« La surpopulation pénale progresse et les moyens de la résorber paraissent en décalage avec l’ampleur du problème », déplore la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, dans le rapport d’activité 2015 de l’institution rendu public le 9 mars(1). « La situation observée aujourd’hui n’est en rien différente de celle qui, en 2012 puis en 2014, a conduit [son prédécesseur, Jean-Marie Delarue] à adresser des avis au gouvernement sur la surpopulation carcérale et l’encellulement individuel. » Et « les prévisions officielles du gouvernement ne traduisent pas de perspective sérieuse d’amélioration ». Pour illustrer son propos, elle s’appuie sur le projet de budget du ministère de la Justice pour 2016 qui, pour gérer la surpopulation, n’envisage que la création de places de prisons supplémentaires (2 298 places nettes sur la période 2015-2017, dont 216 en 2016). Or, relève le rapport, « les indicateurs relatifs au taux d’occupation des places en maison d’arrêt et au nombre de personnes détenues par cellule présentent des prévisions d’évolution qui, dès maintenant, font perdre toute crédibilité à l’objectif d’encellulement individuel en 2019 »(2). De 135 % en 2015, le taux d’occupation en maison d’arrêt ne devrait en effet redescendre qu’à 132 % en 2016 et à 131 % en 2017, tandis que le nombre de personnes détenues par cellule devrait, comme en 2015, augmenter en 2016 et 2017 de 1,29 %.
Pour Adeline Hazan, l’objectif de l’encellulement individuel ne pourra pas être atteint par le seul biais de mesures immobilières : « c’est donc sur l’évolution de la population placée sous main de justice qu’il faut compter ». Pour ce faire, estime-t-elle, il faut réviser certaines pratiques pénales, « notamment en recherchant le développement des alternatives à l’incarcération, telles que la surveillance électronique, le placement à l’extérieur ou la semi-liberté, mais aussi en réexaminant la suspension de peine pour motif médical ou encore les modalités du contrôle judiciaire et du travail d’intérêt général, voire en inventant d’autres formes de sanctions pénales ». Il peut aussi, selon elle, « être opportun de réfléchir à l’exécution des courtes ou très courtes peines, ou des peines très anciennes ».
Mais la contrôleure des prisons va plus loin en préconisant la « mise en place d’une régulation carcérale ». En pratique, il s’agirait de « différer les incarcérations quand la capacité d’accueil d’une maison d’arrêt est atteinte et de libérer certaines personnes détenues en fin de peine, en leur proposant un accompagnement, c’est-à-dire un projet et un contrôle adaptés à leur situation ». Des idées en partie déjà évoquées par le rapport « Raimbourg » de 2014(3).
La contrôleure générale considère, par ailleurs, que le respect des droits fondamentaux des détenus peut aussi passer par l’amélioration des conditions de travail des surveillants pénitentiaires, en sous-effectif. Pour elle, « la première cause d’insuffisance de personnel réside dans la conception d’organigrammes de référence insuffisants. En effet, certains établissements ont dès l’origine été conçus dans l’illusion que la technique allait remplacer l’humain et que l’optimisation architecturale permettrait une surveillance à distance moins exigeante en ressources humaines. » Mais « c’est méconnaître le fait que le métier pénitentiaire exige une proximité humaine et qu’une part essentielle du temps des surveillants ne se passe pas seulement à surveiller, mais à répondre aux besoins de la population pénale ». A cela s’ajoutent un fort taux d’absentéisme, d’importantes vacances de postes – des vacances supérieures à 10 % n’étant pas rares – et la hausse du nombre d’heures supplémentaires (+ 50 % entre 2010 et 2013), chaque surveillant assurant en moyenne de 20 à 40 heures supplémentaires par mois. « Dans de pareilles conditions, dénonce l’institution, les droits de la population pénale ne peuvent qu’être négligés et les missions mêmes de l’administration pénitentiaire mal assurées. » Les recrutements et affectations de surveillants doivent donc être « mis en adéquation avec les besoins identifiés de la surveillance et de la réinsertion des personnes détenues en tenant compte de l’effectif réel de la population pénale, et non de la capacité théorique des établissements », affirme Adeline Hazan, soulignant toutefois que, « au-delà de créations de postes que le contexte budgétaire ne laisse guère espérer, seule la maîtrise de la surpopulation pénale peut résoudre ces difficultés ».
Après une augmentation d’environ 2 % entre 2013 et 2014, le nombre de saisines de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté a baissé d’un peu plus de 5 % en 2015 (3 891 contre 4 125 l’année précédente). Le rapport d’activité note toutefois une « augmentation significative » du nombre de saisines relatives à des personnes placées en rétention administrative (2,30 % des saisines, contre 1,18 % en 2014), en raison notamment de la sensibilisation opérée par la contrôleure générale et ses collaborateurs auprès des avocats et des associations. D’ailleurs, indique Adeline Hazan, le renforcement des relations avec les associations constitue « une priorité ». A cet effet, « des rencontres régulières vont être instaurées afin de les sensibiliser au rôle d’information et de relais qu’elles peuvent assurer entre les personnes privées de liberté et le contrôleur général ».
Le rapport fournit aussi les principaux motifs de saisine pour les personnes privées de liberté parce qu’incarcérées ou hospitalisées sous contrainte. Ainsi, pour les détenus, les trois principaux motifs concernent les transferts (11,26 %), les relations avec l’extérieur (9,93 %) et l’accès aux soins (9,27 %). Pour les personnes hospitalisées, ce sont les procédures (40,49 %), l’accès aux soins (9,13 %) et les relations avec l’extérieur (7,54 %) qui arrivent en tête.
Enfin, le rapport d’activité indique que, entre janvier et novembre 2015, 522 dossiers d’enquête ont été ouverts, contre 549 sur la même période en 2014.
Dans son rapport d’activité 2015, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté fait aussi le point sur la nouvelle mission qui lui a été confiée depuis 2014, à savoir le contrôle des modalités d’exécution des mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière(1). L’organisation de ces contrôles s’est révélée « particulièrement complexe du fait de l’extrême variabilité des prévisions jusqu’au dernier moment, de la diversité des moyens aériens employés et de la lourdeur des effectifs nécessaires », explique Adeline Hazan. Seulement sept missions de contrôle ont ainsi pu être diligentées. Bien que cet échantillon soit, selon elle, « encore trop limité » pour en retirer des données représentatives, des grandes tendances se dégagent néanmoins. Ainsi, observe-t-elle, « les retours forcés sont exécutés par des forces de police formées et dédiées à cette mission, de sorte que le traitement des personnes raccompagnées est correctement maîtrisé ». Seul « point d’amélioration souhaitable », pour Adeline Hazan : l’adaptation des moyens de contrainte. Les faiblesses de la procédure, elles, « se situent plutôt, en amont, dans l’information donnée aux personnes reconduites et à leurs familles, et, en aval, dans la relation avec les autorités des Etats de destination ». La contrôleure générale indique qu’elle entend poursuivre ses investigations et qu’elle remettra un rapport au gouvernement sur ce thème en 2016.
(1) Rapport prochainement disponible sur
(2) Rappelons, en effet, que la seconde loi de finances rectificative pour 2014 a prolongé de cinq ans le moratoire sur l’encellulement individuel prévu par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 – Voir ASH n° 2889 du 16-12-14, p. 14.