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Un répit hors du groupe

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En 2014, l’institut médico-éducatif Le Grand Colombier, à Orange (Vaucluse), a créé l’« unité ressources », un dispositif innovant d’accompagnement personnalisé destiné aux enfants les plus en difficulté. Objectif : éviter les ruptures de parcours.

« Chaque année, des enfants se retrouvent en souffrance dans le collectif. Cela conduit parfois à des situations de rupture et de violence », déplore Georges Simonet, directeur du secteur enfance de l’APEI (association de parents d’enfants inadaptés) d’Orange. L’IME (institut médico-éducatif) Le Grand Colombier(1), qu’il dirige, a pris ce problème à bras-le-corps. Sans en cacher l’ampleur : la part des enfants qui se retrouvent en grande difficulté est évaluée à 15 % environ. Et sans se voiler la face : c’est l’institution elle-même, son mode de fonctionnement, qui est en cause.

L’IME du Grand Colombier accueille les enfants dans des SEES (sections d’enseignement et d’éducation spécialisés), par classes d’âge (6-9 ans, 10-13 ans et 14-16 ans), quatre jours et demi par semaine. D’autres sections offrent à des jeunes de 16 à 20 ans une préparation à la vie professionnelle. Au total, il compte 84 places. Et, comme tous les IME, il accueille sous la dénomination de « handicap » une grande diversité d’enfants identifiés comme trisomiques 21, autistes, psychotiques ou souffrant d’autres pathologies ou de troubles du comportement.

Des besoins spécifiques mal pris en compte

Pour Cécile Pantle, psychologue, chef de service du Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) du Haut-Vaucluse, qui a initié avec l’équipe de l’IME une réflexion sur les situations de rupture, l’organisation en collectifs uniformes est sans doute la source des difficultés. « L’accueil se focalise sur les besoins communs du groupe, explique-t-elle. Les besoins spécifiques de chaque enfant ne peuvent être tous pris en compte. Par ailleurs, le fait d’être tout le temps dans un groupe, de devoir s’adapter à son rythme, aux relations avec les autres, peut être source de souffrance. Ces deux problèmes font que des enfants fragiles se retrouvent en grande difficulté. Ils ne supportent plus le collectif et développent des troubles d’auto-agression et d’hétéro-agression. » L’équipe de l’IME a également analysé les effets secondaires inquiétants de ces moments de crise. « Quand un enfant développe des troubles, les éducateurs s’occupent beaucoup plus de lui, ils s’épuisent, et les autres enfants sont moins bien accompagnés », souligne Annick Viguié, chef de service des SEES.

Individualiser l’accompagnement

Ces situations peuvent avoir de graves conséquences. Les enfants en rupture se retrouvent parfois à domicile, sans accompagnement adapté. Et une fois majeurs, la question de leur accueil dans un établissement, même à petites doses, risque d’être insoluble. Pour leur famille, c’est souvent un drame. Aussi l’IME d’Orange a-t-il décidé de revoir ses méthodes. « Notre objectif était de changer de façon de travailler pour mieux accompagner ces enfants en crise et leur permettre de se maintenir dans le collectif, ou d’y retourner avec sérénité », résume Cécile Pantle. Mais pas question de créer un espace où les enfants les plus en difficulté sont mis à part. « L’objectif de l’institution est de les adapter au collectif, de permettre qu’une fois adultes, ils s’intègrent dans une structure. C’est le droit commun », insiste Georges Simonet.

C’est ainsi que l’IME d’Orange a mis au point un dispositif innovant, lancé en 2014 et baptisé « unité ressources ». Son principe : individualiser l’accompagnement. Un éducateur prend en charge un enfant ou un microgroupe de deux ou trois enfants, de trois quarts d’heure par semaine jusqu’à un mi-temps, pendant quelques semaines ou quelques mois. Dans un atelier de théâtre ou de musique, les enfants peuvent être au nombre de cinq. C’est un moment de répit au cours duquel l’éducateur répond à des besoins particuliers de l’enfant, le temps d’une activité, d’un repas, d’une sortie, ou sur une période plus longue. Les propositions changent régulièrement en fonction de l’évolution de l’enfant, qui continue à passer une partie de son temps dans son groupe de référence. Quand il est prêt, il retourne à temps plein.

Apparemment simple, cette innovation représente en réalité un défi pour l’IME, tant cela modifie son fonctionnement. Car l’unité ressources fonctionne comme une plateforme au planning très précis et à la logistique complexe. Chaque jour, l’équipe d’éducateurs prend en charge des enfants différents, qui font des allers-retours entre le site principal d’Orange, le second site de Caderousse, à cinq kilomètres de là, et, selon les activités proposées, une ferme, la piscine, etc. « C’est un espace-temps éclaté, qui exige des objectifs clairs, une organisation très rigoureuse, mais aussi de la créativité et de la souplesse, car il faut régulièrement revoir le planning, évaluer les résultats, adapter les propositions », détaille Cécile Pantle. Au Sessad qu’elle dirige, le mode de fonctionnement est proche, en raison de la gestion des déplacements quotidiens des enfants et de l’alternance des différents modes et lieux de prise en charge. Mais pour l’IME, c’était nouveau. Aussi la psychologue a-t-elle assuré la mise en marche et la coordination de l’unité ressources pendant sa première année de fonctionnement.

Un défi financier

En ces temps de restrictions budgétaires, le défi était également d’ordre financier. L’unité ressources ayant fait ses premiers pas en prenant en charge un enfant à la demande de la commission des situations critiques du Vaucluse, l’ARS (agence régionale de santé) de Provence-Alpes-Côte d’Azur a accordé des crédits non reconductibles pour financer un poste de moniteur-éducateur. Suivis, quelques mois après, d’une seconde enveloppe, la commission demandant de placer un deuxième enfant. Quant à l’association, elle a utilisé la marge de manœuvre autorisée par le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens pour procéder à des réaménagements internes et affecter progressivement des postes au nouveau dispositif.

Dès la première année, l’unité ressources a fonctionné à double sens. D’abord, comme un sas d’intégration progressive dans l’IME pour des enfants déscolarisés et restés à domicile durant une longue période, faute de prise en charge institutionnelle. Puis, à partir de février 2014, un moniteur-éducateur a accompagné, deux matinées par semaine, un jeune trisomique déjà présent dans l’IME ayant des troubles associés (le premier cas confié par la commission des situations critiques). Objectif : le réintégrer dans un groupe de l’IME qu’il avait quitté plusieurs mois auparavant dans un moment de crise. Un premier défi pour l’unité ressources tout juste naissante. Celle-ci l’a admis à mi-temps et l’a inséré peu à peu dans une SEES. Depuis septembre 2015, le garçon est à plein temps à l’IME. Et à partir de 2014, cinq autres enfants ont pris le même chemin : trois d’entre eux étaient restés longtemps à domicile, deux autres étaient jusque-là pris en charge à plein temps par l’unité « autistes » de Caderousse. Mais le dispositif a aussi rapidement fonctionné dans l’autre sens. Dès juin 2014, les SEES ont confié quelques enfants à l’unité ressources, avec des objectifs précis de prise en charge, en accord avec les familles. Au total, sur la même année, 22 enfants ont été pris en charge par l’unité ressources. Et son activité a progressé en 2015, avec 30 enfants.

Les premiers temps, trois éducatrices ont assuré un accompagnement personnalisé sur plusieurs activités : musique, arts plastiques, cheval, apprentissages cognitifs, etc. Aujourd’hui, cinq éducateurs spécialisés (quatre équivalents temps plein) et deux moniteurs-éducateurs ont investi l’unité. Annick Viguié, chef de service des SEES, en a pris la responsabilité en septembre 2015, de manière à faciliter la synchronisation avec les groupes de référence. A ses côtés, deux éducateurs spécialisés sont chargés de la coordination de l’unité. Un travail de haute couture, qui s’appuie sur une organisation et des outils bien rodés. Premier volet du dispositif : quand un enfant donne des signes de souffrance, les éducateurs et une psychologue de l’IME font une demande écrite de prise en charge. Elle doit être motivée, et surtout comporter des objectifs précis en fonction des besoins particuliers de celui-ci. Deuxième volet : l’équipe de l’unité ressources se réunit chaque semaine, le mercredi matin. Une psychologue conduit la première partie de la réunion, qui porte sur l’analyse de pratiques, les demandes de prise en charge et l’évolution de chaque enfant accueilli. Chaque situation doit être évaluée de manière approfondie toutes les six à huit semaines. La seconde partie de la réunion est consacrée aux questions logistiques, au suivi du planning, aux relations avec les familles, à la gestion de l’équipe… « Les critères d’évaluation sont très importants. Il faut s’autoriser à changer nos projets si ça ne marche pas. C’est une gymnastique de va-et-vient constant, qui n’est pas simple, mais qui correspond bien aux besoins des jeunes qu’on a en charge », estime Annick Viguié.

Le changement d’approche éducative

Ce nouveau dispositif a modifié l’approche éducative et le regard sur les enfants au sein de l’établissement. « C’est un accompagnement différencié, à leur rythme. Seul ou en petit nombre, avec un éducateur qui n’est pas celui du groupe de référence, l’enfant peut partager un moment calme, se concentrer sur une activité qui lui plaît », décrit Cécile Pantle. Dans les nombreuses activités proposées, tels le théâtre ou l’atelier musical Bao-Pao, l’accompagnement individualisé favorise la mise en confiance. « Un enfant agité, qui a du mal à respecter les règles de vie, se sent à la fois sécurisé dans un petit groupe et motivé par le jeu, le plaisir qu’il ressent. Il reste assis, il écoute », témoigne Magali Brun, éducatrice spécialisée, investie dans ce dispositif depuis plus de un an. Cela permet également une approche précise de l’ensemble de leurs difficultés : « On peut travailler les aspects relationnels, le langage, les émotions. On peut les valoriser, les aider à développer leurs capacités et leur estime de soi », assure Magali Brun, qui a constaté au fil du temps un autre avantage majeur du dispositif : « Dans ce cadre rassurant, hors de leur groupe et sans leur éducateur de référence, les enfants s’expriment plus facilement. Cela nous permet de mieux les comprendre et les accompagner. Par exemple, un enfant a pu dire ses angoisses dans un atelier théâtre. Jusque-là, il ne les avait jamais exprimées. »

Premier bénéfice du dispositif, d’après ses initiateurs : la majorité des enfants s’apaise et progresse, ce qui leur permet de se maintenir dans le collectif ou de le réintégrer. Nombre d’évolutions positives ont encouragé les éducateurs à poursuivre leurs efforts, notamment le succès des intégrations progressives d’enfants en rupture avec les institutions, mais aussi le maintien d’autres enfants qui étaient au bord du clash. Ainsi, une jeune autiste, prise en charge dans l’unité de Caderousse, s’est acclimatée en quelques mois à une SEES qui l’a intégrée progressivement. Une autre jeune fille « parlait en écho uniquement, elle ne parvenait qu’à répéter nos questions. Maintenant, elle est capable de dire son prénom et ce qu’elle ressent », raconte Magali Brun. L’accompagnement individuel, adapté à ses besoins, a porté ses fruits. Un autre exemple : en 2014, un garçon a très mal vécu son passage dans la SEES des 10-13 ans et a rapidement été pris en charge par l’unité ressources. « Il a passé des demi-journées dans des activités qui lui ont plu (les sorties en calèche, la récolte de fruits…). Il s’est senti encouragé, valorisé, sur des tâches concrètes qu’il menait à bien. Il a pris confiance. Maintenant, il accepte les apprentissages scolaires », témoigne sa mère, Colette Baldelli. Reste que la réussite n’est pas toujours au rendez-vous. Il arrive que l’accompagnement individuel soit difficile, requière du temps, que les équipes tâtonnent à la recherche de solutions ou qu’il n’y ait pas de place au moment voulu dans l’unité ressources.

Un second souffle pour les équipes

Malgré ces limites, aux yeux des éducateurs, le principe de l’accompagnement personnalisé à des moments-clés est bénéfique. « Quand l’enfant ne va pas bien, on peut prendre le temps, on travaille sur des choses qu’il ne peut pas faire dans son groupe de référence. C’est une bouffée d’oxygène, un espace pour souffler, être au calme. L’une va réaliser ses désirs, un autre va se dégourdir, oser demander ou faire des choses nouvelles », observe Marie-Hélène Hermann, éducatrice spécialisée, qui accueille les enfants sur trois activités principales : les arts plastiques, Snoezelen (stimulation multisensorielle associée à la relaxation) et le Makaton (accès à la communication et au langage à l’aide de signes et de pictogrammes).

Un autre bénéfice important est l’effet positif sur les groupes de référence. « Cela a permis aux équipes de trouver un second souffle, se réjouit Annick Viguié. Une fois déchargés des enfants les plus en difficulté, les éducateurs peuvent proposer d’autres activités à leur groupe qui se trouve réduit. » Pour l’équipe éducative de l’unité ressources, c’est un changement de cap. Le mode d’accompagnement des enfants, le rythme, l’organisation, tout a changé. « Je vois passer 20 à 25 enfants chaque semaine. Cela demande plus de travail que sur un groupe stable, c’est plus exigeant. Il faut se réadapter sans cesse, chercher des solutions pour chacun », analyse Marie-Hélène Hermann. Plutôt stimulant, car les compétences et l’expérience acquises par chacun sont autrement sollicitées. Selon Pascale Gourru, monitrice-éducatrice, qui s’occupait de jeunes autistes à Caderousse avant d’intégrer l’unité ressources, le renouvellement n’est pas négligeable. « Nous étions isolés géographiquement, un peu clos sur nous-mêmes, le groupe d’enfants ne variait pas. Maintenant, il y a un va-et-vient d’enfants, on travaille plus avec les éducateurs de l’IME, c’est une autre dynamique », commente Pascale Gourru qui, au sein de l’équipe dédiée aux autistes, pratiquait déjà l’accompagnement individuel. Pour mener à bien sa mission, l’équipe de l’unité ressources s’est d’ailleurs appuyée sur les compétences des éducateurs et de la maîtresse de maison de Caderousse dans la prise en charge personnalisée des autistes. Dans le même objectif, elle bénéficie de formations spécifiques, portant soit sur la connaissance des troubles des enfants (troubles autistiques, du comportement, analyse fonctionnelle, etc.), soit sur les moyens mis en œuvre (Snoezelen, outils de communication, etc.).

Pour le directeur de l’IME, « le dispositif doit être encore amélioré ». Le premier projet vise à réduire les déplacements, pour faciliter l’organisation et diminuer les coûts, en intégrant l’unité de Caderousse au site principal, à Orange. Le second projet consiste à renforcer l’axe thérapeutique en étoffant l’équipe de l’unité ressources avec un mi-temps de psychologue. Encore faut-il pérenniser un outil qui a bénéficié jusqu’ici en grande partie de financements provisoires apportés par l’ARS de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Mais les partenaires institutionnels le soutiennent sans réserve. « C’est très intéressant et innovant, apprécie le docteur Sylvie Authman, médecin à la maison départementale des personnes handicapées du Vaucluse. L’intérêt du dispositif, c’est sa souplesse. Les enfants en bénéficient selon leurs besoins, sur des temps variables. » « Cela permet de prendre en charge des situations complexes, avec des effets bénéfiques sur l’intégration ou le maintien des enfants dans l’IME », renchérit Nadra Benayache, déléguée territoriale adjointe du Vaucluse à l’ARS de Provence-Alpes-Côte d’Azur. La seule difficulté, aux yeux des partenaires, est le coût de l’unité ressources, plus élevé en raison du taux d’encadrement (un éducateur pour un enfant dans certains cas). L’association conduit sa réflexion, en partenariat avec l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans le cadre du renouvellement de son contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens. A suivre…

Notes

(1) IME Le Grand Colombier : 2, av. Antoine-Artaud – 84100 Orange – Tél. 04 90 11 63 00.

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