« Ne reste pas devant, il ne s’agit pas d’un treuil. Tu dois te positionner à côté de l’usager et le rassurer », prévient Nathalie Bombeau. La formatrice est en train d’expliquer à Frédéric Brebis, auxiliaire de vie sociale, comment utiliser la sangle lève-malade pour extraire une personne handicapée de son lit ou la relever après une chute. Un autre professionnel en formation, Pierre-Aubin Mezie, joue le rôle de l’usager. Impressionnés par la manœuvre, dix stagiaires observent la scène avec attention, dans cet espace – sorte d’appartement témoin – équipé de lits médicalisés ou non, d’un coin repas, d’une cuisine, d’une salle de bains, d’un salon. Loin d’être majoritaires dans cet univers professionnel largement féminisé, les deux hommes (sur 12 stagiaires) se montrent parmi les plus volontaires pour tester les équipements et les gestes de prévention des risques qui leur sont proposés lors de cette session de formation organisée par le Pôle aidants-aidés(1). « Tu ne dois pas forcer, utilise le moteur, bascule le fauteuil et laisse descendre doucement », conseille encore Nathalie Bombeau, la responsable du pôle, habituée à ce que les hommes usent trop de leurs muscles et s’exposent davantage au risque professionnel.
Le Pôle aidants-aidés a été lancé à la fin septembre 2015. Cette association a été créée par l’ADPAD (Association d’aide aux personnes à domicile), implantée à Limoges, qui réunit près de 700 salariés intervenant sur tout le département. Le pôle est divisé en deux unités. La première, Form3A, reconnue comme organisme de formation, s’occupe du recrutement des aides à domicile (mise en situation pratique et sensibilisation aux risques professionnels dès le recrutement) ainsi que de leur formation continue. La deuxième, la Plate-forme soutien-répit, est destinée à l’accompagnement des aidants familiaux et des personnes aidées par le biais d’ateliers santé, d’animations, de formations, etc. Le tout dans un objectif de prévention des risques qui anime l’ADPAD depuis de nombreuses années.
Cette nécessité d’une politique de prévention concerne au premier chef les professionnels de l’association mère. « Notre personnel travaille seul et tient à conserver cette autonomie, observe Stéphanie Sorel, directrice des ressources humaines de l’ADPAD. Mais, parfois, les salariés n’ont pas conscience du soutien que notre encadrement peut leur apporter. Par ailleurs, ils sont attachés à l’aspect social de leur métier. Ils veulent aider, être présents pour les usagers, comme tous les aidants, parfois au mépris de leurs propres limites, ce qui peut aboutir à l’accident ou à la maladie professionnelle. » Du côté des aidants familiaux, les besoins sont identiques en termes de prévention des risques. Et l’isolement comparable, quand des familles se coupent de toute vie sociale, accaparées par les soins à apporter à leur aîné ou culpabilisées par la crainte de ne pas assumer leur responsabilité filiale.
Afin que les professionnels travaillent dans les meilleures conditions possibles et que les aidants bénéficient d’un réel soutien, l’association avait décidé dans un premier temps d’investir fortement dans la formation. « Nous avons d’abord élaboré nos premières actions en interne, raconte Stéphanie Sorel. Par exemple, nous avons mis en place des études de cas à partir de situations rencontrées sur le terrain qui étaient examinées en comité de pilotage tous les deux mois. Grâce à quoi des réponses collectives ont pu être élaborées, de nouvelles formations organisées et des fiches de prévention rédigées, pour être ensuite diffusées à tous les salariés. » A titre d’exemple, la directrice des ressources humaines cite la conduite à tenir devant un cas de gale ou un accident d’exposition au sang. Dans la continuité de cette politique, a été mis en œuvre le projet de création d’un centre autonome de formation et d’accompagnement des aidants, confié à Nathalie Bombeau, alors en reconversion professionnelle.
S’appuyant sur les pratiques déjà développées à l’ADPAD, le tout nouveau pôle a élaboré un dispositif spécifique de recrutement des professionnels. Auparavant, l’association avait déjà eu recours à des mises en situation pour sélectionner ses candidats. Avec la création de l’unité de formation Form3A, elles sont aujourd’hui beaucoup plus développées et organisées. Compte tenu des besoins élevés d’embauche dans le secteur de l’aide à domicile, le rythme est d’environ une session hebdomadaire. « D’abord, nous faisons passer à la personne un test de type QCM. Puis, en fonction des résultats, nous la convoquons pour une mise en situation dans le “show room”, qui est également l’occasion d’une transmission de savoirs », détaille Jessica Huberson, chargée des ressources humaines au sein du pôle. Les candidats peuvent être évalués sur l’entretien du logement ou du linge, la composition d’un menu pour une personne au régime, les gestes et les postures d’aide, le savoir-faire et le savoir-être, par deux auxiliaires de vie de l’ADPAD. Jessica Huberson, pour sa part, est chargée de transmettre les bonnes pratiques développées au sein de l’association, l’éthique de l’intervention à domicile ou encore l’utilisation des outils de transmission de l’information.
« L’important est qu’il existe une heure de sensibilisation à la prévention des risques dès la demi-journée d’évaluation pratique », précise la chargée des ressources humaines. « Cela limite les dangers pour une personne qui partirait en intervention sans aucune connaissance en la matière, ajoute Nathalie Bombeau, car il se produit beaucoup d’accidents du travail chez les professionnels en CDD. » Une fois embauché en contrat à durée indéterminée, tout salarié devra suivre les quatre formations de base développées par Form3A – certifiées par l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) –, chacune se déroulant sur deux à trois jours. « Nous voulons que nos salariés soient formés en priorité à la prévention des risques liés à l’activité physique, de manière à être acteurs de leur propre prévention » insiste Stéphanie Sorel. Parmi les sujets abordés : la bonne position pour faire le lit d’un usager – si celui-ci ne dispose pas d’un lit motorisé – ou pour transférer un usager vers son fauteuil, l’apprentissage des gestes techniques, les règles de sécurité pour préserver sa santé…
La formation à l’hygiène et à l’entretien domestique est le second module de formation obligatoire, mettant également l’accent sur les risques possibles et privilégiant l’usage des produits d’entretien les plus naturels possible. « Même si nous sommes tributaires des produits que les usagers achètent, explique Nathalie Bombeau, nos responsables de secteurs passent les voir et peuvent éventuellement recommander des modifications, lorsque sont présents des produits allergisants ou directement nocifs pour la santé de l’utilisateur. » Cerise sur le gâteau, les produits naturels recommandés (vinaigre de vin blanc, savon noir, bicarbonate de sodium) coûtent généralement moins cher… Deux autres modules concernent la bientraitance et la connaissance de la personne aidée. « C’est toujours utile de connaître les pathologies du vieillissement, poursuit la formatrice. Car mieux comprendre le handicap permet de limiter le conflit et d’être plus aidant. » Prochainement, Form3A mettra également en place une formation aux premiers secours. « C’est une grande angoisse pour nos aides à domicile d’arriver chez un usager qui se serait blessé en chutant ou qui présenterait un état de santé dégradé », ajoute-t-elle.
Ce dispositif de recrutement et de formation des professionnels a-t-il un impact positif sur la santé des salariés ? Pour l’heure, la directrice des ressources humaines de l’ADPAD ne livre pas de statistiques mais, observe-t-elle, « notre taux d’absentéisme pour congés maladie est en baisse. Nous avons en parallèle davantage de déclarations d’accidents du travail à présent que les professionnels sont sensibilisés à cette question. » La formation peut aussi être envisagée comme un moyen de fidéliser les salariés, dans un secteur professionnel où le turn-over est élevé, le recrutement permanent et le niveau de formation habituellement bas. « Nous avons des besoins importants, et sommes donc amenés à recruter des personnes peu diplômées et peu expérimentées, souvent elles-mêmes dans une certaine précarité », confirme Jessica Huberson. Comme les autres structures de l’aide à domicile, l’ADPAD embauche des personnes qui n’ont pas trouvé d’emploi dans leur formation d’origine ou des actifs en seconde partie de carrière qui ont quitté un secteur professionnel en crise, et qu’il faut donc former. « Nous observons déjà de la déperdition entre le recrutement et le moment où nous avons des missions à leur proposer, parce qu’elles ont finalement trouvé un autre emploi. » A son catalogue, Form3A a donc également ajouté d’autres modules de formation sur les thèmes de l’entretien du cadre de vie et du linge, de la préparation des repas et des notions de diététique, ou encore de l’aide à la toilette et au change. Des demi-journées que l’association aimerait faire financer par Pôle emploi ou les organismes paritaires collecteurs agréés. « Les besoins dans le secteur vont encore se développer, car nous avons en perspective de nombreux départs en retraite d’auxiliaires de vie, observe Jessica Huberson. Et nous allons cruellement manquer de personnes formées. »
Pour l’heure, l’activité de Form3A concerne essentiellement les professionnels de l’ADPAD, mais cette dernière espère l’ouvrir à d’autres associations ou entreprises d’aide à domicile de la région. Un tel développement permettrait de soutenir le développement de l’activité du pôle, actuellement facturée uniquement à l’ADPAD. Pas sûr, néanmoins, que ces acteurs de l’aide à domicile soient véritablement désireux d’envoyer leurs salariés ou même leurs usagers participer à des formations et à des sessions d’animation et d’accompagnement organisées par un de leurs concurrents. Gérard Galli, directeur de l’ADPAD et du Pôle aidants-aidés, se montre néanmoins confiant : « Nous avons déjà des contacts avec des partenaires potentiels. »
La session de formation professionnelle se termine par une initiation à la marche accompagnée, qui nécessite de s’adapter au balancement du corps de la personne âgée. Deux stagiaires se harnachent d’un équipement qui simule le vieillissement, puis déambulent dans la pièce au bras d’un collègue. Pendant ce temps, des usagers se présentent à l’accueil du pôle. Ils viennent assister à une séance sur la prévention des chutes, organisée en partenariat avec le Comité régional d’éducation physique et volontaire. Bénédicte Maé, animatrice du comité, est déjà en train d’installer un petit parcours d’obstacles composé de supports de consistances, de formes et de hauteurs diverses, que les personnes âgées devront suivre, avec ou sans aide. Pendant qu’une partie du groupe s’essaie à ce parcours, l’autre s’installe autour des tables dans la pièce voisine pour s’occuper autour de jeux de société qui favorisent la mémoire et la prise de parole. La plate-forme s’est en effet fixé pour objectif d’organiser des ateliers d’animation ouverts à toute personne âgée et visant la préservation de l’autonomie, la mobilisation des capacités intellectuelles et physiques, le partage de moments de convivialité et le maintien du lien social. Depuis septembre 2015, ces ateliers ont déjà accueilli plus de 400 participants.
« Cela nous semblait intéressant de réunir dans un même lieu des salariés, des usagers et des familles qui se rencontrent autour de l’aide à domicile, explique Gérard Galli. Cela permet de développer le lien humain, la reconnaissance des uns par les autres, et notamment des aides à domicile par les aidants familiaux. » Toute les activités de la plate-forme sont gratuites. « Nous faisons éventuellement payer 5 € le déplacement si nous devons aller chercher les personnes à domicile », précise Valentine Pigois, responsable de la Plate-forme soutien-répit, titulaire d’un master en management des entreprises des secteurs santé et social. Et l’expérience montre que les personnes âgées sont très demandeuses. De huit lors des premières sessions, le nombre des participants frôle désormais la vingtaine à chaque réunion. Et ils transmettent volontiers leurs coordonnées pour être informés des futures séances d’animation.
Le pôle s’est aussi donné pour mission de soutenir les aidants familiaux des personnes dépendantes à domicile. Réduire les effets du stress, améliorer leur bien-être, leur condition physique et leurs postures figurent ainsi parmi les objectifs de la plate-forme à l’intention des familles. Evelyne et Jean-Michel Cubérès, deux retraités qui s’occupent de leurs parents depuis quelques années, partent ainsi profiter d’une promenade bien méritée, pendant que la mère d’Evelyne et son compagnon s’adonnent aux activités proposées par le centre. « En passant dans le quartier, nous avons découvert ce local tout neuf, se souviennent-ils. C’était écrit “aide aux aidants”, alors nous sommes entrés. » Au Pôle aidants-aidés, ils ont pu découvrir les ateliers santé. « Nous y faisons du stretching et du renforcement musculaire, raconte Jean-Michel Cubérès. Nous ne sommes pas nombreux pour l’instant – et je suis le seul homme –, mais cela nous procure aussi une pause, car nous avons vraiment besoin de souffler. Et puis on s’enquiert de notre état, de notre moral. »
Prochainement, sous la houlette d’un psychologue et d’un travailleur social responsable de secteur, un café des aidants entrera également en fonction afin d’encourager le partage des expériences et la prise de recul par rapport aux situations souvent difficiles vécues par les familles. « L’Association française des aidants nous a transmis la méthodologie pour créer cette action », détaille Valentine Pigois. Enfin, une formation des aidants familiaux ou bénévoles est en cours d’élaboration pour les sensibiliser aux techniques de manutention et à l’usage des aides techniques. « Mais pour développer cette activité, nous avons besoin de financements, alerte Valentine Pigois. Pour l’instant, nous avons lancé un appel aux dons. Nous espérons également que la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement nous permettra d’accéder à des financements institutionnels. »
Dans les locaux flambant neufs du Pôle aidants-aidés, on trouve des salles de réunion conviviales, avec des tables, des chaises, mais aussi des canapés et des fauteuils, un coin dînette, les bureaux des trois salariées et le « show room », un appartement témoin. « Nous louons la plupart des matériels qui sont ici, tient à préciser Nathalie Bombault, la responsable. Ce sont nos aides à domicile qui les ont sélectionnés, via une analyse des pratiques. » Elle-même auxiliaire de vie sociale durant dix ans, avant d’interrompre sa carrière à la suite d’une pathologie de la colonne vertébrale, elle précise que les salariés de l’association ne sont pas prescripteurs des matériels adaptés auprès des usagers, et qu’il n’y a donc pas de risques qu’ils se transforment en VRP des distributeurs. « Même s’il arrive que des usagers leur demandent conseil », glisse-t-elle. L’écran vidéo diffusant des spots publicitaires dans l’espace d’accueil montre néanmoins que la promotion n’est pas totalement absente du lieu.
Ces équipements techniques (rehausseurs de lit, lève-malade, installations domotiques ou de téléassistance, couverts adaptés, extracteurs de prise, pinces pour ramasser des objets à terre, etc.) représentent un réel apport pour les professionnels comme pour les usagers. Il convient donc d’apprendre à les utiliser pour en tirer le meilleur parti. Les formations dédiées aux aides à domicile – et d’autres bientôt destinées aux aidants familiaux – se déroulent en partie dans cet appartement témoin, également ouvert au public un jour par semaine. « Usagers ou familles peuvent venir voir comment cela fonctionne, précise Gérard Galli, directeur de l’ADPAD et du Pôle. Beaucoup refusent les aides techniques car ils sont effrayés, et ne savent pas comment cela fonctionne. Alors que ces outils apportent un plus pour l’aidant, qu’il soit professionnel, familial ou bénévole, et permettent de prévenir le risque. » Certains peuvent également être pris en charge en partie par les mutuelles.
(1) Pôle aidants-aidés : 7, rue Christophe-Duverger – 87000 Limoges – Tél. 05 87 08 52 89 – form3a@form3a.fr –