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RSA contre bénévolat : le Haut-Rhin relance la polémique sur l’« assistanat »

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Contestée par la ministre des Affaires sociales et les associations, la décision du conseil départemental du Haut-Rhin intervient à un moment d’exacerbation des tensions autour de la situation financière des départements. Une bataille juridique n’est pas à exclure sur la légalité de cette mesure.

Du bénévolat en échange du revenu de solidarité active (RSA). C’est la proposition polémique qui a été adoptée le 5 février par le conseil départemental du Haut-Rhin, sur fond de tensions entre l’Etat et l’Assemblée des départements de France (ADF) sur le financement des allocations de solidarité. A la mi-janvier, le président de l’association d’élus alertait le Premier ministre du « danger qu’entraînerait pour la cohésion nationale la situation de départements qui seraient laissés dans l’impasse budgétaire » et des décisions que pourraient prendre les exécutifs. Mais, au-delà de la situation de crise budgétaire, l’annonce du conseil départemental du Haut-Rhin renvoie au vieux débat sur l’« assistanat » à l’égard des personnes éloignées de l’emploi, que les acteurs de l’insertion espéraient voir enterré.

Départementalisation

L’affaire n’a pas manqué de faire réagir au sein de l’Etat : le 8 février, la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a assuré qu’il n’était « pas possible de conditionner le versement du RSA [revenu de solidarité active] à l’exercice du bénévolat ». Cette démarche serait en effet « illégale », selon la ministre, le RSA étant « défini nationalement ». Une position également défendue par le groupe de gauche de l’ADF, qui s’est inscrit en faux en déclarant que « les critères d’attribution du RSA étant définis par la loi et relevant de la responsabilité de l’Etat – garantissant ainsi à tous les citoyens qui y répondent un égal accès à cette allocation individuelle de solidarité sur l’intégralité du territoire national –, fixer localement des règles d’attribution spécifiques […] est une entrave à ce principe ». Non à la départementalisation du RSA, a en substance réagi le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel (PS), rappelant les revendications départementales sur la renationalisation du financement du RSA.

Interrogée au cours d’un déplacement dans la Seine-Saint-Denis, Marisol Touraine a ajouté que le gouvernement allait « regarder très précisément » la délibération de l’assemblée départementale du Haut-Rhin, présidée par Eric Straumann (LR). Si ce département pense « être capable de trouver sept heures de bénévolat par semaine pour les 20 000 personnes bénéficiaires, peut-être peut-il leur trouver une activité rémunérée », a taclé la ministre, avant d’écarter toute possibilité d’interrompre les versements pour ceux qui n’auraient pas effectué de bénévolat : « C’est impossible. Je n’imagine pas qu’une collectivité s’engage dans une démarche illégale », a-t-elle lancé, en rappelant que cette initiative a connu des précédents.

On se souvient en effet qu’en parallèle de déclarations très controversées, stigmatisant notamment « les dérives de l’assistanat », Laurent Wauquiez, alors ministre des Affaires européennes, avait proposé en 2011 que les allocataires du RSA effectuent des heures de travail d’intérêt collectif. L’actuel président (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes s’est d’ailleurs fendu d’un message de félicitations adressé à l’élu alsacien sur son compte Twitter. En 2011, le gouvernement Fillon avait lancé l’expérimentation de contrats uniques d’insertion (CUI) de sept heures par semaine, dans 11 départements, sur la base d’une recommandation formulée par le député du Nord Marc-Philippe Daubresse, dans un rapport sur la réforme du RSA. Ces contrats, abandonnés en 2012, étaient rémunérés au niveau du SMIC.

Libre administration des collectivités ?

Il n’en est rien dans la proposition défendue par le président et député du Haut-Rhin, qui vise précisément à « conditionner le versement du RSA à sept heures de bénévolat au service d’associations, de collectivités locales, de maisons de retraite, d’établissements publics ». Il justifie cette initiative par l’insuffisance du volet « retour à l’emploi » de la prestation, pour laquelle le département indique devoir débourser, en 2016, près de 100 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 10 millions d’euros supplémentaires « consacrés à la politique d’insertion, à travers notamment le financement d’emplois aidés et de mesures d’accompagnement », selon son communiqué. « Un comité de pilotage sera chargé de définir le périmètre opérationnel et les conditions de mise en œuvre du nouveau dispositif », tandis qu’une « plateforme des offres de bénévolat sera créée [et] gérée par le département ». Interrogé sur la légalité de la mesure, qu’il voudrait mettre en œuvre au 1er janvier 2017, l’élu haut-rhinois a assuré que si le préfet attaquait cette décision devant le tribunal administratif, lui-même déposerait une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), pour vérifier la conformité du dispositif du RSA avec l’article 72 de la Constitution, qui porte sur « la libre administration des collectivités locales ».

Cette démarche est unanimement condamnée par les associations de solidarité : « Monnayer la solidarité nationale ? Inacceptable ! », s’insurge ATD quart monde. Vivre des minima sociaux est si souvent vécu « comme une honte » que « nombreux sont ceux qui préfèrent ne pas recourir à ces allocations par peur du regard des autres (50 % de non-recours au RSA en moyenne selon l’Odenore en 2012) », rappelle l’organisation. De plus, 28 heures par mois, « c’est totalement irréaliste sur le plan logistique pour les organisations qui devraient accueillir ces travailleurs bénévoles ». Bénévolat, qui, d’ailleurs, est un choix qui appartient à la vie privée de chacun, insiste-t-elle. « Ce que les gens veulent, c’est travailler », souligne ATD quart monde, qui a inspiré la proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée, en cours d’examen parlementaire(1). Le Mouvement associatif s’oppose également à une déformation de la notion de bénévolat, tout comme l’Association nationale des assistants de service social (ANAS). Au-delà, considérer que le RSA – « dernier filet de protection pour les personnes qui n’ont plus aucun revenu » – doit être conditionné à une activité non rémunérée « est une nouvelle violence imposée et un déni de la problématique que rencontrent nos concitoyens les plus fragiles et de la réalité économique de notre pays », déplore l’ANAS.

La Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) estime, pour sa part, que cette décision est non seulement injuste, mais « également inapplicable : certains allocataires ont des difficultés de santé, de mobilité, de logement ou de garde d’enfant qui freinent le retour à l’activité ». L’organisation étudie « la possibilité d’un recours en annulation contre cette décision ». La FNARS appelle, par ailleurs, les associations « à refuser toute embauche de “bénévoles” sous la contrainte ». Le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) se réserve également le droit de déposer tous les recours juridiques possibles « pour d’une part casser cette décision inique, et d’autre part attaquer tous les employeurs qui recourraient à ce dispositif, se rendant ainsi coupables de travail dissimulé et courant le risque bien justifié de voir ce “bénévolat” requalifié en contrat de travail ».

Notes

(1) Voir ASH n° 2938 du 18-12-15, p. 5.

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