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Invisibilité sociale : un rapport se penche sur les parents d’enfants placés

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L’entourage familial des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance souffre d’être « inaudible » par l’institution, montre le cabinet FORS-Recherche sociale dans un rapport commandé par l’ONPES.

Dans le cadre des travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) sur l’invisibilité sociale(1), le bureau d’études FORS-Recherche sociale publie les résultats d’une recherche sur l’entourage des enfants placés en protection de l’enfance(2). Au-delà de l’examen des travaux existants sur la question des parents d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE), les auteurs ont mené dix entretiens approfondis avec sept mères, deux pères et un couple de grands-parents d’enfants placés, portant sur leurs trajectoires, leur vécu de la situation de placement, leur rapport aux institutions, leurs attentes en termes de reconnaissance. L’analyse des entretiens fait apparaître que le système de protection de l’enfance « contribue à une invisibilisation des parents d’enfants placés » à plusieurs égards.

Cumul de « marginalisations »

Pour déceler les facteurs et mécanismes de cette invisibilité, les auteurs ont étudié les parcours de vie des personnes rencontrées. Leur jeunesse est ponctuée d’épisodes tragiques : certains ont été placés, d’autres confrontés à diverses formes de violences physiques et sexuelles. La plupart d’entre eux ont connu des parcours conjugaux difficiles, marqués par de nombreuses ruptures. Les enquêtés ont souvent connu plusieurs vies (conjugales, lieux de vie, métiers…) et « leur précarité s’est construite dans un cumul de marginalisations successives ». L’ensemble des personnes rencontrées « vivent des situations difficiles – sur le plan économique, relationnel, conjugal – qui, cumulées, conduisent à une certaine forme d’exclusion sociale débouchant sur un fort sentiment d’inutilité sociale ». De ces constats, les auteurs déduisent que le phénomène d’invisibilité est souvent déjà amorcé en amont du placement de l’enfant et résulte d’un processus cumulatif de ruptures, amorcé parfois depuis l’enfance.

Les témoignages montrent que ce sentiment est ravivé lors du placement de leur enfant. Parmi les reproches qu’elles formulent à l’égard des services de l’ASE, les personnes interrogées déplorent que « ni leur niveau de ressources, ni les difficultés financières qu’elles peuvent rencontrer » ne sont pris en compte, alors que ce sont précisément les contraintes économiques qui ont, selon elles, été à l’origine du placement. Pour les parents, cette « invisibilisation » de leurs conditions de vie est « la résultante d’une mauvaise volonté » des travailleurs sociaux « ou du regard négatif qu’ils portent sur eux ». Par ailleurs, les enquêtés ont le sentiment que leur entourage – autres membres de la famille : grands-parents, oncles ou tantes… – est ignoré, « mis à l’écart » par les services.

Face à une institution perçue comme « inatteignable », les parents ont le sentiment de ne pas pouvoir faire entendre leur voix, que tout est joué d’avance. Les ménages interrogés font ainsi état des difficultés à joindre les professionnels de la protection de l’enfance et estiment qu’ils ne leur accordent pas suffisamment de temps. La majorité des parents émet l’hypothèse que « l’institution en charge de la protection de l’enfance chercherait à se “protéger” d’eux ». L’ASE est ainsi perçue comme « fuyante », « mettant volontairement à distance les parents et les tenant à l’écart ». En plus d’avoir l’impression d’être « ignorés » et/ou « évités », les parents enquêtés se sentent exclus du processus décisionnel qui organise la vie de leur enfant. Ainsi, ils déplorent de ne pas pouvoir prendre part aux réunions entre les différents professionnels intervenant auprès de l’enfant (technicien de l’intervention sociale et familiale, assistant social, médecin, etc.). Plus globalement, les enquêtés estiment qu’il existe « une forte inégalité de statut entre les parents et l’institution, au profit de la protection de l’enfance qui se positionne systématiquement de manière surplombante ». Se sentant « réifiés » par l’institution, ils ont à la fois le sentiment d’être infériorisés et marginalisés, mis au ban du placement de leur propre enfant.

Les parents rencontrés ressentent « une stigmatisation a priori  » des professionnels à leur égard. Ils estiment qu’une fois dans l’engrenage de la protection de l’enfance, il est difficile de sortir de l’image de parents indignes. A cela s’ajoute le sentiment que les travailleurs sociaux « leur dénient toute capacité à reconnaître une forme de responsabilité dans le placement et toute bonne volonté », et ne les considèrent pas comme des êtres dotés de capacités d’introspection et de remise en cause.

Les parents se disent « empêchés » dans la pratique de leur parentalité et ont, pendant la période de placement, le sentiment d’être « invisibilisés » par l’institution dans leur fonction parentale. Le temps passé avec son enfant étant réduit, « les possibilités d’échanges affectifs, d’interconnaissance et de création d’une complicité parent-enfant » sont restreintes. Cette remise en question de l’identité parentale qui s’explique « en grande partie par la faiblesse ou l’absence d’interaction sociale avec l’institution et ses représentants », « ébranle la construction identitaire des enquêtés », notent les auteurs. Plus largement, ainsi, le placement est vécu par les parents « comme une période de mise entre parenthèses, voire de non-reconnaissance, de son existence sociale ».

Dans ce sombre tableau, en dépit d’un défiance réciproque, peuvent néanmoins se nouer des collaborations fructueuses, « laissant entrevoir des espaces de dialogue dans lesquels les parents redeviennent “sujets” ». En instaurant avec les professionnels une relation de confiance, il s’agit pour eux « de se restaurer en tant que sujet social, mais aussi d’“exister” en dehors de l’image partielle et figée des rapports sociaux et de s’affranchir de l’identité “réductrice” qui leur est souvent imposée ».

En conclusion, les auteurs invitent à aborder autrement la question de l’invisibilité de ce public. Ils relèvent que, d’une certaine façon, « le placement survisibilise les parents et, ce faisant, renforce une déconsidération sociale et accélère un processus de marginalisation entamé depuis plusieurs années ». Pour certains parents, cette « survisibilisation » se traduit parun « contrôle continu qui s’exerce sur eux », une trop grande focalisation sur leur vie privée et le non-respect de leur intimité : ils se sentent scrutés et jugés par les professionnels qui prennent en charge leur enfant. Au final, selon les auteurs, les parents d’enfants placés ne souhaitent pas être plus visibles mais davantage écoutés. L’invisibilité serait « en réalité le symptôme d’un problème plus profond, celui de l’inaudibilité des parents d’enfants placés : on ne les écoute pas, on ne prend pas en compte ce qu’ils disent, voire on déforme leurs propos pour dresser des procès à charge ». C’est donc à être reconnu plus qu’à être vu que semble aspirer l’entourage des enfants placés.

Notes

(1) Voir notamment ASH n° 2936 du 4-12-15, p. 18.

(2) Disponible sur https://goo.gl/ZQqV3E.

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