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La justice restaurative vise à apaiser l’auteur et la victime

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L’expérimentation de la fédération Citoyens et justice visant à développer la justice restaurative dans le cadre de mesures socio-éducatives (voir ASH n° 2944 du 22-01-16, page 14) risque de dénaturer la qualité des échanges entre l’auteur de l’infraction et la victime, estiment Sabrina Bellucci, directrice générale de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, Robert Cario, président de l’Institut français pour la justice restaurative, et Philippe Pottier, directeur honoraire de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire.

« La fédération des associations socio-judiciaires Citoyens et justice a récemment fait état de la signature d’une convention de partenariat avec l’Association de recherche en criminologie appliquée (ARCA) visant notamment à mener (durant dix-huit mois environ sur six sites pilotes) une recherche-action sur “la conceptualisation et l’opérationnalisation de la justice restaurative” et à élaborer des parcours de formation. Il convient de se réjouir de l’intérêt ainsi porté, par un acteur majeur de la chaîne pénale, à une question primordiale de citoyenneté et d’humanité à l’endroit des personnes en souffrance. Il ne fait aucun doute que la fédération, issue du Comité de liaison des associations de contrôle judiciaire socio-éducatif fondé par Luc Fauconnet en 1982(1), participe depuis longtemps à la mise en œuvre de mesures à visée resocialisante au bénéfice des infracteurs majeurs et mineurs. Elle a rendu possible, après une longue expérimentation portée par les initiatives du procureur Georges Apap à Valence(2) et les travaux de Maryse Vaillant(3), l’intégration en 1993 de la médiation pénale et de la mesure ou activité d’aide ou de réparation (communément dénommée réparation pénale à l’égard des mineurs) en droit positif. Néanmoins, tous les professionnels de la chaîne pénale en sont conscients, l’approche développée par Citoyens et justice n’est pas de la justice restaurative, au sens où celle-ci vise la rencontre effective entre un auteur et une victime. Et cette « focale » n’est en rien “réductrice” puisque c’est le sens même de cette nouvelle forme de justice(4).

La médiation pénale, la réparation pénale, le contrôle judiciaire (trop rarement socio-éducatif), le stage de citoyenneté, la contrainte pénale, le sursis avec mise à l’épreuve participent bien du maintien de l’infracteur dans la communauté (selon la terminologie européenne). Ces mesures et sanctions sont de la compétence du juge pénal, seul habilité à connaître des conséquences de l’acte, en vue de la réhabilitation du condamné et de l’évitement de la récidive. Incontestablement, le suivi de ces mesures et sanctions est assuré avec un grand professionnalisme. Mais celles-ci sont massivement mises en œuvre au seul bénéfice de l’infracteur. Et elles ne portent, concrètement, qu’exceptionnellement sur les répercussions (d’ordre personnel, familial, scolaire, professionnel, culturel, social, spirituel principalement) que l’infraction provoque chez la victime, l’infracteur, leurs proches et communautés d’appartenance. Par définition, de telles répercussions n’entretiennent pas un lien direct et immédiat avec l’acte infractionnel et ne sont pas systématiquement prises en compte par le système de justice pénale.

La parole libérée

Inscrire les mesures de justice restaurative dans ce seul cadre des réponses aux conséquences de l’acte risque de dénaturer la qualité des échanges entre les participants dans un espace de parole sécurisé sur tous les plans. En effet, l’évaluation scientifique (cruellement absente dans le travail social en France) indique sans ambiguïté que les émotions, les ressentis et les attentes ne sont pas confiés à l’intervenant professionnel (tous champs de compétence confondus). L’opportunité de pouvoir poser les questions essentielles du “pourquoi ?” et du “comment ?”, l’absence de jugement sur ce qui est dit, la confidentialité des échanges, l’absence de bénéfice direct sur la sanction ou l’indemnisation, la sincérité des propos tenus, le respect de la dignité de l’autre permettent, en effet, une authentique libération de la parole. Hors de toutes formes de prosélytisme ou de protocole à visée thérapeutique, l’objectif des mesures restauratives est de conduire chacun vers un horizon d’apaisement que le procès pénal ne peut pas pleinement favoriser. Aucune autre promesse ne peut être tenue.

L’essence même de la justice restaurative, en France comme dans tous les pays la mettant en œuvre, est la rencontre (directe ou non) entre personnes infracteurs et victimes (anonymes ou non), car le processus vaut parfois autant que le résultat. Il n’y a rien de “caricatural” en cela. Evidemment, il est essentiel d’éviter toute précipitation, toute improvisation. Des protocoles rigoureux doivent conduire à éviter toute victimisation secondaire ou répétée, toute tentative d’intimidation ou de représailles. Chaque participation est volontaire et la possibilité de quitter le dispositif restauratif à tout moment en est le corollaire. Une convention de partenariat doit ainsi être signée entre les acteurs souhaitant mettre en œuvre une mesure restaurative : justice, services pénitentiaires, associations d’aide aux victimes, a minima. Un cahier des charges précise très clairement les rôles de chacun, les caractéristiques de la mesure et les populations concernées. Après avoir été pleinement informé, chaque participant est invité à des entretiens préparatoires menés par des professionnels indépendants et impartiaux, spécialement formés (animateur, coordonnateur ou médiateur), à l’issue desquels il choisira d’y adhérer, ou non. Tout au long du déroulement de la mesure restaurative, les participants sont accompagnés, en cas de besoin, aux plans psychologique et social. Les intervenants bénéficient, quant à eux, d’une supervision. Afin d’assurer la pertinence des programmes restauratifs, leur évaluation scientifique, indépendante, est inévitable, dans la durée, tant au regard des participants, des intervenants que des services impliqués.

De nombreuses initiatives

La loi “Taubira” du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a été portée par les expérimentations mises en place initialement au sein du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) des Yvelines : rencontres détenus-victimes (RDV) à Poissy, cercles de soutien et de responsabilité (CSR) à Versailles. Dans le même esprit, un projet pilote de « service régional de justice restaurative » a été initié au sein de la cour d’appel de Pau par l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale. Un second vient d’être créé près la cour d’appel de Paris. Entrée en vigueur le 1er octobre de la même année, la loi du 15 août 2014 encadre et favorise le développement exponentiel de la justice restaurative en France(5). Des formations spécifiques sont en place depuis 2010 au sein de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem) pour les animateurs et les membres de la communauté dans les RDV (inavem.org). Depuis 2015, des formations continues sont dispensées à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire à l’intention des personnels pénitentiaires (enap.justice.fr), en partenariat avec l’Institut français pour la justice restaurative (justicerestaurative.org) et l’Inavem. Elles font l’objet d’une très forte demande de la part de tous ces professionnels (associations d’aide aux victimes et SPIP), particulièrement soucieux de redonner du sens à leurs missions premières : réintégrer le plus harmonieusement possible les personnes ayant eu à souffrir ou souffrant encore du crime au sein de nos communautés.

En bref, la justice restaurative est déjà opérationnelle dans notre pays car elle est mise en œuvre par des professionnels spécialement formés (salariés ou bénévoles), selon les conditions justement posées par l’article 10-1 du code de procédure pénale, étayé par d’autres dispositions de ce même code (art. 10-2, art. 707, IV). Ses contours n’ont aujourd’hui rien de flou. Les notes méthodologiques rédigées par le ministère de la Justice sont particulièrement éclairantes(6). Des décrets d’application, de rédaction délicate au sein de cet environnement judiciaire encore trop circonspect, sont cependant très attendus. »

Notes

(1) Jacques Faget – Justice et travail social. Le rhizome pénal – Ed. érès, 1992.

(2) « La conciliation pénale à Valence » – Rev. sc. crim – 1990-3.

(3) De la dette au don. La réparation pénale à l’égard des mineurs – Ed. ESF, 1994.

(4) Citoyens et justice explique, dans l’article paru dans les ASH, que la médiatisation de la justice restaurative a eu tendance à se concentrer « sur la focale réductrice de la rencontre entre la victime et l’auteur ».

(5) Benjamin Sayous, Robert Cario – « La justice restaurative dans la réforme pénale : de nouveaux droits pour les victimes et les auteurs d’infractions pénales » – AJPénal n° 10, 2014 ; Robert Cario – « La consécration législative de la justice restaurative » – Petites affiches du 1-2 janvier 2016.

(6) Note méthodologique sur la justice restaurative – SG-SADJAV – 6 octobre 2015 ; Fiche de sensibilisation sur la mise en œuvre de la justice restaurative – DAP-SDME-ME2 – 7 octobre 2015.

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