Où en est la mise en œuvre du droit des mineurs isolés du Calaisis à rejoindre des membres de leur famille en Angleterre ? Lors du sommet franco-britannique qui s’est tenu le 3 mars à Amiens, le chef de l’Etat s’est engagé à faciliter et à accélérer leurs démarches. Ce dont s’est félicité le Centre d’accueil et d’information juridique de l’Appel de Calais, tenu par un collectif d’avocats et de juristes spécialisés dans les droits de l’Homme qui était installé au cœur de la partie sud de la « jungle » avant d’être victime d’un incendie, le 17 mars. Le collectif avait recensé dans cette seule zone – désormais évacuée – plus de 300 mineurs isolés et repéré au total plus de 150 mineurs prêts à engager des démarches de réunification familiale en Angleterre. Mais « les cinq dossiers que nous avons déjà déposés en sous-préfecture, dont le premier le 26 février, sont à ce jour restés sans suite », indique Orsane Broisin, avocate, précisant que le collectif a, par ailleurs, obtenu plusieurs ordonnances de placement provisoire pour certains jeunes, afin d’assurer leur protection immédiate. Inquiet de la lenteur et « du flou » des procédures, il attend « des garanties écrites sur les délais de prise en charge et le détail des critères et procédures en application des textes de Dublin III sur le rapprochement familial », explique Marianne Humbersot, coordonnatrice du Centre d’accueil et d’information juridique, qui réclame en outre « la mise en conformité du centre d’accueil provisoire de l’Etat et des centres d’accueil et d’orientation avec l’accueil des mineurs ».
De son côté, Jean-François Roger, le directeur de la Maison du jeune réfugié de Saint-Omer (Pas-de-Calais) – établissement de France terre d’asile dédié aux mineurs isolés(1) –, explique que l’association travaille avec l’Etat sur un projet concernant « les mineurs pouvant rejoindre de la famille en Angleterre, dans le cadre de Dublin III ». Cette procédure de regroupement prévu par les dispositions européennes sur l’asile « est très rarement appliquée de façon positive, voie vers laquelle nous nous orientons »,commente-t-il.L’objectif est, dans le cadre de ce projet mené avec la direction générale des étrangers en France du ministère de l’Intérieur, de « présenter les premiers dossiers dans quelques semaines », précise-t-il.
Concrètement, les équipes de France terre d’asile devraient aller au-devant des jeunes non accompagnés vivant dans la « jungle » ou dans le centre d’accueil provisoire, pour repérer ceux qui ont des parents au Royaume-Uni, évaluer leur situation, regrouper les documents administratifs sur les membres de leur famille installés en Angleterre avant de déposer leurs dossiers en sous-préfecture dans le cadre d’une demande d’asile. « Nous proposons de centraliser les démarches, qui seront traitées dans le cadre d’une procédure clairement identifiée avec les autorités et dans des délais raisonnables, avec, en attendant, un accueil des mineurs dans le dispositif de protection de l’enfance pour qu’ils ne restent pas dans la lande », souligne Jean-François Roger. Les équipes de France terre d’asile ont « identifié une cinquantaine de jeunes ces deux dernières semaines », en sollicitant les autres acteurs associatifs ou pendant les maraudes, ajoute-t-il, précisant que l’association entend se rapprocher du Centre d’accueil et d’information juridique pour travailler sur ses informations.
Entre le 1er janvier et le 15 mars, 298 mineurs isolés ont été mis à l’abri à la Maison du jeune réfugié (l’établissement compte 30 places d’urgence et 38 places de « stabilisation » pour ceux qui ont fait l’objet d’une ordonnance de placement provisoire), la grande majorité (85 %) étant « repartie sur la lande », indique Jean-François Roger. « Dans le Calaisis, la particularité des mineurs est d’être en transit, ils ont besoin d’un vrai travail de conviction et de mise en confiance pour entrer dans le dispositif de protection. Ils ne cherchent qu’une chose, c’est rejoindre l’Angleterre », relève-t-il, ajoutant néanmoins que « le nombre de jeunes ayant la volonté de se stabiliser en France augmente ». Le conseil départemental s’est engagé dans le financement de « 15 places d’urgence supplémentaires en cours d’ouverture » et l’Etat a, selon lui, lancé une réflexion sur la mise en place d’un dispositif d’accueil, dont les contours restent à préciser.
Après la décision du tribunal administratif de Lille, confirmée par le Conseil d’Etat, qui a enjoint à l’Etat de procéder au recensement des mineurs isolés en vue de leur protection, France terre d’asile a effectué un recensement « du 8 au 12 février sur l’ensemble de la lande », qui a dénombré « 326 mineurs au total – dont un tiers sont Afghans et 56 ont moins de 15 ans –, sans compter ceux hébergés dans les dispositifs d’urgence du Pas-de-Calais, dans le centre d’accueil provisoire, ou dans le centre d’accueil pour les femmes », fait savoir le directeur de la Maison du jeune réfugié. Un chiffre sous-estimé, conteste quant à lui le Centre d’accueil et d’information juridique, soulignant par ailleurs « se méfier des effets d’annonce » sur l’accès des mineurs à leurs droits. Depuis le démantèlement de la zone sud du campement, certains mineurs ont rejoint le centre d’accueil provisoire, d’autres la partie nord du bidonville ou encore ont quitté le Calaisis pour d’autres campements. Unicef France, qui a lancé en janvier dernier, avec l’association Trajectoires, un diagnostic sociologique de la situation des jeunes présents dans le Calaisis et les territoires voisins dans le département du Nord, devrait pour sa part dévoiler les conclusions de ses travaux au mois de juin, à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés.