L’adoption définitive, le 1er mars, de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant(1), portée par la sénatrice Michelle Meunier (PS) et l’ex-sénatrice Muguette Dini (UDI), est susceptible de donner tout son sens à la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, se félicitent plusieurs réseaux associatifs de protection de l’enfance. Même si le parcours laborieux du texte, qui avait été déposé au Parlement en septembre 2014, en dit long sur les crispations qui ont opposé les deux chambres. Sujet de discorde notamment : la création du Conseil national de la protection de l’enfance, perçue par les sénateurs comme une reprise en main par l’Etat d’une compétence départementale.
La sécurisation du parcours de l’enfant, le renforcement des coopérations et du pilotage national font partie des ambitions du texte. « Fort heureusement, l’Assemblée nationale a eu le dernier mot et a ainsi pu intégrer un certain nombre de dispositions qui avaient été supprimées au Sénat, se rapprochant ainsi de l’esprit du texte initial », approuve la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), qualifiant cette issue législative de « victoire tardive ». La loi « renforce l’organisation de la protection de l’enfance au niveau national et sur les territoires, l’accompagnement des enfants, des familles et des jeunes majeurs, sécurise l’adoption simple, reconnaît l’inceste… », relève l’organisation. La nouvelle définition de la protection de l’enfance « énonce, de manière plus affirmée, la prise en compte des besoins fondamentaux et du respect des droits de l’enfant, la prévention en tant que partie intégrante de la protection de l’enfance et le nécessaire appui sur les ressources de l’environnement de l’enfant », ajoute-t-elle. Si le texte se situe dans le prolongement de la réforme du 5 mars 2007, « plus encore, [il] fait évoluer le dispositif pour répondre aux disparités territoriales », souligne Fabienne Quiriau, directrice générale de la CNAPE, qui a porté la réforme de 2007 au cabinet de Philippe Bas. L’organisation, qui rappelle avoir inspiré plusieurs amendements et se dit « vigilante et mobilisée » pour accompagner la mise en œuvre de la loi, et plus globalement la feuille de route pour la protection de l’enfance de la ministre, se félicite de la création du Conseil national de la protection de l’enfance qui, sans remettre en cause les compétences des conseils départementaux, « devra veiller au cap que donne la loi ». Autres avancées majeures, souligne-t-elle : la redéfinition et la généralisation du « projet pour l’enfant » et les dispositions sur l’accompagnement des jeunes majeurs sortant des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance (signature d’un protocole départemental, entretien un an avant la majorité pour préparer l’accès à l’autonomie, accompagnement pour terminer l’année scolaire ou universitaire engagée).Même si, nuance-t-elle, des efforts importants doivent être faits pour surmonter les obstacles que constituent l’isolement, l’absence de ressources, de logement et les difficultés d’accès à l’emploi.
C’est aussi la position de la fondation Action enfance(2). L’accompagnement des jeunes majeurs ne devra pas se résumer « au financement du gîte et du couvert (bourses, minima sociaux, etc.) », remarque ainsi Marc Chabant, directeur éducatif de la fondation, soulignant que, « mal accompagnés, ces jeunes se retrouvent alors en situation de risques multiples lors d’une fin de placement brutale : décrochage scolaire, angoisses multiples générant des troubles psychologiques et marginalisations en tout genre ». Pour l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), l’accompagnement vers l’autonomie « nécessite un travail de fond sur l’ensemble des dispositifs ». Il faut que « tout soit mis en œuvre pendant la prise en charge pour donner une armature suffisante au jeune, ou un dispositif de soutien à la sortie », défend Jean-Marie Vauchez, président de l’ONES. Autrement dit, l’accès à l’autonomie sera d’autant plus difficile que « les choses sont mal travaillées avant. Or on ne fait pas le même accompagnement avec un groupe de 14 gamins qu’avec un groupe de sept ! », relève-t-il, faisant référence aux restrictions budgétaires subies par les associations dans plusieurs départements, dans un contexte financier tendu, voire de crise (voir ce numéro, page 14). « Tandis qu’une loi essaie d’ajuster les dispositifs par le haut, ceux-ci connaissent par le bas des coupes claires, sans projet derrière », déplore Jean-Marie Vauchez. Pendant l’examen parlementaire de la proposition de loi, l’Assemblée des départements de France (ADF), tout en approuvant ses objectifs, s’était d’ailleurs inquiétée des « charges nouvelles qui pèseront sur les services départementaux de protection de l’enfance ». L’Association de directeurs, cadres de direction et certifiés de l’EHESP (ADC) regrette pour sa part que la loi « ne prévoie à aucun moment de réguler les écarts de moyens alloués aux établissements pour la prise en charge des enfants ». Elle indique observer « parfois que les départements qui ont le moins de moyens sont ceux-là mêmes qui ont le plus de besoins et vice et versa ».
Tout en se réjouissant de l’adoption de la loi, la Fondation des Apprentis d’Auteuil « alerte sur les risques de stigmatisation des parents ». Elle regrette en particulier que le texte prévoie le versement de l’allocation de rentrée scolaire sur un compte bloqué à la Caisse des dépôts, afin que le jeune bénéficie d’un pécule à sa majorité. « Cette mesure prive les parents de leur rôle éducatif et ne peut être perçue par eux que de façon stigmatisante », selon André Altmeyer, directeur général adjoint des Apprentis d’Auteuil. La fondation s’inquiète par ailleurs des « risques de développement de l’adoption simple de l’enfant comme alternative à un placement long ». Une orientation qui serait « en contradiction avec la loi de 2007 qui rappelle que les parents sont “les détenteurs, même absents, de l’autorité parentale” », fait-elle valoir. « D’autres pistes, comme les lieux de vie et d’accueil ou les familles d’accueil ont prouvé leur efficacité. Les parents continuent d’exister pour ces enfants, même quand leur présence auprès d’eux est rare et/ou douloureuse. Le principe même d’une double filiation est à notre sens tout à fait illusoire[3]. »
Cette crainte renvoie à la vieille opposition entre deux conceptions du système de protection de l’enfance, l’une jugeant qu’à trop favoriser les placements, il détruit les liens familiaux, l’autre estimant que trop vouloir les éviter ne permet pas la protection de l’enfant. L’intention affichée par le gouvernement de vouloir se départir d’une approche trop « familialiste » avait été diversement accueillie. ADC s’en félicite, « après les années où le droit des familles pouvait primer sur l’intérêt de l’enfant ». La fondation Action enfance estime précisément que la loi permet de garantir « aux enfants placés dont le retour en famille n’est pas envisageable les conditions d’une enfance plus stable qui facilite leur insertion dans la société, leur entrée dans l’âge adulte ». Mais cette intention avait inquiété d’autres acteurs, qui y ont vu une incitation à faciliter l’adoption, au détriment de l’accompagnement des parents(4). L’ONES avait dès le début exprimé ses craintes. « A nos yeux cette opposition n’est pas justifiée, explique Jean-Marie Vauchez, car il faut équilibrer les deux doctrines sachant que, dans la majorité des cas, les enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance retourneront dans leur milieu familial. » Au final, considère-t-il, même si « l’inquiétude subsiste, depuis le début de la consultation les évolutions ont été présentées de façon moins binaire ».
De son côté, Défense des enfants International (DEI)-France indique vouloir surveiller de près les conséquences de la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental (qui remplace la déclaration judiciaire d’abandon) et la disposition prévoyant l’examen de la situation des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus de un an « lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins ». « Il faut autant que possible rétablir les capacités éducatives de la famille », insiste Sophie Graillat, présidente de DEI-France, reconnaissant néanmoins que le texte tient compte de l’environnement familial de l’enfant. La loi précise que la demande en déclaration de délaissement parental est transmise « après que des mesures appropriées de soutien aux parents leur ont été proposées ». Par ailleurs, l’inscription dans la loi des centres parentaux « va dans le bon sens », relève Sophie Graillat.
L’association déplore aussi que le recours aux tests osseux pour déterminer l’âge d’un mineur, même encadré (ils ne pourront être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé), soit ainsi « légalisé » par le texte au lieu d’être proscrit. Autre regret, pour DEI, « l’approche par les droits vient au second plan dans la définition de la protection de l’enfant », après la prise en compte des besoins. Le respect effectif des droits de l’enfant, ainsi que la formation des professionnels à ces droits et la promotion de la Convention internationale des droits de l’enfant, l’« accompagnement de la condition parentale », tenant compte des conditions de vie des familles et la réforme de la justice pénale des mineurs, qu’elle « souhaite voir déterrée », font partie des recommandations que l’association entendait, au sein du collectif Agir ensemble pour les droits de l’enfant, faire valoir auprès de la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes lors d’une réunion prévue le 9 mars avec plusieurs autres organisations. Objectif : organiser la mise en œuvre des observations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU. « Nous saluons la volonté du ministère, pour la première fois, de prendre au sérieux les recommandations du comité et de les mettre en œuvre », souligne Sophie Graillat.
A l’issue de la réunion, le 7 mars, du comité de suivi du dispositif de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers (désormais désignés par le ministère de la Justice par le terme de « mineurs non accompagnés ») (voir ce numéro, page 5), l’Assemblée des départements de France (ADF) a tenu à lancer un « cri d’alarme ». Alors que les discussions étaient centrées sur la clé de répartition de ces publics entre les départements, prévue dans la loi relative à la protection de l’enfant afin de donner une assise législative aux principes posés par la circulaire du 31 mai 2013 (partiellement annulée par le conseil d’Etat), l’ADF déplore « que l’on se contente de répartir la difficulté plutôt que de soulager globalement les finances départementales ». Elle juge que la proposition du ministère « ne répond en rien aux attentes des départements » qui « espéraient une meilleure prise en charge financière ». De son côté, le groupe de gauche de l’ADF (33 présidents de conseils départementaux) salue « la réactivité et la volonté dont fait preuve le garde des Sceaux en relançant la [cellule nationale créée à cet effet], indispensable, et se félicite de sa volonté d’établir une réelle transparence entre l’Etat et les départements notamment via le recensement du nombre de mineurs non accompagnés dans les départements d’ici début avril prochain ». Le groupe de gauche n’en estime pas moins « que la situation financière actuelle des départements et l’augmentation progressive des demandes de prise en charge réduit fortement leur capacité de mise en œuvre de cette politique de protection pourtant indispensable » et qu’« une solution devra être trouvée afin de leur redonner cette capacité d’action ».
(2) La fondation a, le 2 mars, publié une enquête réalisée par IPSOS, selon laquelle « 12 % des Français se déclarant malheureux ont fait l’objet de mauvais traitements par leurs parents ou leur entourage familial ».
(3) Un point de vue contesté notamment par Philippe Fabry, formateur à l’IRTS de Paris-Ile-de-France et doctorant au CREF de Nanterre – Voir ASH n° 2926 du 25-09-15, p. 38.