Quelle place pour les établissements sociaux ou médico-sociaux (ESMS) dans les futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT) prévus par la récente loi modernisant le système de santé(1) et qui doivent entrer en vigueur le 1er juillet ? Alors que le monde de la psychiatrie a fait part de son opposition à ce dispositif(2), le Syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privé (Syncass)-CFDT, pointe, dans un communiqué diffusé le 1er avril, « l’hésitation logique des établissements médico-sociaux » à faire ou non partie des conventions constitutives des GHT. « Le projet de décret [relatif à ces groupements] n’apporte pas toutes les précisions et la loi n’a pas tenu compte de toutes [les] spécificités » des établissements médico-sociaux, souligne le Syncass-CFDT.
Se pose notamment la question de la place de ces établissements dans la gouvernance des GHT, sachant que « les attributions entre les instances délibératives et la direction ne sont pas ventilées de la même façon dans les centres hospitaliers et les structures médico-sociales », explique Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syncass-CFDT. En cela, « la question, toujours ouverte, d’un modèle coopératif ou fortement intégratif […] va ainsi conditionner les attitudes [des] directeurs et [des] conseils d’administration » des établissements médico-sociaux, écrit le Syncass-CFDT. Parmi les autres interrogations : la participation des établissements médico-sociaux sera-t-elle de plein droit et entière ? Une question qui reste « insuffisamment traitée », indique encore le syndicat, pour qui la logique du projet médical partagé doit « conduire à approfondir la dimension médico-sociale des GHT ». C’est en effet « la place pertinente donnée à la prise en charge médico-sociale qui déterminera la participation des établissements concernés », auxquels « il doit être possible de donner leur juste place […] pour favoriser la continuité des prises en charge ».
En dépit de ces réserves, pour le Syncass-CFDT, la participation des établissements médico-sociaux aux GHT « présente théoriquement de réels avantages, dont la consolidation des filières de prise en charge et des bénéfices potentiels de la mutualisation ». L’un des effets attendus est « le renforcement de filières, en amont de l’hôpital », sachant qu’aujourd’hui les EHPAD et les établissements pour personnes en situation de handicap « souffrent souvent d’un accès insuffisant à l’hôpital, hors de l’urgence », entraînant des retards et des ruptures de prise en charge. En aval, les établissements médico-sociaux pourront « apporter une ressource précieuse en capacités de suite d’hospitalisation ». Autre intérêt, par le biais des pôles interétablissements : éviter « des hospitalisations et des déplacements d’usagers » et assurer « des consultations de spécialités ou des prises en charge thérapeutiques possibles au sein des établissements médico-sociaux ». Enfin, en faisant partie d’un GHT, les structures médico-sociales peuvent bénéficier de fonctions mutualisées.
En prévision de la préfiguration des GHT, l’Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) a pour sa part lancé, en février dernier, un diagnostic visant à recueillir les besoins et les attentes de ses adhérents nationaux et des 22 Uriopss. « Nous sommes actuellement en phase d’entretien d’approfondissement avec certains des répondants qui nous ont signalé des leviers pour la mise en place des GHT, mais qui ont également fait émerger des craintes », témoigne Céline Masson, conseillère technique santé-ESSMS à l’Uniopss. Parmi les inquiétudes exprimées : celle de subir la politique de l’établissement support, la perte d’indépendance des ESMS vis-à-vis des établissements de santé ou encore un renforcement de l’hospitalo-centrisme.
Les premiers résultats révèlent par ailleurs des positionnements et des attentes très hétérogènes selon les territoires et les dynamiques en place : « Les Uriopss ont fait notamment remonter que seules quatre ARS [agences régionales de santé] avaient communiqué sur les GHT auprès des acteurs locaux, poursuit Céline Masson. De fait, nous avons beaucoup de demandes d’accompagnement technique (calendrier, acteurs concernés, s’agira-t-il de conventions constitutives ou de partenariats ?…) ». Pour répondre à ces attentes, l’Uniopss a mis en place un groupe de travail chargé d’élaborer un guide pratique sur l’intégration des GHT. Elle a en outre formulé des propositions d’amendements au projet de décret, sur trois points principaux. L’organisation demande d’abord un renforcement de la prise en compte des usagers. « Nous avons également attiré l’attention sur le fait que, dans le projet de décret, la démarche de constitution des GHT est très descendante – contrairement à l’esprit de la loi – alors que nous souhaitons une approche plus collaborative, poursuit la conseillère de l’Uniopss. Par ailleurs, dans un objectif de fluidification des parcours, il nous semble important que la place des établissements du secteur privé non lucratif soit clairement précisée, ce qui n’est pas le cas actuellement. »
Pour l’Uniopss, il y a un réel intérêt à la constitution des GHT s’ils sont véritablement conçus comme des outils de coordination des soins facilitant les parcours. A partir de là, « ils ne peuvent se construire sans le secteur privé non lucratif des solidarités, insiste Céline Masson. Les GHT peuvent également contribuer au renforcement du maillage territorial, un élément important dans le cadre de la lutte contre les inégalités de santé. Mais cela nécessite une concertation avec tous les acteurs, y compris associatifs, pour l’élaboration des projets médicaux partagés, la mise en œuvre de la gouvernance, etc. » Autant de points sur lesquels l’Uniopss va rester vigilante lors de la dernière phase de concertation sur le projet de décret relatif aux GHT, qui doit être soumis au Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière le 14 avril.