En 2014, 134 femmes sont décédées sous les coups de leurs conjoints et près d’un meurtre sur cinq est survenu dans ce cadre. L’affaire « Jacqueline Sauvage » en est l’illustration : cette femme a en effet été condamnée, en cour d’assises, à dix ans de prison pour le meurtre sans préméditation de son époux après avoir subi des violences durant plusieurs décennies. Un verdict qui a soulevé la colère de la société civile et conduit le président de la République à accorder à l’intéressée une remise de peine gracieuse. Dans ce contexte, « peut-on entendre qu’une femme ait pu tuer pour ne pas mourir ? Peut-on modifier le régime de la légitime défense sans courir le risque de légitimer la vengeance ?… » Autant de questions auxquelles la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale a tenté de répondre dans un rapport rendu public le 17 février(1).
La délégation reconnaît que de nombreuses avancées sont intervenues grâce à l’adoption de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et à leurs incidences sur les enfants (création de l’ordonnance de protection…) ou encore de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (allongement de la durée de l’ordonnance de protection, exclusion de la médiation pénale en cas de violences conjugales, éviction du conjoint violent du domicile…)(2). Sans compter le quatrième plan interministériel contre les violences faites aux femmes pour 2014-2016 (doublement du nombre d’intervenants sociaux en commissariats, accès à un hébergement d’urgence pour les femmes victimes…)(3). Malgré tout, « des interrogations sont apparues récemment sur la nécessité d’adapter le droit pénal pour mieux prendre en compte la spécificité des violences de genre », relèvent les parlementaires.
En effet, se questionnent-ils, « est-il opportun […] d’y introduire le “féminicide” ou de prévoir des circonstances aggravantes pour les meurtres commis “à raison du sexe” ? » Lors de son audition devant la délégation, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail a, pour sa part, prévenu que « l’introduction d’un crime commis à raison du sexe dans le code pénal ferait peser sur les parties civiles une exigence probatoire accrue ». Une remarque confortée par la sous-directrice de la justice pénale générale à la direction des affaires criminelles et des grâces de la chancellerie qui, en outre, a insisté sur la difficulté de caractériser un tel crime.
Les dispositions relatives à la légitime défense sont-elles aussi inadaptées ? Pour être reconnue, la légitime défense doit répondre à certains critères tels que celui de la concomitance de l’agression et de la riposte. Mais assouplir son régime, concernant en particulier ce critère, dans le cas d’une légitime défense « différée », « ne conduirait-il pas à accorder une forme de “permis de tuer”, et même un “permis d’assassiner”, s’agissant d’un acte commis avec préméditation, de façon “préventive” ou dans le cadre d’une vengeance privée ? », s’interroge encore la délégation. Plus loin encore, souligne-t-elle, « ce débat qui se concentre sur un article du code pénal [122-5] n’est-il pas d’une certaine manière l’arbre qui cache la forêt, au sens où il conduit à occulter le problème central : celui de l’accompagnement et de la protection des victimes ? » Dans ces circonstances, les députés jugent qu’« il serait inopportun d’introduire une “légitime défense différée”, qui pourrait ouvrir la voie à une légitimation de la vengeance et du meurtre avec préméditation, le statut de victime ne pouvant ouvrir un droit à se faire justice soi-même ».
En revanche, la délégation recommande d’approfondir la réflexion sur une possible adaptation du droit, concernant en particulier le critère de proportionnalité entre la gravité de l’agression et les moyens de défense employés, et la question d’une forme d’atténuation de la responsabilité.
Mais, surtout, les parlementaires suggèrent de renforcer l’accompagnement et la protection des victimes. Dans ce cadre, ils préconisent notamment d’exclure le recours à la médiation familiale en cas de violences conjugales et de « renforcer le dialogue entre les différents acteurs judiciaires, avec une clarification des circuits de signalement et de communication des faits de violences conjugales sous l’impulsion du procureur de la République ».
Par ailleurs, les députés appellent la chancellerie à encourager l’utilisation de l’ordonnance de protection(4). En effet, leur a expliqué Ernestine Ronai, à la tête de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, l’ordonnance est « un outil très complet mais encore insuffisamment utilisé parce qu’insuffisamment compris. Elle est destinée à permettre à une femme sous emprise, qui a très peur, de demander une protection avant la plainte. Or, encore trop souvent, les magistrats exigent une plainte comme élément de vraisemblance du danger »(5). En outre, le délai moyen de délivrance de l’ordonnance de protection (37 jours) demeure encore « trop long pour un dispositif d’urgence », estime la délégation. Aussi insiste-t-elle pour que les délais de délivrance de l’ordonnance soient raccourcis et que son usage soit favorisé en adressant une nouvelle circulaire ministérielle aux juges aux affaires familiales.
(1) Ce rapport est disponible sur
(2) Voir respectivement ASH n° 2686 du 10-12-10, p. 43 et n° 2890 du 2-01-15, p. 31.
(4) Elle vise à stabiliser pour une durée de six mois, ou pendant toute la procédure de divorce ou de séparation de corps, la situation juridique et matérielle de la victime en garantissant sa protection et en organisant provisoirement sa séparation d’avec l’auteur des violences.
(5) Selon la chancellerie, en 2014, sur 2 481 demandes d’ordonnance de protection, 1 303 ont été acceptées totalement (658, contre 629 un an avant) ou partiellement (645, contre 554).