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Entre recherche du Prince charmant et sexualité vénale

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Alertée par des acteurs de terrain, la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques a initié un programme visant à mieux cerner la pratique du « michetonnage » à laquelle se livrent des mineures. Un comportement qui les amène à échanger des services sexuels contre des biens.

Séduire un homme ayant de l’argent et une voiture, qualifié de « pigeon », lui faire croire à une relation amoureuse et profiter de lui en se faisant offrir des vêtements de marque, des sacs, des portables, des sorties… C’est à cette pratique, dite du « michetonnage », que se livrent maintes mineures issues des quartiers populaires et qui les conduit en général à fournir des prestations sexuelles. Une pratique entre manipulation et prostitution que les professionnels peinent à définir – car ces adolescentes sont aussi en quête d’amour – mais qu’ils jugent pour le moins à risques et qualifient de préprostitutionnelle. « Ce comportement n’entre dans aucune case mais il y a assurément une mise en danger de soi », résume Emmanuel Meunier, chargé de projet à la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques (MMPCR)(1). De plus en plus interpellée par des acteurs de terrain démunis, celle-ci a initié en 2015 un programme visant à comprendre le phénomène et à y apporter des réponses(2). De leur côté, les jeunes filles rejettent violemment le terme de « prostitution ». Ainsi, l’une d’elles a réagi par une tentative de suicide. « Il lui a été insupportable d’entendre des éducatrices à qui elle s’était un peu confiée lui renvoyer qu’à leurs yeux, finalement, elle était une pute. Pour elle, c’était un moyen d’échanger, de se valoriser, de tester sa capacité de séduction », témoigne Liliana Gil, aujourd’hui éducatrice spécialisée à l’aide sociale à l’enfance (ASE) de Seine-Saint-Denis et impliquée dans la démarche de la mission. Exerçant auparavant en prévention spécialisée à la Sauvegarde 93, elle a rédigé un mémoire sur le michetonnage de plus de soixante jeunes de Stains.

Selon cette recherche, ces mineures n’auraient pas de profil particulier, pas d’histoire familiale spécifique, pas de trauma apparent. « Leur seul point commun : une première expérience sexuelle ratée, qui parfois s’est conclue par l’abandon du petit copain, voire a engendré une réputation dans la cité », explique-t-elle. Crise d’adolescence, manque d’estime de soi, besoin d’attention, « d’être des princesses »… sont parmi les raisons repérées. En recevant des cadeaux de luxe, ces jeunes, pas toujours bien traitées, ont l’impression d’avoir de la valeur. Economie de la débrouille, absence de perspectives, souffrance sociale et/ou psychique… fournissent un autre éclairage. « Si ces jeunes filles existent à travers ce symptôme, c’est parce qu’elles n’existent pas ailleurs. Elles n’ont pas de bagages, pas accès à une formation ; à part être mères ou se prostituer, elles ont peu d’alternatives. Elles n’ont plus que leur corps comme ressort », analyse Bénédicte D’Eau, psychologue au point accueil jeunes de Saint-Denis. Leur environnement social et familial les incite aussi souvent à se projeter dans une sexualité utilitariste. « Pour elles, c’est un moyen, tout comme peut l’être un mariage avec un homme riche », relève Aldric Zemmouri, chargé de projet au pôle « prostitution » de l’association Charonne, à Paris.

Un accompagnement complexe

Au départ, les michetonneuses se sentent très fortes. L’homme est une victime à manipuler. « Elles le font tourner en bourrique, lui parlent mal et disent : “je vais lui pomper son fric”, “le saigner”… », témoigne Liliana Gil. Bien vite, la situation se retourne et le pigeon, plus mûr et malin, prend le dessus. Elles se retrouvent alors sous emprise, ce qui peut aboutir à des abus, voire à des viols collectifs. En souffrance, les mineures sedégradent vite, s’automutilent, multiplient les IVG, prennent dix kilos en deux mois ou en perdent quinze… Déscolarisées, fuguant à répétition, elles se retrouvent à la rue et michetonner ne sert plus qu’à combler des besoins primaires. Pour tenir, elles « se font rémunérer par “la formule” : de la vodka, du jus d’orange, des cigarettes, des feuilles, du shit… et des Kinder », poursuit-elle. Ce n’est que lorsqu’elles se sentent vulnérables qu’elles acceptent de l’aide. « C’est compliqué de les accompagner car elles n’ont pas de demande, ou alors ponctuelle, pour une IVG par exemple. Si on force les choses, on perd le lien. Il faut attendre qu’elles soient au fond du trou, c’est dur pour un professionnel », pointe l’éducatrice.

Pour capter ces jeunes, l’équipe de Stains a cherché à tisser des liens en créant du souvenir et a travaillé à un projet bien-être. Ont ainsi été proposés des sorties au hammam, des séjours à l’étranger, un atelier théâtre, qui ont permis de libérer la parole et de générer de la confiance. La spécificité de la prévention spécialisée – absence de mandat, libre adhésion… – s’est révélée très adaptée à ces mineures qui rejettent les cadres. La démarche a parfois autorisé leur accompagnement vers des institutions telle que l’ASE. Cependant, pas toujours avec succès. « Certaines se mettaient tellement en danger qu’il était devenu inévitable de solliciter la protection de l’enfance, mais, souvent, elles fuguaient peu après le placement. Or, après une fugue ou deux, les structures n’en veulent plus », témoigne l’éducatrice, déplorant l’absence de dispositifs adaptés. Face à la problématique de ces mineures, croiser les regards, œuvrer en partenariat, semblent aujourd’hui la voie à privilégier. En particulier, pour Emmanuel Meunier, « il faut faire dialoguer des acteurs du champ de la prostitution, pour repérer les facteurs de vulnérabilisation incitant ces jeunes à adopter ces conduites, et des professionnels de l’enfance, pour trouver comment travailler avec elles ».

Notes

(1) La MMPCR regroupe, depuis 2013, la Mission de prévention des conduites à risques du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et la Mission de prévention des toxicomanies de la mairie de Paris – MMPCR : 41, rue Delizy – 93500 Pantin – Tél. 01 71 29 26 91.

(2) En 2015, des acteurs des champs sanitaire et social ont échangé leurs constats et regards lors d’un « carrefour-prévention », puis un débat public a été organisé. La démarche se poursuivra en 2016 via une formation-action menée en partenariat avec l’association Charonne, qui œuvre dans une perspective de réduction des risques et de prévention des dommages.

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