Ils ont en moyenne entre 20 et 55 ans, souffrent d’une pathologie chronique invalidante – VIH, cancer, maladies cardio-vasculaires, diabète, hépatites B et C, insuffisance rénale, maladies neurologiques, voire polypathologies… – accompagnée souvent de troubles psychiatriques et/ou d’addictions. Ils sont migrants sans papiers, expulsés de leur logement, seuls à la rue avec leur enfant, sortants de prison, sans couverture sociale ni suivi médical régulier. Ces publics peuvent être hébergés, à titre temporaire, dans l’une des 2 000 places d’appartements de coordination thérapeutique (ACT), gérés par une centaine d’associations (dont la moitié en Ile-de-France), pour y recevoir des soins, un accompagnement psychologique et une aide à l’insertion.
Dans ces structures reconnues comme des établissements médico-sociaux par la loi 2002-2, des équipes pluridisciplinaires – médecin, infirmier, assistant social, conseiller en économie sociale et familiale, psychologue, éducateur, auxiliaires de vie, aide médico-psychologique… – assurent une coordination médico-sociale autour d’un projet personnalisé. « La personne garde son médecin traitant, ses spécialistes, ses intervenants sociaux, explique Benoît Rousseau, directeur adjoint de l’association Montjoie au Mans, qui dispose d’ACT dans plusieurs départements de l’ouest (Sarthe, Loire-Atlantique et Maine-et-Loire). Notre coordination est pédagogique et inclut des programmes d’ETP [éducation thérapeutique du patient] pour que la personne soit capable de gérer ses traitements et ses prestations sociales à la sortie de l’établissement et qu’elle ne se retrouve pas isolée, en situation de rupture, mais le plus autonome possible. »
Les personnes sont hébergées dans des logements individuels ou collectifs (studio, T1, T2, T3…), en diffus ou regroupés dans un même bâtiment (au-dessus éventuellement du siège de l’association), qui doivent être « accessibles, situés à proximité des lieux de soins et bien intégrés dans la cité »(1). Elles sont accueillies quelquefois avec leur enfant et/ou leur conjoint ou compagnon.
Créés à titre expérimental en 1994 pour accueillir les personnes vivant avec le VIH en situation de précarité sociale, les appartements de coordination thérapeutique sont nés de la rencontre de deux mondes : « celui des associations d’aide aux personnes touchées par le VIH, qui géraient des dispositifs de lutte contre l’exclusion sociale, et celui des structures hospitalières et/ou accueillant des personnes handicapées, raconte Guy Sebbah, médecin, délégué général du Groupe SOS. Ces acteurs se sont demandé ce que l’on pouvait proposer à ces patients venant de l’hôpital, de la prison ou de la rue, et le modèle des ACT est né. » L’esprit à l’époque était bien différent de celui d’aujourd’hui : « Ces structures n’étaient pas encore institutionnalisées. Elles fonctionnaient dans l’esprit qui existait alors sur la côte ouest des Etats-Unis, où les malades du sida – très stigmatisés – avaient compris qu’ils devaient se montrer solidaires et se regroupaient dans des appartements ou des maisons, soutenus par des professionnels militants », retrace Guy Sebbah.
En 1998, les structures se regroupent au sein d’une fédération – qui deviendra la Fédération nationale des hébergements (FNH)-VIH et autres pathologies. Puis, avec leur intégration dans la loi 2002-2, elles s’ouvrent à l’accueil de toute personne en situation de précarité touchée par une pathologie chronique invalidante et deviennent des institutions médico-sociales financées par l’assurance maladie. Le dispositif se révèle « un outil extrêmement souple pour accueillir des personnes malades en situation compliquée », souligne Guy Sebbah. Depuis 2008, le Groupe SOS a fait le choix de privilégier l’accueil de personnes dont la santé est particulièrement dégradée. « En Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Ile-de-France, où l’épidémiologie VIH reste importante, nous accueillons de nombreuses personnes séropositives avec le plus souvent une pathologie associée – VHC, lymphome cérébral, maladie d’Hodgkin,indique Guy Sebbah. Nous recevons aussi un nombre important de personnes atteintes du cancer. »
En vingt ans, les ACT sont devenus des structures généralistes, s’adaptant à des situations très différentes et à une hausse des comorbidités : « 32 % des personnes accueillies cumulent pathologies chronique et psychiatrique et 30 % ont un trouble addictif. D’où la nécessité de développer les partenariats avec les structures de recherche », défend Léonard Nzitunga, président de la FNH-VIH et autres pathologies et directeur de L’Abri, association qui dispose de 15 places d’ACT à Evreux. Par exemple, au Mans, explique Benoît Rousseau, « nous allons engager prochainement une formation-action par la recherche sur les troubles psychiatriques et l’addiction avec des partenaires locaux. Des problématiques sur lesquelles nous ne nous sentions jusqu’alors pas compétents. »
Grâce à leur savoir-faire, les appartements de coordination thérapeutique s’ouvrent ainsi à de nouveaux publics. Depuis 2012, face au besoin d’accompagnement médico-social des personnes malades sortant de prison, des places dédiées ont été créées à leur intention. De son côté, l’association Cordia (qui gère des ACT à Paris, Tours, Poitiers et La Rochelle) aménage une villa dans la capitale pour accueillir, dès novembre prochain, six résidents en fin de vie. Quant au Groupe SOS, il expérimente actuellement, dans la Seine-Saint Denis (avec l’ouverture de quatre places d’ACT), l’accueil d’enfants, d’adolescents malades et de leur famille. L’équipe a recruté une éducatrice de jeunes enfants et travaille en réseau avec les services pédiatriques. « Mais au départ, les services hospitaliers transmettaient peu de demandes d’admission en ACT, reconnaît Delphine Vilain, responsable du département « personnes en difficultés spécifiques » à l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France. Cela peut s’expliquer par une méconnaissance des services orienteurs du dispositif et par leur réticence à confier des enfants malades à une structure non hospitalière. » Aujourd’hui, grâce aux efforts de communication de l’ARS, les choses avancent et les résultats de l’expérimentation sont encourageants. « Les parents accueillis en ACT apprennent à vivre sereinement et s’approprient petit à petit les traitements et les gestes à prodiguer à leur enfant malade », se félicite Delphine Vilain.
Le Groupe SOS réfléchit également à l’accueil des personnes autistes. Il a présenté au ministère de la Santé un projet d’ouverture de places en appartements de coordination thérapeutique à destination de ce public, qui est actuellement à l’étude. « De par leur approche pluridisciplinaire autour de la maladie chronique et la prise en compte des problématiques médicales, psychosociales et d’hébergement, les ACT constituent une alternative aux structures traditionnelles, soutient Guy Sebbah. Ils peuvent notamment être un outil bien adapté à certains patients relativement autonomes et capables de vivre dans un logement s’ils sont accompagnés. »
« Ce dispositif est exemplaire car il permet aux personnes de gérer de façon autonome leur maladie », ajoute Erwan Dhainaut, directeur du Thianty à Annecy, l’un des établissements de l’association Oppelia. « Il permet de remettre les gens sur les rails en matière d’accès aux soins et aux droits », insiste Catherine Delaplanche, responsable de service à l’Arapej 92 (Association réflexion action prison et justice des Hauts-de-Seine) (voir page 29). « Nous sommes les seules structures – avec les lits halte-soins-santé – à proposer cette transversalité de l’accompagnement, précise Benoît Rousseau. Je pense à une jeune femme qui souffrait de graves crises d’épilepsie, une maladie complexe dont la prise en charge nécessite de prendre en compte les données médicales, les contraintes d’observance thérapeutique et d’hygiène de vie et dépend beaucoup du mode de vie et de la psychologie de la personne. Elle sortait d’une structure de protection de l’enfance où le suivi médical et social se passait mal. Nous avons découvert qu’elle souhaitait avant tout vivre “comme ses amies”, en sortant tard le soir, en consommant de l’alcool… tout ce qui était “interdit” dans le cadre de son traitement ! Nous avons construit avec elle des solutions lui permettant d’avoir une vie sociale satisfaisante tout en préservant sa santé. »
A son arrivée dans l’ACT, le résident signe un contrat qui stipule ses droits, mais aussi les règles à respecter. Passée une phase parfois difficile au moment de l’accueil, il est aidé dans la gestion de ses habitudes alimentaires, de ses dossiers, de ses déplacements… pour accéder peu à peu à l’autonomie, ce que le logement indépendant favorise. « Une personne arrivée après plusieurs incarcérations disposait d’un T2, mais ne dormait pas dans sa chambre, se limitant à une seule pièce. Elle ne pouvait pas non plus accomplir des démarches de demande d’aide à la caisse d’allocations familiales car elle était angoissée de se retrouver seule face à des institutions », se souvient Benoît Rousseau.
« L’un des grands intérêts des ACT est aussi d’avoir intégré l’éducation thérapeutique du patient : 35 structures sur les 70 adhérentes à la fédération se sont inscrites dans cette démarche. Plus de 80 salariés des ACT y sont formés, et les équipes font le lien ville-hôpital », explique Léonard Nzitunga. Erwan Dhainaut n’hésite pas à parler de « formation continue des usagers » : « A Annecy, ils sont regroupés dans le “forum des usagers coopératif” que nous avons constitué au sein de notre dispositif d’ACT. Cela leur permet d’être associés aux réflexions sur l’amélioration des bâtiments – ils participent déjà activement à leur entretien –, de proposer des activités de groupe – loisirs, activités culturelles, bien-être, manucure, relooking – et de devenir des collaborateurs. Ils prennent part au processus d’admission en accueillant les futurs résidents à qui ils présentent le dispositif et sont invités dans les lieux de réflexion et de concertation – comme le comité de coordination régionale de la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine [Corevih]. »
Aucune limite de durée d’accueil en appartement de coordination thérapeutique n’est fixée par la loi, mais l’accompagnement est en moyenne de 18 mois en province et de 24 mois en Ile-de-France : « Avec un objectif, le relogement et le retour au droit commun, insiste Jean-Luc Cousineau, directeur de Cordia. Un objectif traité très en amont au service ACT de la fondation Maison des Champs à Paris, l’un des rares à disposer d’une chargée de mission « logement ». A ce poste, Julie Fradin-Faisant rencontre les résidents après trois mois afin de « construire avec eux un projet de sortie qui leur corresponde et soit réaliste au regard de la situation du logement, notamment en Ile-de-France ». En plus de la recherche d’un logement social, elle consacre une partie de son temps à préparer la sortie. Cela passe par l’animation d’ateliers collectifs sur le logement social, l’hygiène de l’habitat, les économies d’énergie, le déménagement et le relogement « qui peuvent être très angoissants ». Cependant, de nombreuses personnes restent très longtemps en ACT sans que ce soit pertinent, faute de trouver des solutions de logement ou d’hébergement à la sortie. A cela s’ajoute, pour celles qui ont des difficultés médicales ou psychiques, le manque de places en maison-relais ou en résidence sociale, déplore Julie Fradin-Faisant.
Malgré ces difficultés, le dispositif permet « un retour vers l’autonomie des personnes et l’accès au droit commun », estime la FNH-VIH et autres pathologies. Dans son « Bilan national des ACT en 2014 »(2), elle indique que, à la sortie, plus d’un usager sur deux (voire deux sur trois en Ile-de-France) a accès à un hébergement durable. Et que le taux des personnes en emploi augmente considérablement. Un résultat non négligeable alors que « les ACT accueillent de plus en plus de publics sans ressources et dans une situation administrative complexe », constate Delphine Vilain de l’ARS Ile-de-France.
Reste que beaucoup de personnes auraient besoin d’être encore accompagnées après la sortie. D’où le souhait largement partagé par les professionnels des ACT d’étendre la coordination mise en place dans les établissements au domicile des anciens patients. Soit une transposition du modèle des ACT – et du savoir-faire des équipes – hors les murs. « Il s’agit de prolonger le travail réalisé en ACT, mais aussi de permettre d’éviter l’hospitalisation répétée ou tardive », précise Léonard Nzitunga. Si le Groupe SOS réfléchit à la création d’équipes mobiles qui interviendraient au domicile, l’Abri à Evreux expérimente depuis 2012 « l’ACT à domicile » et accompagne ainsi 25 personnes. Un projet soutenu par la direction générale de la santé (DGS), qui souhaite pouvoir l’expérimenter à l’échelle nationale. « Il s’agirait de développer un accompagnement à domicile de personnes atteintes de pathologies chroniques et présentant une dépendance importante dans l’accomplissement des gestes de la vie courante et, par conséquent, une difficulté pour continuer à vivre chez elles », explique-t-on au bureau « Infections par le VIH, IST et hépatites » de la DGS. Un dispositif qui, selon l’administration centrale, pourrait accueillir un public autre que celui qui est aujourd’hui hébergé en ACT.
Il est en effet clair, selon Léonard Nzitunga, que le secteur médico-social pourrait utilement s’inspirer de ce modèle : « A travers leur triple prise en charge – sociale, médicale et d’accompagnement au logement –, les ACT développent des partenariats avec de nombreux acteurs : bailleurs sociaux, hôpitaux, hospitalisation à domicile, maisons départementales des personnes handicapées, SIAO… A l’heure où la logique de parcours est hissée au rang de priorité par les pouvoirs publics, la technique inclusive déployée par les ACT pourrait être généralisée à l’ensemble du secteur médico-social[3]. »
Les 2 000 places d’appartements de coordination thérapeutique (ACT) réparties sur tout le territoire ne parviennent pas à répondre à l’ensemble des besoins. La Fédération nationale d’hébergements (FNH)-VIH et autres pathologies fait état de taux de refus à l’entrée proches de 90 % et explique que le manque de places disponibles représente le premier motif de non-admission. D’où sa demande d’une programmation pluriannuelle de créations de places d’ACT (budgétées chacune 31 000 €). « Puisque l’un des objectifs du plan cancer est la réduction des inégalités territoriales de santé, les personnes en grande précarité pourraient bénéficier de ce dispositif », soutient Léonard Nzitunga, président de la fédération. A cette pénurie de places, s’ajoute le versement tardif des crédits. Les ACT sont des établissements médico-sociaux du secteur PDS (personnes confrontées à des difficultés spécifiques) – avec les structures d’addictologies médico-sociales, les lits halte-soins-santé, et les lits d’accueil médicalisés –, et financés, à ce titre, sur une ligne budgétaire spécifique de l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie). Reste que l’instruction budgétaire qui ventile les crédits aux agences régionales de santé (ARS) pour les établissements du secteur est publiée en fin d’année, soit bien trop tardivement, estime Laurent Thévenin, délégué national de la FNH-VIH et autres pathologies : « On a une indication avec l’enveloppe PDS pour l’année suivante en septembre à partir des orientations du projet de loi de financement de la sécurité sociale, une campagne en octobre pour les crédits de l’année, donc neuf à dix mois d’arbitrage pendant lesquels l’ARS ne connaît pas son enveloppe limitative régionale. » Un décalage qui contraint les ACT à parfois proposer des orientations budgétaires en octobre pour l’année suivante alors que le budget de l’année en cours n’est toujours pas connu.
(1) Selon la circulaire du 30 octobre 2002 qui encadre les ACT..
(2) Disponible sur
(3) Propos recueillis dans les ASH n° 2917 du 3-07-15, p. 19.