La situation des femmes privées de liberté n’est pas conforme au principe d’égalité entre les hommes et les femmes affirmé tant dans les normes nationales qu’internationales. Tel est le constat établi par la contrôleure des lieux de privation de liberté dans un avis du 25 janvier qui devait paraître le 18 février au Journal officiel. « Minoritaires en nombre[1], elles sont l’objet de discriminations importantes dans l’exercice de leurs droits fondamentaux, explique-t-elle : un maintien des liens familiaux rendu difficile par un maillage territorial inégal des lieux d’enfermement, des conditions matérielles d’hébergement insatisfaisantes en raison de leur enclavement au sein de quartiers distincts, un accès réduit ou inadéquat aux activités, une prise en charge au sein de structures spécialisées limitée voire inexistante, et parallèlement, une absence de prise en compte des besoins spécifiques des femmes. » Adeline Hazan formule donc une série de recommandations afin d’améliorer la situation des femmes privées de liberté.
Les femmes privées de liberté sont avant tout « discriminées par la répartition géographique des établissements et exclues de certaines structures spécialisées », estime la contrôleure des prisons. Au 1er septembre 2015, 56 des 188 établissements pénitentiaires accueillaient des femmes, dont la plupart se trouvent dans la moitié nord de la France. Seulement trois des six établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) recevaient des jeunes filles et un seul centre éducatif fermé (CEF) était réservé à l’accueil des mineures(2). « Outre qu’elle porte atteinte à leur droit au maintien des liens familiaux, cette situation alimente la surpopulation carcérale générale que connaissent les maisons d’arrêt et les quartiers “maison d’arrêt”, y compris ceux hébergeant des femmes », souligne Adeline Hazan : à titre d’exemple, au cours du premier semestre 2015, le quartier des femmes de la maison d’arrêt de Nice a affiché un taux d’occupation de 153 % en moyenne en raison du manque de places réservées aux femmes au sein des établissements de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille. Dans ce contexte, la contrôleure des prisons demande de nouveau aux pouvoirs publics l’« ouverture d’un quartier “centre de détention” destiné aux femmes dans le sud de la France ».
Même constat en ce qui concerne les structures spécialisées, dont l’« hébergement presque exclusivement masculin constitue une inégalité de traitement », déplore l’institution. Les hommes et les femmes ne sont ainsi pas non plus égaux devant l’accès aux soins psychiatriques : seules deux des dix unités pour malades difficiles (UMD) (soit environ 40 places, contre 530 pour les hommes) et un seul des 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR) accueillent des femmes. Aussi préconise-t-elle que la totalité des SMPR et des UMD accueille des femmes, à l’instar des unités hospitalières sécurisées interrégionales et des unités hospitalières spécialement aménagées qui reçoivent indistinctement des hommes et des femmes.
S’agissant des mineures, elles ne doivent pas en principe être hébergées avec les femmes majeures. Or, a constaté Adeline Hazan, « en pratique, la séparation par le sexe prime sur la séparation par l’âge. Les quartiers “mineurs” des établissements pénitentiaires étant exclusivement occupés par des garçons, les filles se trouvent la plupart du temps hébergées dans les quartiers réservés aux femmes majeures [ce qui est contraire à la loi], sans aménagement au regard de leur âge. » La contrôleure des prisons recommande donc « que les mineures détenues dans des établissements pénitentiaires autres que les EPM soient – dans la mesure du possible et selon l’architecture de l’établissement – incarcérées au sein des quartiers « mineurs », au même titre que les enfants de sexe masculin. En revanche, l’hébergement doit être soumis au principe de non-mixité, à l’image de ce qui est théoriquement prévu pour les CEF et les EPM ». Plus généralement, ajoute-t-elle, « dans tous les lieux de privation de liberté, il pourrait exister des structures modulables, évolutives, adaptables aux besoins de l’ensemble des mineurs accueillis et à leur prise en charge, afin de permettre la mixité de la vie en communauté (activités, repas, etc.) sous l’encadrement du personnel tout en assurant un hébergement séparé et sécurisé pour les mineurs ».
« La sous-représentation des femmes [ainsi que l’étroitesse des quartiers où elles se trouvent] au sein des établissements pénitentiaires [est] un frein à une gestion individualisée de leur détention », estime par ailleurs l’institution, qui souligne, par exemple, la rareté de véritables quartiers « arrivants ». Sur l’ensemble du territoire, 62 places réparties au sein de 56 cellules sont ainsi réservées à l’hébergement des femmes détenues arrivantes, qui plus est « logées à proximité des autres femmes détenues ». Les nouvelles détenues bénéficient en outre d’une période d’observation « souvent courte », regrette la contrôleure des prisons.
Cette dernière pointe également la quasi-absence d’ailes d’isolement – censées permettre l’hébergement de détenues vulnérables – au sein des quartiers pour femmes en raison de leur taille réduite.
Dans ces conditions, Adeline Hazan estime « nécessaire qu’une procédure “arrivante” soit mise en place au sein de tous les établissements accueillant des femmes » et que les plus vulnérables puissent « bénéficier d’une protection, en cas de besoin, et, selon la réglementation en vigueur, du régime de l’isolement ».
De manière générale, la contrôleure des prisons relève que les locaux réservés aux femmes sont « souvent plus réduits que ceux des hommes, les intervenants moins nombreux et les équipements plus sommaires : bibliothèque moins bien dotée, salle de musculation moins bien équipée […] ». Par ailleurs, a-t-elle encore noté, « du fait de leur accès limité (voire totalement inexistant, dans certains établissements) aux espaces communs situés dans les quartiers “hommes” (gymnase, ateliers de production, salle de culte, etc.), les femmes sont principalement cantonnées à des activités d’intérieur au sein des quartiers “femmes”, entraînant la reproduction de certains stéréotypes genrés : les hommes ont accès à des activités professionnelles de production, pratiquent des sports en extérieur et exercent leur culte de manière collective tandis que les femmes ne peuvent souvent que travailler au service général (c’est-à-dire en cuisine, à la buanderie et plus généralement à l’entretien des locaux), se distraire par des activités d’intérieur (ateliers de broderie, de couture et de peinture sur soie) et pratiquer leur religion de manière individuelle ». Un état de fait conforté par la circulation intercalée, des hommes et des femmes en journée, entraînant la « création de créneaux horaires dédiés aux femmes détenues, ce qui limite de facto leur accès aux services communs ». Aussi Adeline Hazan recommande-t-elle de modifier l’article 1er du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires annexé à l’article R. 57-6-18 du code de procédure pénale, qui pose le principe de séparation entre les femmes et les hommes. Elle propose en effet d’autoriser la mixité des mouvements en établissement pénitentiaire, ce qui permettrait de « favoriser un égal accès des personnes détenues aux zones communes de la détention, qu’il s’agisse de s’y instruire, d’y travailler ou d’y être soignées […] ». Bien sûr, ajoute-t-elle, « une surveillance encadrée devra être mise en œuvre afin de garantir l’intégrité physique des personnes détenues (hommes et femmes) lors de ces mouvements ».
Adeline Hazan va même plus loin. Actuellement, l’article 28 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose que, « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité des établissements et à titre dérogatoire, des activités peuvent être organisées de façon mixte ». Mais « cette possibilité est faiblement utilisée », souligne-t-elle, alors même qu’elle présente plusieurs avantages : elle permettrait aux femmes d’accéder aux activités de manière plus équitable, plus diversifiée et moins stéréotypée ou encore de « réinitier le nécessaire dialogue entre les sexes et favoriser, au moment de la libération, un retour plus aisé dans la société ». La contrôleure des prisons propose donc de supprimer de cet article 28 la mention « et à titre dérogatoire », afin de faire de la mixité des activités une obligation. Parallèlement, elle recommande qu’une information claire et systématique soit délivrée sur le caractère mixte des activités et que toute participation soit précédée du recueil du consentement éclairé des volontaires.
(1) Au 1er septembre 2015, les femmes représentaient 3,2 % de la population carcérale et les jeunes filles prises en charge dans les centres éducatifs fermés, seulement 6 % de l’ensemble des mineurs.
(2) Soit une capacité de 12 places, sachant que ce CEF a vocation à accueillir les mineures de l’ensemble du territoire, y compris de l’outre-mer.