Fruit de la fusion de pas moins de 14 petites et moyennes associations gérant des centres spécialisés de soins en toxicomanie, Oppelia fait figure de pionnier dans ce que l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale et Unifaf qualifient aujourd’huide « lame de fond ». « Les regroupements associatifs constituent une des principales manifestations du profond mouvement engagé par le secteur », soulignent-ils dans leur guide méthodologique « Anticiper les impacts RH des regroupements associatifs »(1). En 2012, déjà, l’enquête « Emploi » qu’ils avaient réalisée montrait qu’au moins une association sur cinq était engagée dans un projet de regroupement (mutualisation de moyens, groupement de coopération sociale et médico-sociale, fusion-absorption, etc.)(2). Oppelia est né dès 2008 du rapprochement de Trait d’union et d’Essonne-Accueil. « Jusque-là, les dispositifs du secteur des addictions étaients très éparpillés, très fragmentés, décode Alain Morel, directeur général de l’association. Il semblait nécessaire de mutualiser les ressources pour mieux résister aux aléas des financements et, plus globalement, pour se positionner comme interlocuteur de référence, tant sur le plan technique (dans la prévention, les soins, la formation, la recherche…) que sur celui de la gestion administrative et financière. » Devenu une association nationale de 320 salariés, Oppelia continue à prendre de l’ampleur chaque année. « A chaque fusion, c’est une nouvelle page qui s’ouvre », pointe Alain Morel, qui précise que, « pour 14 fusions réussies, une bonne dizaine n’ont pas abouti ».
Selon Amélie Bichet-Minaro, consultante à Soc & Sol, cabinet de conseil dans le cadre du dispositif local d’accompagnement, les regroupements sont « en très forte augmentation depuis deux ans ». Il s’agit de répondre à des défis pluriels : « Atteindre une taille critique, investir pour se développer, faire face à la contraction des finances publiques, s’organiser face à la concurrence croissante, sauvegarder des emplois… » Les associations ARIMC (Association régionale Rhône-Alpes des infirmes moteurs cérébraux), ANAIS (Association d’action et d’insertion sociale) et Enfance & Pluriel ont toutes grossi ou se sont constituées par ce biais. Si leurs dirigeants reconnaissent avoir pu faire quelques erreurs au long du parcours de regroupement, ces associations se disent prêtes à réitérer l’expérience. « Mais pas n’importe comment, ni avec n’importe qui », précise Jean-Luc Laubé, président de l’ARIMC.
Au sein de cette association qui regroupe une trentaine de structures et services pour personnes handicapées en Rhône-Alpes et dans le Jura, la fusion est encore fraîche. L’AHVA (Association Haut de Versac-AFSEP) n’y a été officiellement « absorbée » que le 1er janvier dernier. Une première pour l’ARIMC, et une opportunité qu’elle n’avait pas forcément envisagée avant que l’AHVA, jeune association mono-établissement qui accueille des personnes souffrant de sclérose en plaques, ne fasse le premier pas. « C’était en janvier 2015. L’AHVA souffrait d’une gestion bancale et est venue nous demander de l’aide », rapporte Valérie Löchen, directrice générale de l’ARIMC. « Le conseil d’administration nous a démarchés afin de l’accompagner dans un mandat de gestion. Ils savaient qu’avec nous, ils pouvaient notamment s’appuyer sur un siège – implanté à Lyon. » L’ARIMC pèse les avantages et les inconvénients de cette nouvelle charge, puis accepte le défi, qui lui permet de se développer tout en acquérant des compétences auprès d’un nouveau public. « Une fois le mandat de gestion signé en mai 2015, il est vite apparu préférable, pour la pérennité de l’AHVA, de “passer la main” à l’ARIMC », poursuit Valérie Löchen. La démarche de fusion-absorption débute en juillet 2015, sur les conseils des autorités de contrôle (agence régionale de santé et conseil départemental du Jura). Certaines difficultés – « pas insurmontables », précise l’ARIMC – apparaissent au fil du processus. « Les salariés de l’AHVA dépendaient de la CC51 et les nôtres, de la CC66. Ils ont forcément eu des inquiétudes face à cette transposition obligatoire. Il a fallu faire preuve de pédagogie et entamer des négociations pour qu’ils conservent des avantages. » Même épreuve du côté des résidents, qu’il a fallu rassurer. Si la directrice générale de l’association assure que cela « ne change rien pour eux », il faut savoir que l’association absorbante a prévu de modifier l’organisation de certains établissements. « On va concevoir des petites unités de vie et un lieu d’accueil pour les familles dans la maison d’accueil spécialisée, afin de s’éloigner de la culture sanitaire qui y règne encore. L’évolution va se faire petit à petit. »
Les équipes sont légitimement attachées à leur identité et à leurs façons de fonctionner. Une démarche de regroupement peut donc être fragilisée si les associations parties prenantes ne s’attellent pas à mettre sur papier un projet qui permette de faire émerger une identité associative commune. Ainsi, les ex-travailleurs sociaux de l’APEI Le Gîte (8 établissements du Val-d’Oise pour personnes en situation de handicap), devenus de facto salariés de l’ANAIS (88 établissements répartis dans 13 départements) à la signature de la fusion le 7 janvier dernier, vont devoir développer des échanges et des synergies avec leurs collègues de l’association absorbante pour revoir leurs modes organisationnels. « Ce sont des adaptations plus qu’une révolution », assure Pascal Bruel, directeur général de l’ANAIS, depuis son siège d’Alençon (Orne).
C’est en novembre 2014 que les administrateurs de l’APEI – anticipant les problèmes que pourrait rencontrer l’association pour faire face aux exigences de qualité désormais requises par les autorités – décident d’entreprendre des démarches de fusion avec une association solide aux valeurs communes, capable de porter leur projet. « De notre côté, nous étions en recherche de développement et de densification sur le territoire du Val-d’Oise, où nous n’avions qu’un seul établissement », se souvient Pascal Bruel. Avant de rendre sa décision, l’ANAIS réalise des audits sur les finances et le patrimoine de l’APEI. Une fois la fusion entérinée, il faut travailler avec le personnel et s’occuper de préserver le « climat social ». « Nous avons embauché un consultant pour nous accompagner et développer des outils de communication. Nous avons aussi proposé des rencontres individuelles avec les salariés et consulté les instances représentatives du personnel – avec un avis de leur part favorable à 75 % pour la fusion », détaille le directeur général.
Un bémol, cependant : tous les salariés, notamment ceux du siège social de l’APEI, ne peuvent être repris… « Côté administratif, nous avions déjà les forces nécessaires et des bureaux dans l’Orne. Côté ressources humaines et direction, nous n’étions pas en mesure de proposer des emplois équivalents. Nous avons donc accompagné ces salariés dans la suite à donner à leur parcours, notamment par une démarche de formation pour qu’ils développent leur employabilité. » Le directeur général de la nouvelle entité, qui représente désormais 2 000 salariés et 4 000 personnes accueillies, voit quant à lui ses responsabilités s’accroître. « J’ai plus de préoccupations au quotidien ! », reconnaît-il. Pascal Bruel affirme que si la fusion vient d’être finalisée, la période de « mise en œuvre » ne fait que commencer : « Il faudra bien deux à trois ans aux huit établissements pour devenir complètement “ANAIS”. »
Fusionner deux entités peut aussi donner naissance à une association hybride, avec son identité propre. C’est le cas pour Enfance & Pluriel, issu du regroupement de l’ACGESSMS (Association chinonaise de gestion d’établissements et de services sociaux et médico-sociaux) et de la structure tourangelle l’Eveil. L’association regroupe désormais 11 établissements et services destinés à des jeunes soit en difficulté et relevant d’un accueil en ITEP (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique), soit en situation de handicap et accueillis en IME (institut médico-éducatif). Six années de partenariat, y compris l’étape du groupement de coopération, ont permis de réaliser cette fusion. Le directeur général d’Enfance & Pluriel, Steven Beurel, dirigeait l’Eveil au moment de la fusion, en 2014, et avait été recruté dans cette logique de recomposition de l’offre. Il se souvient que les deux associations ont ressenti dès la fin des années 2000 le besoin de se rapprocher – « pour déployer leur activité pour l’une et pour résoudre des problèmes récurrents de gouvernance pour l’autre ». Il ajoute : « Pendant les six années de coconstruction, nous avons réalisé des investissements communs, les équipes se sont rencontrées et ont travaillé sur le parcours des usagers, des complémentarités ont été trouvées. » Il ne fallait pas attendre, selon lui, que la fusion soit finalisée pour travailler sur les statuts, composer le nouveau conseil d’administration ou trouver un nouveau nom symbolisant la nouvelle vision du travail. Les atouts de cette fusion ? « Nous sommes montés en compétences logistiques et techniques. Nous avons un siège, à Chinon, qui a les moyens d’employer des agents pour s’occuper de l’accessibilité, de la sécurité, de la qualité, etc. » Si bien qu’Enfance & Pluriel est devenue attractive dans l’hypothèse d’autres rapprochements… « L’objectif n’est pas de grossir, mais de passer une étape de maturation », assure Steven Beurel.
Depuis le 1er janvier dernier, l’association intermédiaire Travail et Partage, implantée à Troyes (Aube), a été absorbée par Boutique Boulot (250 salariés en insertion pour 50 000 heures par an de travaux auprès de particuliers, d’entreprises, de collectivités et d’associations, ainsi que 13 permanents). La petite entreprise avait beau avoir été créée la même année (1987) et sur le même territoire que sa consœur, elle n’avait pas grandi aussi vite et son activité baissait d’année en année. « Les membres du conseil d’administration avaient cherché toutes les solutions possibles et imaginables pour ne pas mettre la clé sous la porte, raconte Sonia Dumanche, directrice de Boutique Boulot. Sur les conseils du dispositif local d’accompagnement, ils nous ont approchés une première fois en février 2015. Notre bureau a étudié la question. Etions-nous en capacité de faire cette fusion ? Y avait-il des dettes ? Des permanents à reprendre ? La Direccte [direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi] nous donnerait-elle notre agrément ? »
Les comptes étaient sains, et Boutique Boulot n’avait à reprendre que le personnel en insertion, qui se comptait sur les doigts des mains, et une centaine d’utilisateurs. « La fusion était donc simple et nous permettait de grossir un peu sans écraser nos équipes sous une nouvelle charge de travail. Mais nous avons quand même préféré être accompagnés par un cabinet spécialisé dans les fusions-absorptions. » Sonia Dumanche a également reçu l’ensemble des personnels en insertion et a envoyé un courrier aux utilisateurs. « De chaque côté, il y avait forcément des doutes. On a été là pour leur assurer que, certes, une page se tournait, mais que l’on travaillerait dans la continuité. »
Consultante au cabinet de conseil Soc & Sol, Amélie Bichet-Minaro vient d’accompagner la fusion d’un centre social et d’une maison pour tous en Champagne-Ardenne ainsi que celle de deux associations intermédiaires troyennes. Aux structures en difficulté qui y voient un moyen de conserver leur activité, elle prodigue un premier conseil : ne pas attendre de se sentir acculé. « Le regroupement ne doit pas être la dernière solution, mais la bonne. On réfléchit de façon plus intelligente quand on n’est pas pris à la gorge ! » Surtout, ajoute-t-elle, avant tout regroupement, il faut « prendre le temps ». « C’est un processus qui nécessite de bien se connaître. S’y prendre en amont permet de faire une analyse économique et financière fine de la situation de chaque association, mais aussi de contractualiser les choses de façon très claire. Se dire “on fusionne et on verra bien”, c’est courir à l’échec. » Par ailleurs, pour préserver le climat social, « il faut informer, vérifier que tous les salariés ont compris le pourquoi de la fusion et y mettre du sens », assène la consultante. Elle poursuit : « Certes, le travail d’accompagnement consiste en des tâches très techniques, comme l’élaboration du traité de fusion et l’analyse économique et financière, mais les temps de discussion sont aussi importants. » Elle organise ainsi des comités de pilotage avec les conseils d’administration et rencontre plusieurs fois les salariés pour répondre à leurs interrogations, qui mûrissent au fil de la démarche. L’emploi est au cœur de sa réflexion. « Dans les fusions que j’ai accompagnées, on était plutôt à masse salariale constante. Mais se pose forcément la question des cadres : on peut se retrouver dans le nouvel organigramme avec un directeur “en trop”. S’interroger sur son avenir, ses projets, est un point de vigilance pour une fusion réussie. La plupart du temps, ça se passe sans heurts. »