Elles sont apparues au XIXe siècle, dans un contexte de démocratisation de la société. Cela avait déjà commencé sous Napoléon III, qui avait tenté de calmer le mouvement ouvrier naissant en proposant de créer des familistères dans les 12 arrondissements que comptait alors Paris. Il n’en construira finalement qu’un seul, dans le IXe arrondissement. Parallèlement, le mouvement paternaliste, sous l’impulsion de patrons de l’industrie, a développé des cités ouvrières, sortes de logements sociaux avant l’heure, afin de garder les ouvriers proches des lieux de travail. Plus tard, avec l’instauration de la IIIe République, un débat assez vif va se faire jour pour savoir s’il faut, ou non, prendre en charge les besoins des ouvriers en matière de logement. En 1894, une majorité de députés va néanmoins se déclarer favorable à la création de logements sociaux dans chaque département, mais cela n’aura pas beaucoup d’efficacité, et il faudra attendre 1912 pour que la loi « Bonnevay » crée les offices publics d’HBM, les habitations à bon marché, ancêtres des actuelles HLM. A la veille de la Première Guerre mondiale, pratiquement tous les départements disposent d’un office public d’HBM. Le conflit va mettre à l’arrêt ce mouvement, qui ne reprendra qu’à partir de 1919. Ainsi, à Paris, grâce à l’action d’Henri Sellier, conseiller général et président de l’office public d’HBM de l’Ile-de-France, ce que l’on a appelé la « ceinture rose » a été construit sur l’emplacement des anciennes fortifications. Soit près de 100 000 logements sociaux.
Elles constituent un total de 4,6 millions de logements, sur environ 30 millions de résidences principales. Ce nombre n’augmente pas beaucoup, car si l’on construit des logements sociaux, on en détruit aussi dans le cadre des programmes de l’ANRU [Agence nationale pour la rénovation urbaine]. Le solde positif est d’environ 60 000 logements sociaux nouveaux chaque année. Ce qui est assez peu, lorsqu’on compare aux chiffres de la Fondation Abbé-Pierre, selon laquelle il manque environ 500 000 logements en France. Il faut savoir qu’il existe plusieurs catégories de logements sociaux, selon les prêts et subventions dont ils bénéficient pour leur construction : les PLAI (prêts locatifs aidés d’intégration), réservés aux personnes en situation de grande précarité ; les PLUS (prêts locatifs à usage social), qui correspondent aux HLM traditionnelles ; les PLS (prêts locatifs sociaux), destinés aux familles ayant un meilleur revenu. Il existe également les PLI (prêts locatifs intermédiaires), pour les ménages dont les revenus sont trop élevés pour pouvoir accéder aux HLM ordinaires.
L’amalgame entre banlieue et HLM date des années 1960, lorsque les grands ensembles destinés à répondre à la crise du logement ont été construits. L’image des logements sociaux est restée associée à ces grandes barres d’immeubles. Actuellement, sur 4,6 millions de logements sociaux, 1,1 million sont situés dans des ZUS [zones urbaines sensibles]. Et de nombreux logements sociaux ne sont pas implantés en banlieue, mais dans les villes. Nous avons ainsi mené une étude à Angers qui montre que, sur les 30 000 logements sociaux que compte la communauté angevine, 23 000 se trouvent dans la ville même, les autres étant répartis à sa périphérie. C’est le cas de beaucoup de villes moyennes. C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui les organismes HLM cherchent tous les interstices possibles du tissu urbain pour y implanter des logements, notamment dans un souci de mixité sociale. Lorsque vous vous promenez dans une ville, il est souvent difficile de savoir quel immeuble est une HLM. Enfin, il faut ajouter les 7 % de logements sociaux situés en zone rurale, soit plus de 300 000 logements, pour la plupart des maisons individuelles.
Historiquement, en effet, les HLM ont été plutôt novatrices en termes d’architecture. Les premières HBM étaient d’une qualité supérieure aux logements comparables de l’époque. Mais, là aussi, les HLM pâtissent de la période d’après-guerre, avec des procédés de construction à grande échelle où le souci de rapidité et d’économie a pris le pas sur la qualité. Il faut cependant savoir que 40 % des logements sociaux ont été édifiés après 1980 et 13 % après 2000. Et aujourd’hui, un certain nombre de cabinets d’architectes vivent, en partie, grâce aux commandes du logement social. Ils sont à la pointe dans les éco-quartiers, notamment en ce qui concerne la basse consommation d’énergie. Les HLM sont aussi en avance en matière d’accompagnement social. Je pense à l’accueil des étudiants, des personnes âgées et des personnes handicapées.
Les enquêtes menées par les organismes HLM soulignent que leurs locataires se disent satisfaits de leur logement à 81 %. Et les enquêtes réalisées par nos étudiants le confirment. Ce qui peut se comprendre, lorsque l’on sait que le logement HLM type dispose d’une superficie de 69 m2 et du confort moderne. C’est mieux que nombre de logements du secteur privé. En réalité, la principale insatisfaction est liée à la mauvaise image des HLM, car même ceux qui vivent dans des immeubles plutôt dégradés y sont finalement attachés. Lorsqu’on leur demande s’ils souhaiteraient vivre ailleurs, dans un logement de meilleure qualité, ils sont d’accord. Mais lorsqu’on leur annonce qu’on va détruire leur immeuble, ils ne veulent plus en partir.
Dans un précédent ouvrage, La crise des banlieues, j’avais abordé cette question. Si l’on s’en tient à la définition stricte du ghetto, à savoir une communauté culturelle homogène regroupée dans une zone bien définie, ce qualificatif ne s’applique pas. En revanche, si l’on retient seulement le critère d’homogénéité économique, certaines parties du parc HLM peuvent, en effet, être considérées comme des ghettos. Sur les 750 ZUS, environ 25 % sont dans une situation dramatique de très grande pauvreté. On n’est pas dans une situation à l’américaine avec un abandon par les services publics, mais quand même…
La mixité sociale est d’abord une question d’échelle. Le point de vue est très différent si l’on prend comme périmètre l’immeuble, le quartier où encore la commune. Par ailleurs, il faut prendre en compte la tendance forte des familles de même nationalité ou culture à se regrouper entre elles. Pour quelles raisons des migrants et des demandeurs d’asile ne veulent-ils pas aller vivre dans des communes de la campagne française qui pourraient les accueillir ? Parce qu’ils se trouveraient coupés de leur communauté, et cela peut se comprendre. Cette force d’agrégation se manifeste aussi dans les HLM, et les gestionnaires doivent gérer ce phénomène avec finesse afin d’éviter que se constituent des minighettos par nationalités ou par cultures.
Ce mouvement de paupérisation ne date pas d’aujourd’hui. C’est la loi « Besson », en 1988, qui a changé les modalités d’attribution des logements sociaux. Avant, pour accéder au logement social, il fallait avant tout disposer d’un revenu du travail. Depuis, la situation de pauvreté des familles est devenue le principal critère d’attribution. Et cette tendance s’accélère, notamment avec le mouvement migratoire, car il faut bien trouver des hébergements pour tous ceux qui arrivent en France. Les organismes HLM sont ainsi pris dans une tension énorme entre la nécessité d’héberger les plus pauvres et celle de favoriser la mixité sociale. Toute la difficulté consiste à freiner l’arrivée trop massive de populations pauvres dans les HLM et à attirer, autant que possible, des familles de la classe moyenne. Pour cela, il faut cibler notamment les jeunes, en leur proposant des logements de qualité dans des quartiers urbains. Ce qui est loin d’être facile, car on ne décrète pas la mixité sociale.
Propos recueillis par Jérôme Vachon
Professeur de sociologie à l’université de Lorraine, Jean-Marc Stébé est membre du Laboratoire lorrain de sciences sociales (2L2S). Avec Hervé Marchal et Marc Bertier, il publie Idées reçues sur le logement social (Ed. Le Cavalier bleu, 2016). Il est également l’auteur, avec le sociologue Hervé Marchal, de l’ouvrage Les lieux des banlieues (Ed. Le Cavalier bleu, 2012)(1).