La face obscure du « Norte »

« Puisque nous, Américains, avons la mainmise sur leurs destins, il est grand temps que nous en apprenions davantage sur ces gens qui ne demandent pas mieux que de faire notre vaisselle, briquer nos voitures et ramasser nos fruits »… Journaliste d’investigation et spécialiste des enquêtes au long cours, Ted Conover a passé plus de un an aux côtés des mojados, ces immigrés clandestins mexicains qui traversent la frontière pour essayer de démarrer une vie meilleure aux Etats-Unis. Un phénomène qui dure depuis des décennies. De Nuevo Laredo, sur la rive mexicaine du Rio Grande, à Sun City et Phoenix, en Arizona, puis à la Floride, en passant par Los Angeles, l’auteur nous fait partager le quotidien de ces hommes prêts à laisser femme et enfants pour affronter les nombreux dangers qui les séparent de ce Norte rêvé et aller travailler soixante-dix heures par semaine dans les immenses vergers de l’Ouest américain ou de la Floride. Véritable plongée dans l’univers des clandestins mexicains à la fin des années 1980, Les coyotes racontent le périple d’Alfonso, de Carlos, de Teodoro et de quelques autres migrants, le racket de certains policiers mexicains, les milliers de kilomètres entassés dans de vieilles guimbardes, les journées suffocantes à cueillir des oranges au milieu des pesticides et les descentes des services de l’immigration. A la fois émouvant et drôle, ce récit sort des généralités déshumanisantes pour redonner à chacun de ces immigrés clandestins des sentiments, une histoire, une identité. Il révèle en outre « la face la plus obscure d’un pays », à l’instar de cet épisode où l’auteur se fait tabasser dans une cafétéria de Los Angeles pour avoir partagé sa table avec des Mexicains. Au bout du voyage, Ted Conover découvrira « que le Léviathan de l’immigration était le genre de monstre qui fait moins peur de tout près que de loin »… Un message qui résonne avec force, à un moment où la question de l’immigration est au cœur des débats outre-Atlantique comme sur le Vieux Continent… Avec les risques de dérives que l’on connaît.