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L’emploi, principal levier pour une sortie pérenne des bidonvilles

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Une étude réalisée par l’association Trajectoires décrypte les parcours d’insertion de migrants ayant vécu dans des campements ou des squats. Elle déconstruit les stéréotypes et montre l’importance des aptitudes et liens développés en France.

« L’insertion des personnes ayant vécu en bidonville n’est pas un enjeu spécifique et propre à une certaine minorité », mais un sujet « classique de lutte contre la grande précarité, et relève de processus, certes longs et fragiles », qui peuvent avoir des résultats. Tel est, pour Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l’hébergement et l’accès au logement, l’un des principaux enseignements de l’étude sur les parcours d’insertion des personnes migrantes ayant vécu en bidonville, réalisée par l’association Trajectoires, avec le soutien de la Fondation Abbé-Pierre et de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL)(1). Ses résultats, ainsi qu’une autre étude du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) – non encore publiée – sur l’application de la circulaire du 26 août 2012 relative à l’anticipation et l’accompagnement de l’évacuation des campements illicites, ont fait l’objet d’une matinée d’échanges organisée par la DIHAL le 29 mars.

Parcours positifs

L’activité de diagnostic menée par Trajectoires dans les bidonvilles lui a permis, expliquent les auteurs, de constater que « de nombreuses personnes connaissaient des parcours positifs en matière d’insertion, tout en ayant vécu un temps dans un ou plusieurs bidonvilles, et sans avoir nécessairement bénéficié d’un accompagnement spécifique ou d’un dispositif institutionnel d’aide à l’insertion ». D’où sa volonté de comprendre les stratégies et les outils mobilisés par ces publics pour accéder aux droits, à une insertion professionnelle et dans le logement. L’enquête a été menée auprès de 50 personnes (27 hommes et 23 femmes) vivant en Ile-de-France (plus de la moitié de l’échantillon) et dans six autres régions. La majorité est originaire de Roumanie, de Bulgarie et de Moldavie. Au moment de l’entretien, plus de la moitié avait moins de 30 ans. Parmi les personnes de l’échantillon, 19 ont accédé à un logement social, 11 à un logement du parc privé et 20 à un logement d’insertion ou intermédiaire. Sur le plan de l’emploi, 21 étaient en contrat à durée indéterminée, sept en contrat à durée déterminée, deux en mission d’intérim, cinq étaient entrepreneurs ou indépendants. Les autres étaient au chômage, étudiants, en formation professionnelle ou en contrat aidé.

Si le profil des personnes interrogées est relativement hétérogène, « on observe une certaine homogénéité quant à la situation économique avant le départ (situation de chômage ou d’activités peu rémunératrices), à la non-maîtrise du français, à la présence d’un réseau familial ou amical en France et à la tranche d’âge des personnes, majoritairement jeunes », résument les auteurs. La période durant laquelle les personnes interrogées ont vécu dans un bidonville ou en squat sans suivi social, titre de séjour ni accès aux droits, que les auteurs qualifient de « période grise », a duré de quatre mois à 19 ans, avec une durée moyenne d’un peu plus de quatre ans. C’est durant cette période que « s’enclenchent les premières démarches de scolarisation, de domiciliation, de travail au noir ou encore de suivi médical et que se jouent les premières rencontres avec les associations ou les intervenants institutionnels », souligne l’étude. La scolarisation des enfants marque un premier tournant lié à une volonté des parents et à l’incitation des associations. « Obligation légale pour les familles et les communes, élément de sélection et de stabilisation dans de nombreux projets et outil de socialisation, l’école est tout cela à la fois. »

Situations d’urgence

L’étude de Trajectoires a également analysé ce qu’elle nomme la « période de transition », pendant laquelle sont mises en place différentes stratégies d’insertion. Les auteurs décrivent ainsi les caractéristiques correspondant aux familles ayant noué de fortes relations avec un membre associatif ou un particulier (les « protégés »), à celles qui ont été retenues pour un projet dédié, type « village d’insertion » (les « sélectionnés »), qui ont pu s’insérer grâce à leurs connaissances des dispositifs de droit commun (les « autonomes ») ou bien passant exclusivement par des proches issus des mêmes localités d’origine (les « communautaires »). Loin de vouloir classer les populations par catégories, cette approche permet d’identifier les différents types de ressources auxquelles les ménages recourent, et selon quelles motivations, souligne l’étude. Mais malgré la diversité des moyens employés, relèvent les auteurs, ce sont le plus souvent des situations exceptionnelles, comme un grave problème de santé ou un accident survenu sur un site, qui ont pour les personnes de l’échantillon déclenché une prise en charge. Sans signifier que ces événements suffisent pour ouvrir la voie vers l’insertion, ce constat « révèle surtout une difficulté d’accès au droit commun à l’échelle nationale ». Le capital socio-économique et le niveau d’études acquis avant le départ a peu d’influence sur le parcours d’insertion des migrants vivant en bidonvilles, au contraire de la connaissance du français et de l’existence d’une solidarité importante au sein d’un réseau familial restreint.

Quel que soit le parcours, l’accès à l’emploi légal, par l’ouverture des droits qu’il enclenche, « est une porte vers le système social », souligne l’étude(2), davantage que le logement. En effet, si les personnes peuvent obtenir un logement après un passage dans l’hébergement d’urgence, via un projet dédié ou un logement d’insertion, cet accès est « un facteur d’insertion qui ne se suffit pas à lui-même », expliquent les auteurs. Au-delà, les personnes attribuent souvent la réussite de leur parcours à la fois à leur « propre volonté, au développement de capacités et à un environnement externe facilitant, voire moteur », dont font partie des liens noués avec des intervenants ayant joué le rôle de « fil rouge ». L’insertion a aussi « un coût », relève l’étude : social et familial lorsqu’il s’agit de rompre avec sa famille ou son groupe d’origine, financier du fait de l’abandon d’une activité de survie (revente de ferraille, travail au noir…) et des dépenses liées au logement. Mais aussi psychologique, au regard « des épreuves vécues, des pressions subies durant le parcours, de l’énergie déployée pour se maintenir dans une situation stable ».

Cette enquête montre « les limites des dispositifs et des politiques sociales, qui ne répondent aux besoins des personnes qu’en situation d’urgence », concluent les auteurs. Elle fait aussi apparaître que l’insertion des habitants des bidonvilles, qui ne présente pas « de spécificités par rapport [à celle des] autres populations immigrées », dépend moins de leur profil que des « aptitudes et savoirs acquis lors de leur présence en France, et notamment l’acquisition du français, la scolarisation et la création d’un lien de confiance avec des personnes ressources ». Les obstacles rencontrés par les personnes et les solutions développées pour les contourner devraient, selon l’étude, « contribuer à repenser l’accompagnement en favorisant davantage l’insertion par l’emploi et la formation ».

Notes

(1) « Du bidonville à la ville : vers la « vie normale » ? Parcours d’insertion des personnes migrantes ayant vécu en bidonvilles en France » – Disponible sur http://goo.gl/bnKx1H.

(2) Celle-ci revient d’ailleurs sur les freins qu’ont constitués les « mesures transitoires » entre 2007 et la fin 2013.

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