Cinq mois… C’est le délai record, de juillet à décembre 2015, dont a disposé l’EPDSAE (Etablissement public départemental pour soutenir, accompagner, éduquer), à Lille, afin de préparer son premier CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens). « A travers cet exemple, le conseil départemental souhaitait inciter le secteur à se lancer dans la démarche », explique Frédéric Vion, directeur général, à la tête des 16 ESSMS (établissements et services sociaux et médico-sociaux) de l’organisation. Mais un autre facteur est sans doute venu accélérer le calendrier : le plan de 100 millions d’euros d’économies décidé par l’exécutif départemental. Lequel se traduit, dans ce CPOM, par un budget en baisse de 15 %, soit 11 millions d’euros sur trois ans – « dont 4 millions résulteront d’économies de gestion et 7 millions, de la transformation de l’offre », pointe Frédéric Vion. Avant de détailler : « Par exemple, la réduction du nombre de places en maison d’enfants profitera au développement de l’accompagnement à domicile. Et les jeunes majeurs seront accompagnés vers le logement autonome plutôt que de rester en établissement. Il s’agit de comprendre que la réduction du coût coïncide avec l’amélioration du service rendu. » Le message passe encore difficilement auprès des équipes, reconnaît le directeur général : « Certains services vont fermer. Nous allons accompagner les salariés afin qu’ils comprennent qu’il est surtout question de recomposer l’offre, au bénéfice des usagers et en cohérence avec les valeurs de l’établissement. »
Voilà résumées toutes les ambiguïtés du CPOM. A sa création en 2002, l’outil était vanté comme un instrument souple, moderne, permettant de rénover le dialogue de gestion et d’améliorer la visibilité des gestionnaires d’ESSMS. Mais l’engouement n’a pas résisté au tarissement des ressources. Et l’outil de régulation négociée a rapidement été soupçonné de ne servir que des objectifs d’économies. Conséquence ? A la fin 2014, seuls 16 % des ESSMS étaient couverts par un CPOM(1). Avec d’impressionnantes disparités entre les différents secteurs : un tiers des structures pour enfants et adultes handicapés, contre 1,72 % de celles du champ des personnes âgées. « Beaucoup d’EHPAD [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] sont des mono-établissements. Dès lors, l’un des principaux avantages du CPOM, qui est de globaliser la dotation, perd de son intérêt, commente Thierry Couvert-Leroy, directeur de l’animation de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux). De plus, la préparation et la négociation d’un CPOM constituent un travail intense et exigeant. Toutes les petites structures n’ont pas les ressources suffisantes pour s’y confronter. » Le secteur AHI (accueil, hébergement et insertion) a également accueilli l’outil avec tiédeur, remarque Arthur Anane, directeur général de La Rose des vents, à Meaux (Seine-et-Marne) : « La plupart de nos activités sont financées via des subventions, et pas toujours à la hauteur des besoins. De ce fait, beaucoup de gestionnaires sont réticents à l’idée de graver dans le marbre des financements fragiles. »
Et si, au contraire, la pluriannualité permettait d’obtenir une forme d’engagement de la part de l’administration ? C’est le pari qu’a fait La Rose des vents en concluant l’an dernier un CPOM avec la DDCS (direction départementale de la cohésion sociale) et la DRIHL (direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement) sur quatre de ses cinq pôles. « Les grands axes qui structurent le contrat – gestion optimisée, développement de réponses adaptées aux besoins des personnes vulnérables, déploiement d’une politique de ressources humaines – ne sont plus seulement des objectifs associatifs, pose Arthur Anane. Ce sont désormais des objectifs partagés avec les financeurs. » Dès la première année d’exécution, la DDCS a ainsi accepté d’augmenter la subvention versée au titre du 115, permettant l’embauche de personnels supplémentaires. « L’amélioration du taux de décroché figurait parmi les objectifs opérationnels inscrits au contrat », précise le directeur général.
Entrés volontairement dans la démarche, les pionniers du CPOM louent volontiers ses effets sur la qualité du dialogue avec les financeurs ou la liberté de gestion qu’il confère. Reste que la contractualisation ne protège pas des mauvaises surprises. En particulier, les tarifs ne sont pas opposables. Laissant les opérateurs démunis face à des financeurs libres de raboter des dotations pourtant négociées. « Le CPOM est un contrat exorbitant de droit public », résume Thierry Couvert-Leroy, qui dénonce des « coups de canif » dans la relation contractuelle. Le dernier, et non des moindres, étant l’obligation pour les EHPAD de rentrer en CPOM à partir du 1er janvier 2017, créée par l’article 58 de la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Une obligation assortie d’une sanction pour les structures qui refuseraient de signer ou de renouveler un CPOM – « alors que les retards sur les conventions tripartites incombent la plupart du temps aux administrations », pointe Thierry Couvert-Leroy. « En passant de l’incitatif au coercitif, l’Etat envoie des messages assez paradoxaux », conclut-il, tout en espérant que les textes réglementaires, dont la publication est prévue pour septembre prochain, permettront de rétablir l’équilibre.
• Loi 2002-2 : création du CPOM, introduit à l’article L. 313-11 du CASF (code de l’action sociale et des familles)
• Décret du 22 octobre 2003 (art. modifiés314-39 à modifiés314-43 du CASF) : pluriannualité des financements sur cinq ans maximum, exonération de la procédure budgétaire contradictoire, liberté accrue dans l’affectation des résultats
• Décret du 7 avril 2006 (modifiés314-43-1 du CASF) : conclusion d’un CPOM pour plusieurs établissements et services relevant du même gestionnaire, fongibilité des crédits dans le périmètre du contrat
• Circulaire DGCS du 25 juillet 2003 : méthodologie de négociation et d’élaboration ainsi que du suivi de l’exécution du contrat