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Changer de paradigme sur la sexualité dans les institutions

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La sexualité des personnes en situation de handicap ne doit plus être vue comme un problème, mais comme un facteur de santé, affirme Jean-Luc Letellier, président fondateur du CRéDAVIS (Centre de recherche et d’étude sur le droit à la vie sexuelle dans le secteur médico-social)(1), qui forme les professionnels à prendre en compte cette dimension dans l’accompagnement (sur cette question, voir aussi notre reportage à la Fondation Mallet, page 14).

« Certaines directions d’établissement, confrontées à des difficultés, à des événements “indésirables”, ou encore incitées par les agences régionales de santé ou une évaluation externe, font appel au CRéDAVIS pour “former” leur personnel. Or après huit années de pratique, je n’en ai jamais vu assister à ces formations. J’ai souvent insisté pour que des cadres soient présents et il est arrivé qu’un(e) chef de service y participe ; des directeurs(trices), jamais ! On pourrait en tirer quelques conclusions hâtives : ils ne sont pas concernés, ils considèrent qu’ils n’ont rien à apprendre… Il me semble plutôt qu’ils pensent qu’il est quasi impossible de concilier une position d’autorité hiérarchique avec leur présence dans une telle formation et surtout qu’ils voient la sexualité comme “un problème” à régler – en espérant bien naïvement qu’une fois leurs équipes formées les problèmes disparaîtront. Or cette approche en termes de “problèmes” fait justement partie des présupposés qu’il faut combattre pour faire bouger les lignes. Certains directeurs répondent même à leur personnel : “Vous avez été formés, non ? Alors vous devez savoir comment faire !” A leur décharge, il y a un profond malentendu sur ce qu’on entend par “formation à la sexualité”.

Cela fait huit années que je me suis engagé dans ce passionnant travail, aussi bien auprès d’éducateurs spécialisés en formation initiale (plus de 300 étudiants à ce jour) qu’auprès de professionnels dans le cadre de la formation continue (plus de 700).

On me demande souvent ce qui m’a motivé. La réponse convenue voudrait que j’ai réalisé, après une absence de près de 30 années de ce secteur, qu’il était impossible de ne pas aborder cette question alors que tant d’étudiants ou de professionnels relataient des situations de violence, d’agression, d’absence de prise en compte de la sexualité dans les institutions. Je dis “réponse convenue” car il n’y a jamais une seule cause. Je ne l’ai pas réalisé immédiatement, mais il y a une autre raison plus profonde : j’ai été, dans le cadre familial, confronté à des attouchements paternels sur mes sœurs et plus tard sur leurs propres filles. On pourra me reprocher de faire part publiquement de choses extrêmement personnelles et intimes. Malheureusement, elles sont monnaies courantes et c’est justement l’absence d’éducation à la sexualité qui conduit les auteurs comme les victimes à subir les effets dévastateurs de ces agissements.

Une incroyable ignorance

Je commence toutes les formations que j’anime avec le rituel qui suit. Je demande au public présent, dans le plus strict anonymat, de répondre par oui ou par non sur un papier aux questions suivantes : Avez-vous été personnellement victime d’agressions sexuelles ? Avez-vous reçu le témoignage direct d’une personne ayant été victime d’agressions sexuelles ? Et je termine par “Dessinez-moi un clitoris !” Avec l’expérience, je connais (à mon grand regret) par avance les réponses. A la première question j’obtiens entre 30 et 40 % de réponses positives et à la seconde, entre 50 et 60 %. Enfin, à la demande “Dessinez-moi un clitoris”, je sais déjà que 99 % des dessins seront erronés !

Voilà la réalité avec laquelle il faut composer pour aborder cette question : la sexualité est le creuset incomparable d’une violence d’autant plus taboue qu’elle a très souvent le cadre familial comme théâtre. Eviter cette réalité vouerait à l’échec toutes tentatives de réponses sereines de professionnels aux questions pratiques que pose l’accompagnement de personnes peut-être en situation de handicap mais sûrement en situation d’êtres sexuées quel que soit leur degré de handicap. Le dessin erroné renvoie à une autre réalité : l’incroyable ignorance qui entoure la sexualité quand, par ailleurs, tout le monde parle de “cul” à longueur de journée. L’une de mes plus grandes satisfactions, c’est lorsqu’un stagiaire avoue en fin de session : “Je comprends maintenant quand tu nous disais qu’au début qu’on parle toujours de cul et jamais de sexualité.”

Après cette introduction, je commence par interroger le groupe sur ce qu’il considère comme tabou ou non en ayant pris soin de demander auparavant à chacun de se positionner entre 0 (aucun tabou) et 10. La définition du tabou étant tout simplement : ce dont on ne peut parler ! A la fin de l’exercice, chacun peut mesurer l’écart entre sa première estimation et ce qu’il en est réellement ; il y a toujours un grand écart ! Je poursuis en montrant que la notion même de sexualité est multiforme, polysémique et bien loin des représentations étroites de la plupart. J’aborde ensuite ce que j’ai mis en évidence dans mon travail de recherche sur les freins qui viennent entraver la reconnaissance de la sexualité dans notre culture et dans le cadre professionnel en espérant que leur reconnaissance les rendra un peu moins opérants.

A partir de là, il y a une grande différence entre le travail entrepris en formation continue en institution (en général sur quatre jours) et celui mené en formation initiale où je dispose de deux sessions d’une semaine séparée de un mois.

Dans le premier cas, et après avoir fait connaître les lois qui encadrent la sexualité en France, je pars toujours de situations concrètes rencontrées par les professionnels pour leur permettre de trouver d’autres façons de les appréhender, et surtout de changer de paradigme en passant de la sexualité problématique à la sexualité facteur de santé et de bien-être ; de passer de la réaction à la pro-action et également à la prévention. Comme il s’agit souvent d’un groupe restreint de volontaires, je ne me fais pas d’illusion sur l’important décalage qu’auront à vivre ces professionnels, une fois revenus à leur place quotidienne au sein de l’institution. J’ai eu la chance, à diverses reprises, de poursuivre ce travail avec la quasi-totalité des équipes d’une institution en plusieurs sessions réparties quelques fois sur plusieurs années et les résultats sont sans comparaison – même si je dois avouer que, dans le cas contraire, je n’ai pas forcément de retour à long terme. Dans le cadre de la formation continue en institution, on voit bien que le terme de “formation” n’est pas approprié en raison en grande partie du peu de temps consacré à la sexualité après des années d’obscurantisme, lié à notre culture. On devrait plutôt parler de travail de déconstruction et d’ouverture. Néanmoins, il m’est arrivé d’avoir des échos, longtemps après une intervention, qui montraient que, sous la pression des personnes accueillies et/ou dans le cadre du mouvement général de prise en compte des usagers, les choses avaient réellement évolué. L’interdiction formalisée des rapports sexuels en hébergement est, par exemple, en voie de disparition. Néanmoins des changements de pratiques aussi simples et fondamentaux que la mise à disposition de lits de 140 (aucun adulte dans la vie commune ne dort dans un lit de 90 !) restent rares.

Pour les sessions réalisées dans le cadre des formations initiales d’éducateurs spécialisés qui se déroulent sur 15 jours, je fais le pari de l’aventure pédagogique, le seul chemin pour que , moi-même, j’apprenne beaucoup sur la façon de m’y prendre ; beaucoup des exercices de ma trousse à outils m’ont été suggérés par la façon dont le groupe se saisissait de ces questions ou apportés par les étudiants eux-mêmes. Ce qui reste constant est l’importance que j’accorde à créer les conditions d’une écoute la plus sensible, la plus ouverte possible, bien loin des jugements et des certitudes que chacun a en arrivant, y compris moi-même. Il serait trop long ici de décrire toutes les découvertes pédagogiques que j’ai pu faire. Je m’en tiendrai à un exercice inventé lors d’une session et que je propose systématiquement : deux personnes (quel que soit le sexe) s’assoient à 50 cm l’une de l’autre et décrivent, uniquement avec des mots, une relation sexuelle qu’elles sont supposées en train d’avoir ensemble. On ne peut imaginer sans l’avoir vécu combien cette situation apprend à tous les participants ce qu’il en est de la réalité de notre vie sexuelle d’être humain, à savoir que nous vivons tous la même chose mais que nous la vivons de façon très différente. Cela amène tout un chacun à comprendre quelle est la seule attitude possible en face de la sexualité d’autrui, et donc de celle des personnes qu’il devra accompagner : commencer par s’interroger sur la sienne et éviter de projeter ses propres représentations sur l’autre. Réaliser aussi que la sexualité est toujours une question de relation. A soi, à l’autre, aux autres, au monde.

Question d’amour

Terminons par le témoignage d’une stagiaire. “Avant ces deux semaines je ne pensais pas que l’on pouvait parler sexualité sans en faire quelque chose de sale ! Car moi, on m’a toujours appris et dit que c’était quelque chose de sale. Finalement je ne suis pas si sale que cela ! Ces deux semaines m’ont rendue sereine et surtout… ‘propre’ ! Aujourd’hui, je peux parler de sexualité avec mes parents, mes amis, mon entourage beaucoup plus librement qu’avant et je me sens prête à écouter ce que les personnes ont à nous en dire, en tout cas à y être attentive. Merci.”

Puisque dans les métiers de l’accompagnement, le premier outil est souvent soi-même, il est préférable d’être suffisamment épanoui, satisfait, heureux même pour avoir quelques chances de donner envie à celui qu’on dit en difficulté de trouver des raisons de les dépasser.

Finalement, et le mot ne me fait pas peur, c’est d’amour qu’il est question dans ces formations, le sexe n’étant ni la cause ni la conséquence mais une des multiples façons de le vivre. Mais le temps n’est pas encore venu de proposer des formations à l’amour… »

Notes

(1) Il organise en partenariat notamment avec les ASH, les 27 et 28 avril prochain, le « Forum des pratiques innovantes » en matière de reconnaissance de la sexualité des personnes handicapées – Informations et inscriptions sur www.credavis.fr.

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