J’ai travaillé pendant plus de 20 ans dans le secteur de la petite enfance, d’abord en tant qu’éducateur puis comme responsable d’une halte-garderie. J’étais souvent le seul homme. En 20 ans, la situation a peu évolué. Pour faire bouger les choses, j’ai décidé, en devenant formateur, de créer cette association afin de promouvoir la mixité dans les structures d’accueil de jeunes enfants. C’est aussi à cette période – en 2013 – que la question du genre a pris beaucoup de place dans les débats politiques, avec notamment le vote de la loi sur le mariage pour tous et la publication de différents rapports sur l’égalité filles-garçons ou encore la mixité dans les métiers.
Très peu. Les seules statistiques disponibles montrent que, toutes professions confondues, on compte seulement de 1 à 1,5 % d’hommes dans les structures de la petite enfance. Ce taux monte à 3 %, en incluant les écoles maternelles. J’ai assisté à de nombreuses conférences à l’étranger où certains pays – Allemagne et pays scandinaves – sont nettement plus actifs sur cette question.
Ils se sentent repérés. Parce que ce sont des hommes, on attend d’eux qu’ils mettent de l’ordre dans l’équipe, qu’ils proposent des activités sportives aux enfants ou alors qu’ils endossent la figure d’autorité. Or ce n’est pas parce qu’on est un homme qu’on a envie de jouer ces rôles, qui sont le fruit des représentations sexuées ! Ces attentes créent parfois des malentendus, des difficultés à faire valoir ses compétences(1), voire un sentiment d’incompétence. Par ailleurs, la question de la pédophilie est dans tous les esprits. Parfois, la suspicion s’exprime de manière directe par le refus des parents, voire de l’équipe, de voir le professionnel prendre soin de l’enfant, qu’il le change ou se charge de la sieste. Pèse aussi sur les hommes la suspicion de ne pas être de « vrais hommes » ou d’être homosexuels, avec le préjugé qui associe homosexualité et individu efféminé. La pression sociale est forte et efficace, puisque les hommes ne s’intéressent pas à ce secteur d’activité. Or, aujourd’hui, dans les foyers, les pères s’occupent beaucoup de leurs enfants, le fonctionnement des structures est alors en décalage avec la vie des familles.
Nous voulons promouvoir la mixité en déconstruisant ces stéréotypes. Nous animons, via notre page Facebook(2) et en organisant des groupes de parole, un réseau qui permet aux professionnels de ne pas se sentir isolés. L’association vise aussi à nous représenter dans le secteur : montrer que les hommes existent et qu’ils ont peut-être quelque chose à apporter. Nous souhaitons aussi être visibles pour le grand public et faire de la mixité dans les établissements une question sociale. Nous voulons interpeller la formation et la recherche pour pouvoir être associés à des cursus et aborder la notion de genre dans les formations. Il y a, dans le secteur de la petite enfance, un déni de cette question de la mixité et du genre en général(3). Elle se pose lorsqu’il y a un homme dans une équipe, sinon ce n’est pas un sujet.
Oui, la promotion de la mixité est l’un des objectifs de l’EDEC [accord-cadre national d’engagement et de développement de l’emploi et des compétences] signé l’année dernière pour le secteur de la petite enfance(4) et fait partie des mesures du plan d’action pour le travail social(5). Ce sont de bonnes initiatives, même si j’attends de voir leurs traductions concrètes. Plus globalement, le ministère des Affaires sociales est intéressé par notre démarche et pourrait nous soutenir dans la préparation d’une conférence que nous souhaitons organiser à l’automne. Cet événement fait suite à un voyage de l’AMEPE en Norvège en octobre dernier – soutenu par la région Ile-de-France ainsi que deux centres de formation parisiens – qui doit aussi déboucher sur une exposition photo.
(1) Dans Un homme à la crèche, l’écrivain Thomas Grillot a observé des professionnels masculins travaillant dans la crèche de ses enfants. Il montre comment les hommes doivent justifier leur présence au milieu des bébés et convaincre leurs collègues de leur compétence – Ed. Le Seuil – 7,90 €.
(2)
(3) Voir la « Rencontre » avec le sociologue Marc Bessin, dans les ASH n° 2708 du 6-05-11, p. 38.