Nous recevons des demandes nombreuses : 303 en 2015 où, année faste, nous avons accueilli cinq nouveaux usagers(1) ! Elles émanent surtout des assistantes sociales hospitalières qui ne savent plus où orienter ces malades chroniques graves, sans ressources économiques et familiales. Le choix auquel nous devons procéder est extrêmement difficile et douloureux. Un « tri » à la croisée des chemins médical et social, établi sur dossiers, mais aussi étayé par des entretiens menés avec les médecins que les patients ont vus. Si la personne a un handicap sévère et, de fait, un manque d’autonomie physique ou psychique trop important, elle ne sera pas capable de vivre seule dans un appartement. Enfin, si elle est sujette à une ou des addictions, nous devons évaluer si elle est suffisamment stabilisée pour que son projet soit réalisable.
Nous avons accueilli récemment un patient diabétique insulino-dépendant, vivant dans sa voiture depuis sa sortie de prison, qui ne parvenait pas à accéder à ses droits. Pour simplement lui procurer son insuline, nous avons passé des dizaines de coups de téléphone, afin qu’il accède au dispositif PASS (permanence d’accès aux soins de santé). Or cette PASS ne délivrait pas les aiguilles pour injecter ni le matériel de contrôle de la glycémie, et le patient avait pris l’habitude de réutiliser les mêmes aiguilles. Nouveau tour des hôpitaux… Je pense aussi à cet autre, sorti de l’hôpital la jambe plâtrée, sans droits sociaux ouverts. L’infirmière coordinatrice a dû rechercher l’infirmière à domicile, le kinésithérapeute, le laboratoire acceptant de réaliser soins et examens avec un différé de paiement ; elle s’est démenée pour récupérer la prescription hospitalière et transporter ce grand monsieur de deux mètres, qui rentrait très difficilement dans une voiture mais n’avait pas accès à un véhicule sanitaire.
En de nombreux coups de téléphone et courriers aux professionnels appropriés. Nous ne suppléons pas, mais cherchons les ressources médico-sociales sur le territoire et recréons une synergie autour des patients. Dans les situations les plus simples, cela consiste à construire un parcours de soins en hiérarchisant les priorités. A son arrivée, on laisse le résident s’installer parce qu’il lui faut un certain temps pour prendre ses repères et ne pas risquer une décompensation. Nous évaluons sa capacité psychique à accéder aux soins. Progressivement, on le dirige vers le centre médico-psychologique pour qu’il reprenne les soins psychiatriques qu’il avait interrompus, on fait en sorte que l’hépatite C non traitée depuis dix ans soit évaluée… L’infirmière enquête auprès des hôpitaux où il est passé, court après les données médicales, l’accompagne vers les structures d’addictologie de ville…
Les mêmes difficultés, avec une complexité accrue, parce que le relais entre le régime de la détention et le régime général se fait très laborieusement (plus de un an parfois !). On récupère la CMU [couverture maladie universelle], puis très péniblement la CMU-C [couverture maladie universelle complémentaire], la demande d’ALD [affection de longue durée] est souvent introuvable, la dette hospitalière s’est accumulée, l’AAH [allocation aux adultes handicapés] n’est plus versée… Les soins ont été interrompus, les facteurs de vulnérabilité se cumulent (psychiatrie, addiction, désaffiliation sociale et familiale…).
Le fait de demander aux personnes accueillies de se mobiliser sur les tâches administratives ingrates et chronophages liées à la recherche d’une activité ou d’un logement avec des perspectives limitées. Ou encore d’être conformes à un projet, malgré toute la souplesse qu’on y met. Nous n’avons pas les moyens d’accompagner des malades souffrant de maladies neuro-dégénératives ou encore des patients présentant des troubles psychiques trop importants. On devrait pourtant pouvoir s’adapter à toutes les pathologies.
L’appartement de coordination thérapeutique est un dispositif d’une grande pertinence, bien adapté au public précarisé. Au-delà, il pourrait être transposé pour mieux coordonner les parcours de soins : pour accompagner des personnes âgées qui rentrent chez elles avec une perte d’autonomie, des patients atteints d’un cancer sortant d’hospitalisation…
(1) Faute de places, les ACT refusent 90 % des démandes d’admission (voir encadré, p. 27).