consentement libre et éclairé ». Une meilleure prise en charge devrait être proposée, selon l’organisation, notamment sur la base de l’évaluation des UHSA, au nombre de sept au moment de la rédaction du rapport. Pour encourager les juges à réduire l’incarcération des personnes atteintes de troubles psychiatriques graves, elle rappelle les dispositions de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales sur les réductions et suspensions de peine(2).
(1) Double peine. Conditions de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France – Disponible sur