C’est un constat « sans ambiguïté » que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a rendu public, le 10 mars, dans son premier rapport d’évaluation de la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains en France(1) : « Nouvel esclavage, la traite et l’exploitation des êtres humains existent ici et maintenant, et recouvrent des réalités très diverses que les autorités publiques ne peuvent plus occulter. »
Or, « à l’heure actuelle, aucun organe public ne collecte de données sur l’ensemble des formes d’exploitation », déplore la CNCDH, en regrettant que « le phénomène [soit] trop souvent évoqué sous le seul angle de la traite prostitutionnelle féminine ». Car, « si cette forme d’exploitation est en soi majeure, elle est loin d’épuiser le sujet », souligne la commission dans un communiqué, en évoquant aussi l’esclavage domestique ou le travail forcé, mais aussi la situation des mineurs contraints à la mendicité ou à la délinquance ou livrés à l’exploitation sexuelle. Autant de phénomènes « que seule une politique engagée, volontariste et globale pourra endiguer », estime-t-elle. Certes, cette ambition était portée par « les annonces fortes » faites par le gouvernement en mai 2014 dans son plan d’action national contre la traite des êtres humains(2) – dans le cadre duquel la CNCDH a été nommée « rapporteur national indépendant ». Mais force est de constater que la mise en œuvre de ce plan est « très insuffisante […] faute de moyens humains, techniques et financiers ».
De même, la commission s’alarme du peu de « soutien des pouvoirs publics aux nombreuses associations engagées pour lutter contre la traite et l’exploitation, et en particulier le collectif Ensemble contre la traite », tandis que « les victimes, notamment mineures, chaque jour plus nombreuses, sont encore malmenées comme si elles étaient coupables : dépôt de plainte quasi impossible, infractions non poursuivies, et au bout du compte de la souffrance et des larmes ». Et ce, alors même que « les victimes potentielles de traite ne s’auto-identifient pas en tant que telles et ne dénoncent que très rarement les faits dont elles font l’objet », qui sont du coup « largement sous-rapportés ».
Pour améliorer la prise en compte de la diversité et de l’ampleur de cette « réalité méconnue », la CNCDH plaide notamment pour dissocier le volet « violences faites aux femmes » de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), qui resterait attaché au ministère des Droits des femmes, du volet « traite », rattaché au Premier ministre. Elle recommande aussi d’élaborer des formations en direction des professionnels susceptibles d’être confrontés à de tels actes (policiers, gendarmes, magistrats, personnels de la protection de l’enfance…) et d’établir des critères d’identification des victimes, en concertation avec les associations spécialisées qui ont développé des outils et une expertise.
La lutte contre la traite s’étant en outre focalisée, ces dernières années, « sur le démantèlement des réseaux et la réduction de la criminalité », beaucoup reste à faire en matière d’accompagnement des victimes, souligne la commission. Elle demande donc aux pouvoirs publics de mettre en place une prise en charge notamment sociale, médicale et psychologique, qui fait actuellement cruellement défaut, de mettre en œuvre les mesures 7 et 8 du plan d’action national, qui prévoient notamment d’augmenter et d’adapter les solutions d’hébergement des victimes et, enfin, « d’assurer l’entière protection des mineurs victimes », alors que, actuellement, « les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance sont saturés, les mineurs victimes de traite bénéficient rarement d’une véritable scolarisation/formation, la présomption de minorité n’est pas respectée… ». En plus d’accorder automatiquement la présomption de minorité en cas de doute, « la transition vers la majorité [doit être] préparée et accompagnée au-delà de 18 ans », estime encore la CNCDH, qui insiste aussi sur le fait que ces jeunes doivent bénéficier systématiquement du soutien d’un administrateur ad hoc « s’ils sont isolés ou en danger dans leur famille », ainsi que « d’un accompagnement et d’une prise en charge inconditionnels et adaptés à leur situation » et, enfin, de « dispositifs de réparation », avec un suivi sur le long terme et sur tous les plans (justice, formation, conditions de vie).
(1) Rapport sur la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains – Disponible à la commande sur