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Réhabiliter le « travail des émotions »

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L’étude plaide pour que soit mieux prise en compte la dimension émotionnelle du travail des intervenants socio-éducatifs. Un pavé dans la mare ?

En s’intéressant au « travail émotionnel » des équipes socio-éducatives(1), la recherche de l’Espass-IREIS brise un tabou : bien qu’elle soit disqualifiée par l’institution qui préconise le contrôle des affects, la dimension émotionnelle du travail (engagement de soi, surimplication…) occupe une place centrale dans la prise en charge des jeunes « incasables » en tant que levier d’action et source d’inventivité. Derrière la neutralité affective valorisée par la profession comme la part experte du métier, l’étude met en évidence les « ressorts émotionnels » qui en « forment la part invisible et informelle ». De fait, les professionnels sont nombreux à reconnaître leur implication affective dans la prise en charge de mineurs, qui semblent « dotés d’une incroyable faculté à les “toucher” et à activer chez eux des logiques de surrengagement ». A l’instar de cet éducateur qui, contre toutes ses habitudes, autorise le jeune Ismaël à l’appeler pendant le week-end.

Comme le montre la sociologue Catherine Lenzi, ce sont souvent les séquences critiques (un moment de rupture dans l’hébergement, par exemple) qui exacerbent l’implication affective. « Plus le lien institutionnel se distend, plus le lien émotionnel s’intensifie. » Pour autant, « les dépassements émotionnels dont il est question, même s’ils sont souvent nécessaires pour apaiser le mineur et le rassurer, interrogent les intervenants et leur confèrent le sentiment de perdre le contrôle de soi au point d’agir de façon irrationnelle, sous-entendu, non professionnelle ». Ce que décrit bien l’ancienne éducatrice de Kalissa, que cette dernière appelle régulièrement lorsqu’elle vit un moment de crise : « Elle me dit qu’elle va se suicider, que c’est trop compliqué, qu’elle n’arrivera pas à avancer […] C’est envahissant et […] un peu compliqué, parce que […] je ne sais pas si elle m’appelle en tant qu’éducatrice, ou si elle m’appelle en tant que personne. »

Circonvenir à la règle de « la bonne distance » en vigueur dans le champ du travail social place le professionnel en porte-à-faux par rapport à « deux systèmes de valeurs. L’un, qui renvoie à des valeurs tacites, informelles et personnelles, qui autorisent l’expression des émotions dans la rencontre avec le mineur, essentiellement dans des espaces interstitiels et à la frontière du public-privé, là où elles ne sont pas sanctionnées car invisibles. L’autre, qui renvoie à un éthos professionnel construit sur un “contrôle des émotions” ». C’est ainsi que les intervenants socio-éducatifs doivent en permanence « dissimuler l’expression de l’affectivité, pourtant au cœur de leur métier, au risque de se voir rejetés, voire exclus par leurs pairs ».

Or, pour Catherine Lenzi, la négation des émotions dans la prise en charge de ces jeunes empêche le champ socio-éducatif d’être reconnu comme faisant partie des métiers du « care » au même titre que d’autres professions qui « confrontent les individus à la singularité du matériau humain ». Comme l’accompagnement des mineurs difficiles suppose « une activité de soin et de soutien affectif […] qui fait appel aux ressources intimes et personnelles de l’intervenant », ce pourrait pourtant être, selon elle, un levier pour défendre l’autonomie professionnelle des intervenants. Encore faudrait-il que ces « ressources invisibles et subjectives, indispensables à la perception et à la réception de l’autre dans la construction du lien de confiance et de la relation éducative », soient repérées, nommées et reconnues par l’institution, ce qui est rarement le cas.

Notes

(1) Auquel est consacré le chapitre 5 intitulé « Les paradoxes du travail émotionnel dans l’accompagnement des mineurs difficiles ».

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