Alors que l’exécution de l’arrêté d’expulsion des occupants de la partie sud de la « jungle » de Calais était, le 24 février, suspendue à la décision du tribunal administratif de Lille, saisi en référé par 250 migrants et dix associations, les appels du secteur associatif et de personnalités continuaient à se multiplier pour amener l’Etat à revoir sa position. Les autorités, qui ont annoncé cette évacuation partielle le 12 février, ont pour objectif, à terme, d’« arriver à 2 000 migrants » au total dans la jungle, où survivent aujourd’hui environ 4 000 personnes selon les services de l’Etat, a rapporté l’AFP. La préfecture estime à entre 800 et 1 000 personnes le nombre de personnes campant dans la zone sud, contre 3 450 pour les associations.
Dans un courrier adressé le 18 février au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, huit organisations – ATD quart monde, le CCFD Terre solidaire, la Cimade, Emmaüs France, la FNARS, Médecins du monde, le Secours catholique et le Secours islamique France – avaient publiquement fait état de leur opposition au projet d’évacuation partielle du campement, considérant les solutions proposées comme inacceptables, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Pointés du doigt : les conditions de vie dans le centre d’accueil provisoire – des conteneurs aménagés – ouvert en janvier dans le campement (le 23 février, l’Etat avançait le chiffre de 300 places disponibles sur un total de 1 500), ainsi que le fonctionnement des 102 centres d’accueil et d’orientation (CAO) ouverts dans plusieurs régions, vers lesquels la préfecture compte également diriger les occupants du bidonville. Les associations dressent une longue liste de failles : « absence de comité de pilotage national, coordination locale entre services publics, élus locaux, opérateurs, associations tâtonnante ou inexistante, absence d’évaluation sanitaire et sociale et non-prise en compte des besoins des exilés avant leur orientation vers les CAO, manque d’information ou désinformation des exilés sur le fonctionnement des CAO créant des situations d’échec et de retour vers la lande, faible application de la possibilité d’admission vers l’Angleterre, orientation de mineurs isolés étrangers, etc. ». Autant de difficultés qui nuisent, selon elles, à l’accomplissement des missions des CAO, qui ont aussi vocation à aider les migrants à s’orienter vers une demande d’asile. Les associations regrettent par ailleurs que les services de l’Etat n’aient « pas fait le nécessaire pour prendre les mesures de recensement et d’examen des situations qui permettent la saisine des autorités britanniques afin que les exilés y ayant des proches puissent y accéder en utilisant les voies légales existantes ». Autant de critiques que le ministre de l’Intérieur, promettant de son côté une évacuation « de façon progressive, dans le respect des personnes », a tenté de réfuter dans une réponse rendue publique le 18 février (voir ce numéro, page 10).
Reste que, au-delà des conditions à réunir pour éviter d’aggraver et de déplacer ailleurs le problème de la « jungle » – des hébergements en nombre suffisant et une prise en charge individuelle adaptée, demandent les associations –, la situation alarmante des mineurs isolés demeure. Celle-ci concerne d’ailleurs d’autres campements, comme celui de Grande-Synthe. La question, qui a commencé à entraîner des recours juridiques devant le tribunal administratif(1), a suscité une réaction de la défenseure des enfants, qui s’est prononcée le 22 février pour « la création urgente d’un dispositif de mise à l’abri des enfants concernés ». France terre d’asile déclare avoir recensé dans le bidonville de Calais 326 mineurs, dont 57 de moins de 15 ans, principalement de nationalité afghane, syrienne, égyptienne et érythréenne. « Un certain nombre d’entre eux ont de la famille en Grande-Bretagne. Ils doivent pouvoir la rejoindre sans risquer leur vie », plaide l’association. Pour les autres, « un espace de mise à l’abri doit être aménagé au plus vite sur le site du centre d’accueil provisoire de Calais, donnant aux mineurs isolés étrangers souhaitant se stabiliser la possibilité d’accéder aux dispositifs de protection de l’enfance et à une prise en charge adaptée ». France terre d’asile estime que le dispositif de répartition des mineurs isolés entre départements instauré en 2013 est aujourd’hui « en panne » et qu’il « doit être réactivé de manière à ne pas laisser le seul département du Pas-de-Calais » faire face à leur accueil.
Dans le même esprit, l’Unicef-France, qui a lancé en janvier dernier, avec l’association Trajectoires, un diagnostic sociologique de la situation des jeunes présents dans le Calaisis et les territoires voisins dans le département du Nord, déplore que la protection des enfants non accompagnés « ait été reléguée au second plan du débat ». Ce alors que le tribunal administratif de Lille avait, dans une décision confirmée par le conseil d’Etat en novembre dernier, enjoint à l’Etat de se saisir de la situation. L’Unicef-France appelle les pouvoirs publics à « tout mettre en œuvre pour une protection effective de tous les enfants présents sur le territoire national », conformément aux engagements prévus par la Convention internationale des droits de l’enfant.