Le projet(1) est parti du constat que le travail social n’est pas encore une discipline en France et de la volonté de contourner les blocages l’empêchant de disposer, comme dans la quasi-totalité des autres pays, d’outils académiques lui permettant d’être développé de manière scientifique. L’enjeu est de permettre à des doctorants de travailler en toute légitimité l’« objet » travail social, sans le travestir en se soumettant à d’autres paradigmes scientifiques. L’expérience des Portugais est intéressante car, face aux résistances qu’ils ont eux-mêmes connues, ils ont codirigé leurs premières thèses en travail social avec le Brésil et ont ainsi pu apporter la preuve de leur intérêt. Il s’agit de prendre le même chemin en France, dans la perspective de créer un doctorat en travail social.
Il permet aux doctorants d’être inscrits à la fois à l’IRTS de Paris Ile-de-France et à l’ISCTE-IUL et d’être suivis par un enseignant portugais et un enseignant français habilité à diriger des recherches. La thèse et la soutenance sont en français. Le doctorat, coproduit par l’IRTS et l’université portugaise, sera reconnu en France, en travail social si ce champ est entre-temps admis comme une discipline, ou, s’il ne l’est pas, en sociologie et politiques publiques, qui est le département de rattachement du programme doctoral à l’ISCTE. Quatre doctorants sont actuellement inscrits, chacun ayant été directement admis en deuxième année au titre de la reconnaissance de leur expérience. Deux autres seront admis dès septembre 2016.
Le fait de reconnaître le travail social comme une discipline est une révolution scientifique qui ouvre à une conceptualisation et à une méthodologie propres, mais aussi à une communauté scientifique à l’échelle mondiale. Cette science est mise au service d’une profession, de son efficacité et de son éthique : l’objectif est de renforcer les dispositifs, puisque le travail social est institutionnalisé, mais la finalité est l’émancipation des êtres humains, la contribution au combat pour les droits de l’Homme. On passe par une dimension technique pour arriver, non pas à de l’ingénierie, mais à une dimension politique. Une autre caractéristique épistémologique est de bâtir le projet de recherche à partir d’un problème professionnel, pour construire la problématique, au lieu de partir de cette dernière et d’avancer des concepts au préalable. Un projet de thèse peut donc porter sur une recherche-action et l’ethnographie professionnelle, qui repose sur un binôme professionnel-chercheur, est par exemple un outil privilégié.
Les établissements de formation en travail social n’ayant pas de prérogative institutionnelle pour produire des doctorats, cette école sera forcément arrimée à un laboratoire de recherche existant, ce qui maintiendra les blocages actuels pour reconnaître la science du travail social. Par l’expérience, nous espérons lever ces freins de l’intérieur dans la perspective d’une coproduction avec l’université, pour favoriser une « académisation » de notre appareil de formation, au profit du maintien de la dimension professionnelle, qu’une stricte « universitarisation » ne faciliterait pas.
L’IRTS du Languedoc-Roussillon vient d’intégrer le protocole pour diriger des étudiants à partir de septembre 2016, et nous avons le projet de coopérer avec des universités d’autres pays, comme le Brésil, pour renforcer notre équipe de directeurs de thèse. En 2017, nous envisageons de lancer une bourse doctorale soutenue par une fondation. Une évolution du protocole est par ailleurs à l’étude pour que l’ISCTE-IUL décentralise à l’IRTS Paris Ile-de-France un séminaire ouvert de méthodologie avancée de recherche en travail social, qui validera des ECTS.
(1) Il a été présenté par l’IRTS de Paris Ile-de-France et IRIS Formation – qui sont les membres fondateurs du GR1 (rejoints depuis par l’Ecole normale sociale et Initiatives), groupement intégré à la plateforme Unaforis Ile-de-France – lors des journées de valorisation de la recherche de l’Unaforis de décembre dernier.