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« Il y a très peu de conversions religieuses en prison »

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Beaucoup d’idées reçues circulent sur la religion en prison, en particulier sur l’existence de groupes musulmans radicaux. La sociologue Rachel Sarg a longuement enquêté sur la place de la religion dans des établissements pénitentiaires alsaciens. Dans un ouvrage, elle décode avec nuance la façon dont les détenus vivent, lorsqu’ils s’en reconnaissent une, leur appartenance religieuse.
Pourquoi ce livre sur la place de la religion en prison ?

J’avais commencé à travailler dès 2003 sur la question de la délinquance et, dans la continuité, je me suis intéressée à la prison. Il m’est apparu alors qu’il existait très peu de travaux sur la religion en milieu carcéral. J’ai réalisé une première enquête en 2005 et en 2006 dans une maison d’arrêt à Strasbourg, et j’ai continué à creuser ce sujet pour ma thèse de sociologie. Ce qui m’intéressait, c’était d’abord de comprendre concrètement la place qu’occupe la religion dans les établissements pénitentiaires. Quels sont les droits des détenus ? Comment pratiquent-ils ? Qui sont les aumôniers ? De quelle façon interviennent-ils ? Je voulais également mesurer à quel point la prison favorisait un retour à la foi religieuse.

Comment avez-vous enquêté ?

J’ai eu accès à trois établissements pénitentiaires en Alsace : une maison d’arrêt, un centre de détention et une maison centrale. J’ai enquêté exclusivement auprès de détenus hommes, compte tenu du faible nombre de femmes incarcérées. Durant une première phase d’observation de six mois, j’ai accompagné des aumôniers, essentiellement chrétiens et musulmans, dans leurs activités collectives et individuelles. Il faut savoir que les aumôniers ont le droit de visiter les détenus en cellule à tout moment. Ils ont même accès aux quartiers d’isolement, le « mitard », et ce qui se dit entre l’aumônier et le détenu est soumis à la confidentialité. Cette première phase m’a permis de faire connaissance avec le personnel et les détenus, puis je suis passée à la phase d’enquête proprement dite, en faisant appel à des volontaires fréquentant les aumôneries, afin de réaliser des entretiens enregistrés. Dans l’ensemble, j’ai été plutôt bien accueillie, sauf dans un établissement où j’ai dû faire face à quelques suspicions de la part du personnel.

Quelles sont les religions représentées dans les prisons françaises ?

Elles sont sept à être officiellement reconnues : les trois christianismes – orthodoxe, catholique et protestant –, le judaïsme, l’islam, le bouddhisme et, depuis peu, les Témoins de Jéhovah. Les religions chrétiennes et musulmanes sont les plus présentes dans les prisons. En ce qui concerne le judaïsme, ses aumôneries sont implantées uniquement à Paris et à Marseille. Quant aux bouddhistes, ils sont très peu représentés. En ce qui concerne la pratique religieuse en prison, il n’existe pas de chiffres, car il est interdit de faire des statistiques en fonction de l’appartenance religieuse. Des sociologues parlent cependant de l’islam comme de la première religion carcérale. Pour ma part, je crois qu’il faut faire attention à ne pas généraliser. Dans les établissements où j’ai enquêté, l’islam n’était pas majoritaire. Tout dépend du lieu d’implantation de la prison. Pour avoir une idée de la participation aux activités religieuses, dans la maison d’arrêt où j’ai enquêté, sur environ 600 détenus, une centaine participaient aux cultes chrétien ou musulman.

Existe-t-il un profil type du détenu pratiquant ?

Dans le christianisme, on observe une surreprésentation de ceux que l’on appelle les « pointeurs ». C’est-à-dire les détenus incarcérés pour des affaires de mœurs. Ils sont en général plus âgés que les autres et ne possèdent pas les codes de la prison. Ils sont assez perdus dans l’environnement carcéral et rejetés par les autres. Ils trouvent donc dans l’aumônerie catholique un refuge. Du côté de l’islam, les pratiquants sont surtout des jeunes qui, pour la plupart, possèdent très peu de culture religieuse. Certains profitent de ce moment pour s’intéresser à la religion de leurs parents, pour lire le Coran… C’est la première incarcération qui génère le plus de pratique religieuse. Celle-ci permet aux détenus de bénéficier d’un soutien psychologique de la part des aumôniers. Et participer à la messe ou à la prière est une façon de sortir de sa cellule et de rencontrer des gens, en particulier en maison d’arrêt.

Le choc de l’arrivée en milieu carcéral joue un rôle important dans l’adhésion à une pratique religieuse…

C’est vrai surtout pour les détenus qui ont commis des délits assez graves. Ils subissent l’opprobre de la société et vivent une certaine remise en question. Cela peut être même assez dramatique, et les aumôniers font un travail important pour éviter les tentatives de suicide. Il n’est pas rare d’ailleurs que les surveillants signalent à l’aumônier tel ou tel détenu en situation de fragilité. Les aumôneries apportent un soutien psychologique et social important dans les premiers temps de l’incarcération.

Ce retour à une pratique religieuse renvoie-t-il à une démarche sincère ou à une instrumentalisation de la religion ?

Les deux motivations existent. En prison, les détenus cherchent en permanence à améliorer leur quotidien. Dans cet univers difficile, tout est calculé pour survivre au mieux. Certains sont donc clairement dans un rapport instrumental à l’égard de la religion. Ils espèrent en retirer des bénéfices, matériels ou non. Cependant, cette attitude s’estompe très vite et beaucoup de ces détenus passent à autre chose. Mais pour d’autres, cela peut être le prélude à une démarche sincère. Quelques prisonniers, enfin, se tournent vers la religion parce qu’ils ont vraiment du mal à accepter l’acte qu’ils ont commis. Ils cherchent dans la religion un support pour changer de vie et redevenir des personnes acceptables à leurs propres yeux. La question du sens est pour eux essentielle.

Vous dites que ce sont plus des réadhésions que de véritables conversions…

En effet. Il y a très peu de conversions en prison, au sens du passage d’une religion à une autre. La plupart du temps, il s’agit de ce qu’on appelle une « réassignation religieuse ». On va retrouver une foi qu’on avait laissée de côté lorsqu’on était à l’extérieur. La prison permet, dans un certain nombre de cas, de redécouvrir un aspect un peu oublié de sa propre histoire.

Avez-vous observé l’existence de groupes religieux radicaux en prison ?

Très peu. J’ai rencontré quelques détenus que l’on pourrait qualifier de radicaux, notamment un mis en cause pour faits de terrorisme. Des groupes peuvent se constituer, surtout lorsqu’il n’y a pas d’imam pour animer l’aumônerie musulmane. Quelques détenus peuvent alors essayer d’exercer une forme de pouvoir religieux, notamment pour contrer l’administration pénitentiaire. Toutefois, ils sont assez vite repérés. Il y a encore quelques années, l’administration pénitentiaire estimait qu’avoir des groupes religieux en détention était un facteur d’apaisement. Ce n’est plus le cas. On est passé à une hypersurveillance des groupes religieux, avec pour effet pervers de provoquer un sentiment de persécution chez les musulmans. L’islam est même perçu comme une religion de contre-pouvoir qui attire un certain nombre de jeunes en mal de repères.

Quelle est l’attitude du personnel pénitentiaire à l’égard de la religion ?

Certains surveillants y sont complètement indifférents. Etant fonctionnaires, ils estiment qu’ils n’ont pas à s’en mêler. D’autres manifestent un véritable rejet. Pour eux, la religion n’a rien à faire en prison. Mais beaucoup ont tendance à collaborer avec les aumôniers, ne serait-ce que pour préserver un bon climat en détention. La direction de l’établissement joue évidemment un rôle déterminant. J’ai ainsi rencontré un chef de détention, lui-même musulman, très impliqué sur cette question tout en restant le plus neutre possible. Il avait mis en place une véritable collaboration avec les aumôniers, ce qui lui permettait de repérer les détenus à problèmes.

Comment se situent les travailleurs sociaux pénitentiaires ?

Ils peuvent, évidemment, être amenés à collaborer avec les aumôniers à différentes occasions. C’est vrai surtout des conseillers d’insertion et de probation qui ont de l’ancienneté. Les jeunes, en revanche, estiment bien souvent qu’ils n’ont rien à faire avec les questions religieuses. Toutefois, par la force des choses, avec les inquiétudes sur la montée du radicalisme, tous les conseillers d’insertion et de probation sont amenés à s’intéresser à la religion en prison. Il leur faut être vigilants et, pour cela, les meilleurs partenaires restent les aumôniers.

Repères

La sociologue Rachel Sarg est professeure à l’université de Strasbourg et membre du Centre d’étude et de recherche sur l’intervention sociale (CERIS). Elle publie La foi malgré tout. Croire en prison (Ed. PUF, 2015).

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