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Face à la « radicalisation » du social, osons !

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Un phénomène de « radicalisation » gangrène aussi de l’intérieur l’administration du secteur social, déplore Laurent Ott, formateur et chercheur en travail social(1). Pourtant, face au dangereux durcissement des procédures, des discours et des logiques d’action, le travailleur social n’est nullement obligé d’obéir…

« Nous n’assistons certainement pas, actuellement, à une seule forme de radicalisation. Si nous élargissons un peu notre champ d’observation, nous pouvons constater que cette radicalisation est un facteur commun à de nombreux domaines : judiciaire, policier, économique, administratif et social. Ces mouvements de radicalisation sont en lien les uns et les autres. Ils se répondent, se soutiennent et se justifient mutuellement. En un mot, ils font système.

Ils correspondent, contrairement à l’étymologie du mot “radical”, au durcissement d’une société qui renonce à traiter les causes et les racines de ses problèmes. Il ne s’agit plus que de gérer les conséquences les plus visibles et de se protéger des conséquences les plus désastreuses d’une société qui se précarise : désorientation, perte du lien social et institutionnel, déracinement, errance, chômage, sans-abrisme, discriminations.

La radicalisation de l’administration du social est un phénomène qu’il faut prendre en compte dans les deux sens du mot “administration”.

Dans un premier mouvement, c’est l’environnement administratif, réglementaire, institutionnel qui se radicalise sans cesse :

→ pour les “bénéficiaires” – formalités excessives et incessantes à accomplir, exclusions, contractualisations, limitations dans le temps, fragmentation des prises en charge, responsabilisation, adhésion obligatoire aux mesures, imposition d’objectifs, contrôles renforcés ;

→ pour les professionnels – management, gestion des ressources humaines, précarisation de l’emploi, imposition de procédures, d’objectifs, de méthodes et de tutoriels, mise en place d’une gestion administrative du temps, limitation du pouvoir d’agir, d’inventer, de créer.

Dans un second mouvement, c’est le Social qu’on administre (au sens où l’on administre une potion), qui devient lui-même de plus en plus autoritaire et dur. Une morale officielle et obligatoire émerge et s’affiche comme une priorité nationale. Elle est :

→ méritocratique. Elle instille une idéologie de l’effort, de la conformité et de l’obéissance des usagers face aux objectifs qu’on leur prescrit ;

→ individualiste. Elle isole et identifie les causes des problèmes, comme de leur évolution, au sein des personnes concernées elles-mêmes, imposant une intériorisation des difficultés et impliquant un renoncement préalable à toute revendication ;

→ manichéenne. Elle est là pour désigner les “bons” et les “mauvais”, (“bons pauvres”, “mauvais pauvres”, “bons musulmans”, “mauvais musulmans”, etc.) et pour établir une stricte séparation entre eux.

Bien entendu une telle orientation, de telles politiques qui se déclinent inlassablement d’un ministère à l’autre, ne peuvent que nourrir et accentuer les problèmes qu’elles prétendent traiter. Comme le sécuritaire nourrit le sentiment d’insécurité et justifie son expansion perpétuelle, la radicalisation du social est une forme de cancer… Elle produit une fracture progressive et irréversible des professionnels vis-à-vis des publics, des institutions vis-à-vis des terrains, des pratiques obligatoires vis-à-vis des problèmes véritables.

Revenir à la responsabilité

Que faire alors face à la radicalisation de l’administration du social ?

Baisser les bras fait partie du problème. Pourtant les incessants appels à l’éthique et à la vigilance, voire à la résistance, ne sont pas davantage productifs. Ils rajoutent au sentiment d’impuissance, d’irréversibilité et, au fond, à la résignation générale.

Se façonner une posture “rebelle”, légèrement contestataire, de vigilance ne peut que contribuer à renoncer à agir ici et maintenant pour faire naître d’autres relations, d’autres pratiques, d’autres modèles, et à ne pas les soutenir quand on les a sous les yeux.

Le professionnel du social reste, quoi qu’il en dise, responsable de sa propre activité :

→ il n’est en rien obligé d’adhérer à la philosophie ou aux justifications des pratiques qu’on lui impose. Il n’est en rien tenu de les justifier, de les défendre. Il n’a pas à s’identifier à l’administration qui les produit. Il n’a pas à adhérer à leur philosophie, à la vision qui les sous-tend ;

→ il est encore moins obligé de “rajouter sa couche” en multipliant les empêchements d’agir en invoquant ses propres peurs et réserves ou en rajoutant des règlements “locaux” qui viendraient encore rétrécir ce qu’il est possible d’oser, de consentir, par commodité, confort ou réassurance face à l’impuissance où on voudrait l’enfermer ;

→ il n’est pas contraint à la surviolence. Rien ne justifie d’ajouter encore plus de sanctions, plus d’exclusions, et de l’infantilisation et du contrôle. Rien n’oblige l’enseignant à accompagner la mauvaise note d’un commentaire sarcastique, le directeur à accompagner une sanction d’une leçon de morale. Nous touchons là aux racines de l’insupportable qui menacent l’image même de nos métiers et qui nourrissent une violence que nous redoutons et aurons à subir ;

→ il est responsable du sens qu’il donne aux choses et aux signes. A lui de comprendre les logiques des situations, des institutions, des problématiques sociales. A lui de faire les liens nécessaires entre la manière dont on le traite et dont sont traités les “usagers”. A lui de comprendre l’évolution de notre société et les dangers qui la menacent… à partir de sa propre place ;

→ il est responsable des relations qu’il tisse avec les “bénéficiaires”. Il ne tient qu’à lui qu’elles soient engagées, habitées, bienveillantes, authentiques et affectives. A lui de les faire durer au-delà des ruptures imposées, à lui de sortir de la vision contractuelle des relations, de se référer à l’anthropologie du don, de l’inconditionnalité et du soin.

Enfin, et en un mot, il est responsable de ses actions. A lui de rompre, d’innover, d’annoncer, de dénoncer, d’affirmer et de tenir ses initiatives. A lui de créer, d’imaginer, de désobéir, de sortir de circonvenir.

A lui de faire du Social… »

Notes

(1) Auteur de Philosophie sociale – Ed. Chronique sociale (à paraître prochainement).

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