L’homme piège

Le jour où Morgane Seliman sonne enfin à la porte de l’association Du côté des femmes, elle vit un grand bouleversement. « Quand je me confie à l’assistante sociale, à la psy de l’association, je ne sens aucun jugement dans leur regard. Elles ne me demandent pas : “Mais pourquoi vous ne partez pas ?”, avec l’air à la fois interrogatif et agacé qu’ont certaines personnes. Elles savent ce qui se passe, elles connaissent les tenants et les aboutissants de telles situations. » Morgane Seliman est battue, harcelée, martyrisée depuis des années par son conjoint, le père de son petit Bilal. Pour Yassine, Morgane ne fait jamais rien assez bien : il reste de la poussière sur les meubles ? Des coups de pieds. Les œufs au plat sont ratés ? Des coups de poing. La « grosse » ne lui apporte pas son gel douche assez vite ? Des menaces de mort. La jeune femme est sous son emprise. Elle est le punching-ball qui permet à Yassine de se défouler. Triste et banale histoire de violences faites aux femmes.

Si Morgane ne part pas, c’est qu’elle ne le peut pas : à chaque fois qu’elle a essayé, Yassine l’a retrouvée. Pourquoi elle se tait ? Yassine lui fait peur, certes, mais elle a aussi l’intime conviction qu’elle peut réussir à le changer. Dans le livre Il ma volé ma vie, rédigé alors qu’elle a enfin réussi à s’en éloigner – au prix fort, puisqu’elle doit se cacher dans un refuge pour femmes battues géré par l’association SOS violences conjugales, dont l’adresse est secrète –, elle relate sa rencontre avec Yassine et le piège qui s’est refermé peu à peu sur elle. Cet homme qui se croit tout puissant, qui brave les interdictions et parvient à manipuler jusqu’au maton de sa prison – « c’est terrifiant de se savoir à la merci d’un homme que rien n’arrête », note-t-elle. Morgane Seliman raconte aussi la difficulté qu’elle a eue à se faire entendre par la police – qui lui conseillait tout bonnement de changer les serrures de chez elle quand elle avait besoin de véritable protection – et son stress post-traumatique.