Recevoir la newsletter

« Les SIB, c’est la finance au service de la société, et non l’inverse »

Article réservé aux abonnés

SIB, pour Social Impact Bonds… Ce système de financement de dispositifs d’action sociale par des investisseurs privés commence à se diffuser dans les pays européens. L’économiste belge Thomas Dermine s’y est intéressé durant ses études à Harvard et a contribué au développement du premier SIB en Belgique. Selon lui, il ne s’agit pas d’une marchandisation de l’intervention sociale.
Comment vous êtes-vous intéressé aux Social Impact Bonds ?

Entre 2011 et 2013, j’étais étudiant-chercheur au sein de l’université de Harvard. L’un de mes professeurs travaillait pour l’administration Obama sur la question du financement de l’action sociale aux Etats-Unis. J’ai collaboré avec lui sur certains programmes et, très vite, je me suis intéressé à cette question : pourquoi les Social Impact Bonds (SIB), qui se développaient dans l’univers anglo-saxon, n’émergeaient pas dans les pays européens sociaux-démocrates, qui ont pourtant une tradition d’innovation en matière sociale ? Cela m’a amené à réfléchir à la façon d’adapter ce mécanisme aux pays européens.

Les SIB sont-ils des instruments purement financiers ?

Je trouve que ce terme porte préjudice au mécanisme en lui-même. Tout d’abord, parce qu’il ne s’agit pas de bonds – c’est-à-dire d’obligations – au sens financier du terme. Il n’y a pas création d’un instrument de type obligataire. Ensuite, ce terme évoque pour les acteurs du secteur social un instrument très anglo-saxon, avec en filigrane le risque de financiarisation et de marchandisation du social. Alors qu’en réalité il s’agit plutôt d’un mécanisme de partenariat réunissant l’Etat, des investisseurs à vocation sociale et des acteurs du secteur non marchand. A Bruxelles, pour éviter cet écueil, nous n’avons jamais mentionné les SIB. Nous avons appelé notre projet « Garantie financière pour l’innovation sociale ».

Comment fonctionnent les SIB ?

Ils sont nés du constat que toute une série de problématiques sociales – la réinsertion des détenus ou encore le chômage des jeunes – représentent, au-delà de leurs conséquences sociales catastrophiques, un coût important pour l’Etat. Une personne qui retourne en prison, en Belgique, c’est environ 100 € par jour. Avec les SIB, des investisseurs privés préfinancent des interventions innovantes pour répondre à ces problématiques. Ce financement dure de trois à cinq ans. Un contrat est établi avec la puissance publique, précisant les critères d’évaluation du dispositif. Par exemple, concernant les sortants de prison, on sait que le taux de récidive moyen est de 50 %. Si, au terme du temps imparti, il a baissé de 10 %, la puissance publique aura réalisé une économie, et une partie de celle-ci servira à rembourser les investisseurs plus un intérêt marginal couvrant le coût du capital investi. L’Etat peut alors reprendre la main pour étendre le programme. A l’inverse, si le modèle ne marche pas, l’investisseur perd toute sa mise. Le système des SIB comporte classiquement plusieurs acteurs : l’organisme porteur du projet, un intermédiaire financier, des investisseurs, un évaluateur et la puissance publique. Mais en Belgique, et sans doute aussi en France, on peut se passer de l’intermédiaire financier.

Comment avez-vous conçu le premier SIB en Belgique ?

A mon retour des Etats-Unis, en 2013, j’ai travaillé avec le gouvernement de la région de Bruxelles et l’équivalent belge de Pôle emploi sur la question de la remise à l’emploi des jeunes d’origine immigrée. Dans certaines communautés, leur taux de chômage dépasse les 60 %. Nous avons identifié deux porteurs de projets qui avaient développé des programmes de monitoring intergénérationnel et interculturel. L’idée était que si les jeunes immigrés ne trouvaient pas d’emploi, c’est d’abord parce qu’ils manquaient de capital social. Ils n’ont pas le bon code et ne savent pas à quelle porte frapper. Il s’agissait de faire accompagner chacun de ces jeunes par un préretraité ou un retraité qui travaillait dans le même domaine d’activité. Celui-ci transfère sa connaissance du secteur au jeune pour l’aider dans sa recherche d’emploi. Nous avons proposé à ces acteurs sociaux, qui ne trouvaient pas de fonds publics, de les financer pendant trois ans grâce à des investisseurs et à des fondations. Au terme de cette durée, nous mesurerons l’efficacité du dispositif en comparant ses résultats avec ceux d’un public aux caractéristiques comparables, mais qui n’aura pas bénéficié d’un tel accompagnement.

Quelles sont les motivations des investisseurs ?

Ce sont plutôt des philanthropes, ils ne sont pas là pour faire du rendement financier. Pour faire de l’argent, il existe des outils plus efficaces que les SIB. Pour eux, c’est plutôt une façon de travailler main dans la main avec la puissance publique afin d’aider à identifier des initiatives qui marchent. Si le système fonctionne, ils peuvent recycler leur argent dans d’autres projets, mais si ça ne marche pas, ils perdent tout. En termes financiers, le rendement ne compense certainement pas le risque pris sur l’investissement. La motivation sociale est donc première. Les SIB, c’est la finance au service de la société, et non l’inverse.

Avez-vous déjà des retombées de ce dispositif ?

Les premiers chiffres sont très encourageants en termes de retour à l’emploi, mais nous devons encore les corriger par rapport au groupe de contrôle. Ce sera pour le début de l’année prochaine. Néanmoins, d’ores et déjà, il semble que les porteurs de projets aient eu raison lorsqu’ils affirmaient que ce n’est pas la motivation qui freine l’accès à l’emploi des jeunes d’origine immigrée, mais bien l’absence d’un capital social et de réseaux au sein de la société. Par ailleurs, ce système permet de recréer du lien intergénérationnel et interculturel entre des jeunes et des personnes plus âgées. Il aide à faire tomber les préjugés des uns et des autres.

En France, le secteur associatif se montre réticent à ce que des investisseurs privés financent des dispositifs d’action sociale. Ces craintes vous paraissent-elles fondées ?

Il me semble qu’il existe deux conceptions différentes. Tout d’abord, une vision un peu romantique issue des Trente Glorieuses, dans laquelle l’Etat devrait et pourrait tout financer. Je souscris à 100 % à cette vision idéale des choses. Néanmoins, il y a une autre vision, plus pragmatique, dans laquelle un mécanisme tel que les SIB peut s’inscrire car, aujourd’hui, l’Etat ne peut pas tout faire et le secteur privé est en capacité d’aider à financer certaines actions, notamment en identifiant des projets porteurs et innovants. Tout est dans la façon de présenter les choses. Si l’on explique aux acteurs sociaux que l’on va développer des SIB importés des Etats-Unis afin de privatiser l’action sociale, cela va évidemment les effrayer. Pourtant, j’insiste, il ne s’agit en aucun cas d’un financement pérenne de l’action sociale. Ce système ne finance que des expérimentations à petite échelle.

Existe-t-il un risque de revente des créances par les investisseurs, créant ainsi une forme de produit dérivé ?

Encore une fois, il faut être pragmatique. L’ensemble des SIB rassemble, au maximum, entre 300 et 400 millions d’euros de capital-risque au niveau mondial. Cela paraît énorme, mais ce n’est rien à l’échelle globale de la finance. Pour l’Europe continentale, à l’heure actuelle, c’est moins de 10 millions d’euros. C’est donc encore très artisanal, et il n’y a aucune possibilité de titrisation pour un investisseur ou même un particulier qui voudrait revendre sa créance afin de spéculer sur les marchés. Je n’ai aucune crainte en ce sens.

Comment faire pour développer ce type d’outil en Europe occidentale ?

Il faut être prudent et respecter un certain nombre de conditions. La première consiste à travailler sur des problématiques sociales en panne d’innovation, pour lesquelles les chiffres évoluent peu sur le temps long. Si l’on parvient à trouver une solution à ces problématiques, cela permettra à l’Etat de faire des économies. Une autre condition est que les projets doivent être mesurables par des variables quantitatives simples. Il existe, en effet, toute une série de problématiques pour lesquelles il est impossible de mesurer statistiquement le succès de l’intervention. Le travail social est qualitatif par essence, et en introduisant des variables quantitatives, on risque de le dénaturer. Enfin, dernière condition, le travail d’évaluation doit être fait de manière sérieuse par des personnes compétentes. En Belgique, par exemple, c’est un centre de recherche académique qui joue ce rôle.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

L’économiste belge Thomas Dermine a piloté de 2011 à 2013 des travaux de recherche sur les mécanismes alternatifs de financement de l’économie sociale au sein de la Harvard Kennedy School (Massachusetts, Etats-Unis). Au début 2014, il a coordonné un partenariat entre le gouvernement belge et des investisseurs privés portant sur l’émission de la première obligation à impact social en Belgique.

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur