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« Les robots sont parmi nous »

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Les technologies numériques, et notamment la robotique, ouvrent d’immenses perspectives pour la prise en charge dans les secteurs social et médico-social. Reste que leur développement est inséparable de la révolution organisationnelle liée à la désinstitutionnalisation, affirme Jean-René Loubat, psychosociologue-consultant.

« Le processus de désinstitutionnalisation procède non seulement d’un mouvement socioculturel historique, mais aussi d’une transformation techno-structurelle que nous pouvons désigner par « dématérialisation de la société ». Il n’y a pas que les supports d’information, de musique ou de films qui se dématérialisent, mais une infinité de supports de notre vie quotidienne – paiements, déclarations fiscales, thérapies et soins (télémédecine), banques (en ligne), commerces (e-commerce), apprentissage (e-learning), entreprises (entreprises virtuelles)… – et, pour finir, les interventions dans les domaines sanitaire, social et médico-social.

Le secteur sanitaire a été le plus immédiatement impacté par les nouvelles technologies, d’une part, du fait de sa culture scientifique et de son habitude de manipuler de la technologie de pointe, d’autre part, du fait des immenses perspectives qu’elles offrent dans un contexte à la fois marqué par des besoins toujours à la hausse et des ressources plus limitées. Par exemple, tout un ensemble d’examens peuvent être pratiqués à distance par les patients eux-mêmes dans des cabines médicales équipées (ou pour certains à domicile) et connectées à un médecin qui leur fournit les indications nécessaires. Citons encore cette expérimentation à l’université de Bordeaux (unité de recherche du CNRS) qui a mis au point un logiciel capable de mener un entretien médical avec un médecin virtuel pour diagnostiquer des pathologies neuropsychiatriques. Les chercheurs reconnaissent être surpris par l’accueil très favorable de ce dispositif par les patients eux-mêmes. De manière plus générale, ce sont des données de santé qui peuvent et pourront être transmises instantanément (à but préventif ou dans le cadre de suivis) par des capteurs et des vêtements connectés. Ce sont des aides au diagnostic, des conseils et même des soins et des opérations qui seront de plus en plus prodigués à distance permettant d’amplifier la “révolution ambulatoire” en cours.

Les secteurs social et médico-social, moins familiarisés globalement jusqu’alors avec les technologies, voient se dessiner de nombreuses perspectives : par exemple, pour les enfants et adolescents en situation de handicap qui sont scolarisés, le dispositif EyeSchool (webcam, scanner, interface) testé dans quatre régions de l’Hexagone jusqu’en janvier 2016 auprès d’élèves présentant des troubles “dys” ou des déficiences visuelles. L’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés (INS-HEA) pilote d’ailleurs un observatoire des ressources numériques adaptées (ORNA), qui liste et apprécie tous les dispositifs numériques susceptibles d’aider les élèves en situation de handicap dans la poursuite de leur parcours scolaire.

Classes virtuelles

L’école, avec le e-learning (apprentissage à distance), sera concernée à terme par la dématérialisation : certaines classes virtuelles sont déjà en place ; d’autres expériences mixent le self-learning numérique (l’apprentissage personnel par un ordinateur) et l’animation par des “tuteurs pédagogiques”. Des pédagogues constatent que certains enfants peuvent apprendre plus facilement et plus vite avec un ordinateur ou une tablette qu’avec un professeur au sein d’une école minée par l’échec scolaire, les violences et la discrimination. Nombre de formations professionnelles de très bonne qualité (certaines gratuites ou très peu chères) sont déjà accessibles en ligne et permettent à de nombreux individus d’assurer leur promotion professionnelle.

Ce sont encore la domotique et la robotique(1) qui font et feront une entrée spectaculaire dans le domaine de l’accompagnement, notamment à domicile, en permettant à des personnes d’y demeurer le plus longtemps possible. Tous les groupes de travail qui se sont penchés sur les solutions du vieillissement massif de la population européenne comptent essentiellement sur les nouvelles technologies. A terme, tout peut être connecté au sein d’une maison et contrôlé par l’intéressé lui-même ou par un téléaccompagnateur ou une téléauxiliaire de vie : chauffage, éclairage, volets roulants, ouvertures, appareils ménagers (les premiers lave-linge connectés viennent d’être commercialisés).

Les robots seront bientôt présents parmi nous, non plus seulement dans l’industrie, la conquête spatiale, la chirurgie de pointe, les prisons, les entreprises, mais aussi dans notre vie quotidienne (sous d’autres aspects qu’un mixer de cuisine, un aspirateur ou un ordinateur de bord) sous des formes androïdes appelées à des tâches plus complexes. Les Japonais, champions de la cyber-ingénierie, travaillent sur des robots androïdes capables de tenir des conversations et de les mémoriser, de tenir un rôle social, par exemple d’agent de compagnie ou d’assistant pour faire réaliser un certain nombre d’exercices d’entretien de la mémoire ou de jeux, ou encore pour fournir des conseils pour diverses tâches ménagères.

Les applications au domaine du handicap apparaissent immédiatement, en fonction de l’âge et de la situation des personnes bénéficiaires. En France, la Fegapei [Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles] s’intéresse à l’expérimentation en direction d’enfants autistes, celle du petit robot Leka (du nom de la start-up qui l’a réalisé). Leka est une petite sphère très maniable, autonome et interactive, appelée à devenir un compagnon de jeu et d’éveil qui a déjà suscité le vif intérêt de nombreux enfants et parents. Leka parle, se déplace, propose un ensemble de stimulations sensorielles en vue de travailler la sensorialité et la motricité des enfants. C’est un objet connecté qui est chargé à distance au moyen d’une tablette tactile ou d’un Smartphone permettant ainsi le futur développement de multiples applications(2). Sa commercialisation est prévue dans le courant de l’année.

Certaines variétés de robots ludiques sont déjà commercialisées à des prix abordables, d’autres s’adressent davantage à des spécialistes comme le robot programmable NAO Next Gen, capable de se déplacer de manière omnidirectionnelle, de parler dix-neuf langues, de détecter les visages et les formes et de situer les sources sonores, de se protéger lors de chutes. Mais le déploiement fulgurant des robots est assurément devant nous, juste devant nous, et leurs capacités sont infinies, au point que cette progression nécessitera un indispensable encadrement éthique.

Certes, les Occidentaux font bien souvent preuve d’une défiance culturelle à l’endroit des robots, notamment en matière de tâches relationnelles : en effet, pour les “gens du Livre”(3), reproduire la vie est un crime de lèse-divinité, et les fables et récits mythologiques et littéraires ne manquent pas d’évoquer le sort funeste réservé à ces artefacts : du Golem à Frankenstein, de Karl (l’ordinateur de 2001 l’odyssée de l’espace) à Terminator, Predator, aux cyborgs de Blade Runner, et autres divers robots de science-fiction, tous plus hostiles les uns que les autres à notre espèce). Mais pour les bouddhistes, shintoïstes ou animistes d’Extrême-Orient, qui possèdent une tout autre vision de l’univers et de la vie, les robots ne sont plus nécessairement des créatures diaboliques dépourvues d’âme…

Diverses études et enquêtes existent concernant l’acceptation des robots par les humains, qui varie selon l’âge, la culture, les tâches confiées, comme l’enquête auprès du grand public qui a été réalisée en 2012 dans chaque pays de l’Union européenne par TNS Opinion & Social à la demande de la direction générale de la Société de l’information et des médias (INSFO).

Plus immédiatement, c’est en matière de communication que ces secteurs doivent tout particulièrement solliciter les technologies numériques afin d’améliorer leur efficacité, tant dans le domaine du traitement des données, de la coordination des parcours et des projets, que dans le domaine de prestations de soutien, d’aide ou de conseil qui seront de plus en plus réalisées en partie à distance (télé-accompagnement) ou dans les domaines de l’organisation et de la gestion. En effet, comme le pointe Thierry Dimbour, directeur du CREAI Aquitaine(4), ces secteurs d’activité sont plutôt de tradition orale et ont péché par une absence de capitalisation des expériences que seul permet le partage écrit d’informations.

Un espoir pour l’avenir ?

Les organisations de ces secteurs souffrent aujourd’hui très concrètement d’un grand empilement d’outils, d’une difficulté à hiérarchiser et à faire circuler l’information, d’un manque d’harmonisation et de cohérence entre les divers champs d’information, ce qui obère à la fois la qualité de la personnalisation des projets et des parcours ainsi que les relations interprofessionnelles. S’ensuit un risque bien réel de surcharge, de burn-out, de démobilisation des praticiens cadres et non cadres.

Les diverses applications technologiques – aux potentialités immenses, répétons-le – se révéleront indissociables de la révolution organisationnelle qui vise à relayer les institutions traditionnelles par des dispositifs inscrits dans l’environnement des personnes et favorisant leur indépendance. Elles révolutionneront notre environnement à un point que nous avons encore du mal à concevoir aujourd’hui, mais elles constituent le principal espoir de solution face à des défis démographiques, écologiques, économiques, entièrement nouveaux dans l’histoire de l’humanité. »

Notes

(1) Le terme anglais « robotics » a été forgé par Isaac Asimov, célèbre auteur de science-fiction, également docteur en biochimie. Il est notamment l’auteur d’une série d’ouvrages regroupés sous le nom de Cycle des robots amorcé en 1967.

(2) Cf. Revue de l’ADN – Septembre 2015 ; Ladislas de Toldi, Le Nouvel Observateur – Juin 2015.

(3) Chrétiens, juifs, musulmans.

(4) Dans une pétition adressée à Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du numérique intitulée « Pour une politique publique volontariste de soutien à la révolution numérique » – Disponible sur https://goo.gl/ZisUiu.

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