Pour lutter contre les criantes difficultés d’emploi des jeunes, le gouvernement a mis en œuvre plusieurs mesures destinées à favoriser leur insertion professionnelle : emplois d’avenir, contrats de génération, service civique… Parmi cet arsenal, la garantie jeunes a la particularité de s’adresser aux personnes de 18 à 25 ans qui cumulent une situation précaire (avec un niveau de revenu plafonné au RSA) et le fait de n’être ni en emploi, ni en études, ni en formation (voir ce numéro, page 49).
Prévue par le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de janvier 2013, elle figure également parmi les engagements du plan interministériel « priorité jeunesse » de février 2013. « C’est un dispositif très pensé qui n’est pas né dans l’urgence, mais de la capitalisation de l’expérience des dispositifs précédents », se félicite Jérôme Gautié, président du comité scientifique de la garantie jeunes (voir encadré, page 25). C’est d’ailleurs à l’issue d’une large concertation que son expérimentation a été confiée en intégralité aux missions locales, reconnues comme étant les plus à même de la mettre en œuvre.
Les premiers jeunes ont été accueillis dès octobre 2013 dans dix territoires pilotes. Après plusieurs vagues d’extension (janvier, avril et septembre 2015), l’expérimentation, à la fin 2015, concernait 72 départements, 50 000 jeunes et 273 missions locales (soit 60 % du réseau). Et elle devrait être étendue à tous les territoires volontaires à compter de mars 2016, avant sa généralisation en 2017. Cet élargissement, qui doit s’effectuer en deux vagues (au printemps et en septembre 2016), est une bonne nouvelle pour les missions locales : « Même si on ne maîtrise pas encore tout à fait les formes que va revêtir ce déploiement, le réseau des missions locales est plutôt enthousiaste car la garantie jeunes est un espace d’innovation qui permet d’expérimenter de nouvelles façons d’accompagner les jeunes », estime Claire Fabre, chargée de mission à l’Union nationale des missions locales (UNML). « Plus qu’un nouveau dispositif, c’est une véritable démarche, intense et dans la durée, qui a l’intérêt de partir des potentialités des jeunes mais aussi de celles des territoires : c’est donc tout à fait positif », se félicite aussi Hervé Hénon, secrétaire du bureau de l’UNML.
Composé d’un suivi resserré et d’une garantie de ressources, ce « parcours d’accompagnement global, social et professionnel, vers et dans l’emploi ou la formation », selon le décret du 1er octobre 2013, a vocation à amener le jeune vers l’autonomie. Ce dernier signe un contrat d’une durée de un an (renouvelable une fois pour une durée comprise entre un et six mois) avec une mission locale chargée de l’accompagner dans sa recherche d’emploi et de formation et d’apporter des solutions pour résoudre ses difficultés sociales.
Pour mener à bien cette démarche intensive et exigeante, les moyens sont au rendez-vous : alors qu’un conseiller d’une mission locale suit en moyenne de 160 à 180 jeunes, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), qui pilote l’expérimentation, préconise un binôme de conseillers pour 80 à 100 jeunes(1). Pour Dominique Séry, directeur de la mission locale Nord de la Réunion, c’est un des principaux atouts de la démarche : « La garantie jeunes a le mérite de nous donner les moyens de faire à nouveau du suivi individualisé – ce que nous ne pouvions plus faire dans notre département où les conseillers suivent environ 350 jeunes chacun. »
Au-delà des moyens, la garantie jeunes se démarque d’autres dispositifs d’insertion professionnelle. Première innovation : l’existence d’une indemnisation en contrepartie de l’engagement du jeune. Le gouvernement a toutefois pris soin de clarifier les choses : cette aide financière mensuelle d’un montant de 461,26 €(2) n’est ni un droit ouvert (il y a un nombre de places limité avec une sélection importante), ni une allocation : elle est conçue comme un outil d’accompagnement pour que le jeune soit dans des conditions matérielles lui permettant de suivre son parcours. Une façon de couper court aux revendications d’un droit à une allocation pour tous les 18-25 ans sans ressources, sur le modèle du RSA. « C’est avant tout un outil supplémentaire qui permet au jeune de se consacrer pleinement à sa recherche d’emploi, laquelle suppose au minimum d’être équipé en téléphonie, de pouvoir se déplacer et d’être vêtu correctement, ce qui a un coût », avance Dominique Séry.
Deuxième axe fondateur : une approche globale des jeunes. « Alors que ces dernières années, nous n’étions plus évalués que sur nos résultats en termes d’accès à l’emploi, la garantie jeunes nous permet de renouer avec l’accompagnement global puisqu’il nous est demandé d’exercer aussi un suivi en matière de logement, de santé, de mobilité… », se félicite Pascale Quaix, directrice de la mission locale Terres de Lorraine. « Nous étions devenus une sorte de Pôle emploi bis ; ce dispositif nous donne l’occasion d’un retour aux fondamentaux en travaillant à l’autonomie des jeunes au sens large », relève aussi Véronique Genet, directrice de l’Association régionale des missions locales de Lorraine (Amilor).
Autre caractéristique : la logique de « l’emploi d’abord ». Les jeunes, même sans qualification et très éloignés de l’emploi, sont rapidement mis en contact avec le monde de l’entreprise. « Ce concept s’inscrit en rupture avec les dispositifs d’insertion habituels qui s’appliquent à construire tout un parcours préalable avant de faire entrer le jeune dans l’emploi. Là, c’est l’inverse : les expériences d’emploi des jeunes, prioritaires, doivent être capitalisées en vue de construire leur parcours professionnel », explique Jérôme Gautié. « C’est très intéressant, car on sort de l’idée d’un parcours fléché qui enfermait le jeune dans un seul projet professionnel. Avec la garantie jeunes, les jeunes sont invités à multiplier les expériences pour en tirer le maximum, même si c’est temporaire et que cela ne correspond pas forcément à leur aspiration finale », analyse Véronique Genet. Les missions locales s’appuient en particulier sur la méthode IOD (pour « Intervention sur les offres et les demandes d’emploi ») qui consiste à traduire les besoins de recrutement des employeurs de manière à les adapter aux compétences et aux ressources des jeunes. « Cette méthode rejoint le concept de médiation active, également au cœur de la démarche, et qui fait évoluer le métier de conseiller d’un rôle d’accompagnement social à un rôle de médiateur vers l’emploi », précise Jérôme Gautié.
C’est toutefois le volet collectif de l’accompagnement qui fait figure de grande nouveauté(3). Avant d’entrer dans une démarche plus classique de suivi individuel, le dispositif débute par une période de quatre à six semaines – plus rarement huit – de prise en charge en groupes d’une quinzaine de jeunes. « Ce n’est pas une modification du métier des missions locales, mais plutôt un retour aux sources : il y a trente ans, elles faisaient beaucoup de collectif », rappelle Hervé Hénon. La réapparition de l’approche collective a des effets tout à fait intéressant, observe Claire Fabre : « Elle libère la parole des jeunes et favorise les échanges d’expériences tout en créant une dynamique qui facilite les démarches. » Pour Dominique Séry, c’est aussi une façon de mettre les jeunes en condition pour l’immersion en entreprise qui va suivre : « Ils doivent venir à l’heure, tenir des engagements, faire preuve d’un minimum de politesse… »
Acquisition des codes et des règles de l’entreprise, maîtrise des savoirs fondamentaux, valorisation des compétences, accès à l’autonomie au quotidien… : à partir de ce socle commun, chaque mission locale est libre d’enrichir le contenu du temps collectif. Outre la prise en compte des problématiques de santé, de logement et de budget, la mission locale Terres de Lorraine propose des visites d’entreprises, des rencontres avec des élus municipaux et des ateliers d’orientation en ville. Elle demande également aux jeunes de s’impliquer dans une action utile, en tant que bénévole dans une association par exemple. « On voit ressurgir quantités d’initiatives qui avaient disparu des missions locales autour de la citoyenneté, de l’accès à la culture… qui font que les jeunes reprennent confiance en eux et s’épanouissent », s’enthousiasme Véronique Genet.
Face à des jeunes réfractaires à l’approche scolaire, l’approche collective est aussi un moteur pour tester de nouveaux outils et renouveler les pratiques(4). A la Réunion, la mission locale Nord s’appuie notamment sur des jeux vidéo appliqués à la construction de projets professionnels. « Ces “serious games” percutent les jeunes, ce qui permet d’engager une démarche d’insertion sans les piéger dans le scolaire », explique Dominique Séry. A la mission locale Terres de Lorraine, c’est le concret et la participation des jeunes qui sont mis en avant : « Nous partons de l’expérience et des projets des jeunes en les rendant acteurs – par exemple, en les amenant à se présenter directement aux entreprises pour qu’elles leur disent elles-mêmes si leur CV tient la route », souligne Elise Luthringer, qui coordonne la garantie jeunes au sein de cette structure.
Les mois qui suivent l’accompagnement collectif sont consacrés à des expériences professionnelles multiples (stages, emplois aidés, contrats à durée déterminée, formations, parrainages…) couplées à un suivi personnalisé qui tente de résoudre les difficultés centrales du jeune (remise à niveau, logement, santé…). Cette phase d’accompagnement individuel n’est pas la plus confortable : il faut en effet rester vigilant face à l’isolement et à la perte de motivation des jeunes. « Pour que la dynamique ne retombe pas, nous réfléchissons à maintenir des temps collectifs tout au long de la démarche, par exemple en intégrant les bénéficiaires à un atelier collectif culturel destiné à tous les jeunes suivis par la mission locale », avance Elise Luthringer. Quant à la mission locale de Chambéry, elle propose tous les matins de 8 h 30 à 10 heures un « club action » durant lequel les jeunes dont les démarches n’ont pas encore abouti découvrent les nouvelles offres d’emploi. « Cela permet de les maintenir actifs », soutient Claude Le Goff, le directeur.
Pour l’heure, le dispositif se révèle globalement un succès. « La plupart des jeunes en sortent transformés, ils sont très satisfaits », observe Claire Fabre. Axée sur les effets de l’accompagnement sur le parcours des jeunes, la dernière « auto-évaluation » réalisée par l’UNML(5) montre que le dispositif apporte une plus-value, « autant sur le plan de l’autonomie et de l’accès aux droits que sur celui de l’insertion professionnelle ». Témoignage de cette réussite : au bout de six mois (d’avril à novembre 2015), les 75 jeunes accueillis par la mission locale Terres de Lorraine ont effectué 83 périodes d’immersion en entreprises, deux ont signé un emploi d’avenir et quinze sont en CDD ou en intérim. « Bien que certains jeunes aient une appréhension avant de rentrer dans la démarche, une fois qu’ils y sont, ils la considèrent généralement comme très bénéfique », observe Elise Luthringer. Même constat pour Claude Le Goff : « Alors que nous avions un peu de mal à mobiliser les jeunes au départ, aujourd’hui, ils viennent nous solliciter, le bouche-à-oreille fonctionne. » Autre signe favorable : les bénéficiaires sont très peu nombreux à abandonner la démarche en cours de route – seulement quatre sur 300 jeunes à Chambéry.
Ces tendances sont d’autant plus encourageantes que, selon un bilan statistique effectué par la DGEFP à la fin septembre 2015, 97 % des bénéficiaires font partie du public prioritaire. « Il faut bien sûr rester prudent dans l’attente des résultats définitifs, mais la cible semble atteinte : ce sont des jeunes en rupture familiale, en grande précarité, avec parfois des problèmes psychologiques. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, beaucoup d’entre eux semblent néanmoins déjà avoir eu une expérience professionnelle sous forme de stages ou de petits boulots, ce qui montre qu’ils ne sont pas complètement déconnectés de la société », indique Jérôme Gautié.
Toutefois, « dans les cas extrêmes, les jeunes sélectionnés n’ont pas de domicile fixe et dorment dans la rue. Tous ne sont donc pas en mesure de s’engager fortement et de réaliser des démarches régulières », nuance Claire Fabre. Avec le risque de privilégier des publics moins précaires. Le cadre de régulation est censé éviter ce type de dérives dans la mesure où les missions locales ne décident pas seules de l’entrée d’un jeune, mais s’appuient sur la décision d’une commission d’attribution et de suivi composée de multiples acteurs locaux (représentant de l’Etat, conseil départemental, missions locales et, selon les cas, PJJ, Education nationale, services de prévention spécialisée…).
L’accompagnement des nouveaux conseillers constitue un autre défi à relever. « Certains sont débordés, car leur tâche est très lourde : ils doivent non seulement assurer une prise en charge collective, mais aussi exercer un tutorat lorsque le jeune est en emploi, savoir capitaliser ses expériences et jouer un rôle de médiation avec les entreprises », pointe Jérome Gautié. Selon leurs priorités, les missions locales ont fait des choix de recrutement différents : celle du Nord de la Réunion, qui a embauché une dizaine de conseillers, a opté pour des profils variés (RH, droit…) pour pouvoir croiser les compétences. Pour ses six conseillers « garantie jeunes », la mission locale de Chambéry a, pour sa part, privilégié « la connaissance du bassin d’emploi et du monde de l’entreprise, et notamment les expériences dans le secteur de l’intérim qui a un public proche de celui des missions locales », explique Claude Le Goff. D’autres ont recruté des conseillers en interne – « souvent des professionnels de longue date qui ont vu dans ce dispositif une façon de redonner du sens à leur travail », précise Véronique Genet.
Afin d’homogénéiser et de professionnaliser les pratiques, une formation a été créée dans le cadre d’une démarche d’engagement de développement de l’emploi et des compétences (EDEC) en lien avec la branche professionnelle et la DGEFP. Le principe : des conseillers « garantie jeunes » expérimentés et volontaires forment leurs collègues déjà en poste ou qui vont l’être. « La première vague de formation a eu lieu, le processus est en marche et va accompagner le déploiement du dispositif », se réjouit Hervé Hénon. En complément, des échanges de pratiques entre conseillers se mettent en place au niveau régional. « C’est l’occasion pour eux de débattre sur des sujets qui les concernent au quotidien – les relations avec les entreprises, l’adhésion des jeunes, l’animation du groupe… – avec, à terme, l’idée de formaliser des outils sur lesquels ils pourront s’appuyer », se félicite Véronique Genet.
La démarche, en bousculant les pratiques des missions locales, n’est toutefois pas sans susciter quelques tensions, en particulier sur le plan financier. Plutôt satisfaites des montants alloués au départ, les missions locales sont aujourd’hui plus circonspectes, d’autant que le volet administratif du dispositif a pris beaucoup d’ampleur en 2015 (voir ci-dessous). Malgré quelques autres réserves – notamment une durée jugée trop courte et un accès restrictif pour les étrangers –, l’UNML se veut optimiste. A condition qu’elle ne s’érige pas en modèle unique, la garantie jeunes est « un processus qui ouvre le champ des possibles en initiant un certain nombre de principes – la participation des jeunes, la territorialisation des politiques jeunesse et le décloisonnement des dispositifs – qui restent à approfondir. relève Hervé Hénon. A ce titre, elle peut constituer l’amorce d’une autre approche des politiques jeunesse. »
Un comité scientifique a été mis en place pour évaluer l’expérimentation de la garantie jeunes, afin de déterminer les conditions appropriées pour la généralisation de la démarche en 2017.
« La DGEFP a mis en place une boîte à outils sur la garantie jeunes, mais le dispositif est très hétérogène car les missions locales et les acteurs locaux ont une grande liberté pour mettre en œuvre le “kit” proposé. La qualité de ce qui est proposé risque donc d’être très variable. A nous de voir ce qui fonctionne ou pas et d’éclairer les modalités de mise en pratique », explique Jérôme Gautié, économiste et président du comité scientifique. Trois programmes ont été lancés courant 2015 : deux évaluations qualitatives – l’une ciblée sur les bénéficiaires pour disposer de données plus précises sur le profil des jeunes, l’autre centrée sur les acteurs afin d’observer comment les missions locales sont impactées par le dispositif et comment se mobilisent les partenaires locaux – et une évaluation quantitative auprès des jeunes (par téléphone tous les six mois pendant deux ans) pour suivre leur situation sur le marché du travail, leur état de santé…
Un rapport officiel avec des recommandations devrait être remis à l’automne 2016. « L’ensemble viendra nourrir ce qui sera engagé par la suite », souligne Claire Fabre, chargée de mission à l’UNML.
(1) En l’absence de cahier des charges global, la garantie jeunes est encadrée par la « boîte à outils pour le déploiement de la garantie jeunes » et les « questions-réponses garantie jeunes » de la DGEFP.
(2) Elle est cumulable avec les ressources d’activité du jeune jusqu’à 300 € net par mois, puis dégressive.
(3) Voir notre reportage dans le Finistère dans les ASH n° 2896 du 6-02-15, p. 20.
(4) Voir notamment la « plateforme d’échanges et de valorisation des pratiques des missions locales » –